La nouvelle du XVIIIe siècle à nos jours

Introduction :

Le genre romanesque comprend plusieurs sous-genres. La nouvelle est l’un d’entre eux. Apparue au Moyen Âge, elle propose une narration condensée. La brièveté est donc le critère essentiel de définition de la nouvelle (environ une vingtaine de pages, bien que certains auteurs aient largement dépassé ce critère). Mais cette dernière n’est pas qu’un échantillon de roman, elle possède également des caractéristiques personnelles. Cette forme littéraire a su évoluer et se distinguer du roman en inventant, au fil du temps, ses propres codes.

Nous allons étudier dans un premier temps les caractéristiques de la nouvelle, puis nous explorerons, à travers des extraits de nouvelles, son évolution à travers les siècles et ses différentes formes.

Caractéristiques de la nouvelle

Selon André Gide, « la nouvelle est faite pour être lue d’un coup, en une seule fois ». Baudelaire appelle cela « l’unité d’impression ».

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À retenir

La brièveté est donc la caractéristique première de la nouvelle, celle que l’on retient.

La nouvelle raconte une histoire vécue par un ou plusieurs personnages. C’est ce qui constitue l’intrigue. Celle-ci doit être centrée sur un seul événement.

Les personnages, eux, sont peu nombreux et moins travaillés que dans le roman.

Le cadre spatio-temporel est resserré, peu de lieux interviennent et le temps de l’action est condensé.

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Exemple

Ainsi l’action peut se dérouler dans une même pièce et sur une seule journée par exemple.

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À retenir

La structure du récit est dense, mais il n’y a pas de place pour les égarements. Tout doit tendre vers un but préconçu.

Dans la plupart des cas, le récit s’écoule de manière chronologique. Toutefois, on peut assister à une analepse, une prolepse ou à une ellipse temporelle.

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Définition

Analepse :

C’est un « flashback », un retour en arrière, un saut dans un temps antérieur à l’action.

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Définition

Prolepse :

C’est le contraire de l’analepse. Dans la narration, il s’agit d’un saut dans le futur, d’une projection.

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Définition

Ellipse :

Elle consiste à omettre la description d’une période ou d’un événement pour accélérer le récit, le raccourcir.

La narration peut être rapportée de différentes manières :

  • le narrateur peut raconter sa propre histoire ou être le témoin de l’histoire : dans ce cas, on parle de point de vue interne. Le lecteur a alors accès aux pensées d’un personnage, il connaît seulement des choses concernant ce dernier ;
  • si le lecteur connaît tout des personnages, leurs pensées et leur passé par exemple, il s’agit alors d’un point de vue omniscient ;
  • enfin, si la scène a l’air d’être observée par une fenêtre, d’un point de vue distant, sans donner aucun renseignement personnel, comme un simple témoin, on parle de point de vue externe.
  • La fin de la nouvelle constitue souvent un moment très important de l’œuvre.
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À retenir

La fin peut être fermée, elle est alors claire et nette.

« Le K » de Dino Buzzati est une nouvelle publiée en 1966 dans son recueil du même nom. La fin peut être qualifiée de fermée puisque le héros affronte enfin le K, animal marin effrayant qui l’a poursuivi toute sa vie. Il obtient alors le message qui lui était destiné. Voici la fin de la nouvelle :

« ― Compris quoi ? fit Stefano piqué.
― Compris que je ne te pourchassais pas autour de la terre pour te dévorer comme tu le pensais. Le roi des mers m’avait seulement chargé de te remettre ceci.
Et le squale tira la langue, présentant au vieux marin une petite sphère phosphorescente.
Stefano la prit entre ses doigts et l’examina. C’était une perle d’une taille phénoménale. Et il reconnut alors la fameuse Perle de la Mer qui donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour et paix de l’âme. Mais il était trop tard désormais. »

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À retenir

La fin peut également être ouverte. Dans ce cas, la fin n’est pas claire et est sujette à la libre interprétation du lecteur.

On peut utiliser en exemple la fin de « Aux champs » de Guy de Maupassant, publiée en 1882 dans la revue Le Gaulois. Il est ici question de rivalités entre deux familles dont l’un des fils a été adopté moyennant une rente versée aux parents. Charlot, n’ayant pas été abandonné, se sent supérieur, jusqu’au retour du fils vendu. Celui-ci est célébré par sa famille et est devenu riche. Charlot est jaloux et insulte ses parents avant de s’enfuir :

« Les deux vieux se taisaient, atterrés, larmoyants.
Il reprit :
― Non, c’t’idée-là, ce serait trop dur. J’aime mieux m’en aller chercher ma vie aut’part !
Il ouvrit la porte. Un bruit de voix entra. Les Vallin festoyaient avec l’enfant revenu.
Alors Charlot tapa du pied et, se tournant vers ses parents, cria :
― Manants, va !
Et il disparut dans la nuit. »

L’incertitude quant au sort de Charlot est totale, ce qui produit une fin dite ouverte.

  • La fin de la nouvelle peut être une fin surprenante, à laquelle le lecteur ne s’attend pas. Cela constitue alors une chute.

Dans la nouvelle « Happy Meal » d’Anna Gavalda, publiée en 2004, le narrateur décrit une jeune fille qu’il emmène déjeuner. Il semble éperdument amoureux de celle-ci. Voici la fin de la nouvelle :

« Elle plie sa serviette en deux avant de s’essuyer la bouche. En se levant, elle lisse sa jupe et réajuste le col de son chemisier. Elle prend son sac et me désigne du regard l’endroit où je dois reposer nos plateaux. Je lui tiens la porte. Le froid nous surprend. Elle refait le nœud de son écharpe et sort ses cheveux de dessous son manteau. Elle se tourne vers moi.
Je me suis trompé, elle ne me donnera pas sa main puisque c’est mon bras qu’elle prend.
Cette fille, je l’aime.
C’est la mienne. Elle s’appelle Valentine et n’a pas sept ans. »

Le lecteur est surpris par cette fin. L’auteur laisse croire que le narrateur est amoureux de la jeune fille décrite. Or, il s’agit de sa fille de six ans.

On peut s’intéresser à présent aux différentes formes de la nouvelle depuis le XVIIIe siècle.

Évolution de la nouvelle à travers les siècles

La nouvelle au XVIIIe siècle prend l’aspect de la nouvelle telle qu’elle est connue aujourd’hui. Auparavant, elle était considérée comme un petit roman. La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette était, à ses débuts, considéré comme une nouvelle, par rapport aux romans de milliers de pages qui se faisaient à l’époque. Désormais, l’intrigue de la nouvelle est plus condensée.

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À retenir

C’est au XIXe siècle que la nouvelle connaît un véritable essor.

En effet, avec la progression du journalisme, la nouvelle, appelée alors « conte », se développe. Sa forme est parfaitement adaptée au format du journal. De courtes histoires paraissent dans les gazettes que l’on regroupe ensuite sous la forme de recueils.

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Astuce

Maupassant a d’ailleurs commencé sa carrière d’écrivain ainsi. Il publie sa première nouvelle, « La Main d’écorché », dans L’Almanach lorrain en 1875, ou encore sa célèbre nouvelle « La Parure » en 1884, dans le quotidien Le Gaulois.

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À retenir

Au XIXe siècle, la nouvelle devient plus réaliste : on y décrit la vie quotidienne.

Maupassant, Balzac ou encore Zola s’y essaient. On peut le voir dans cet extrait de « La Parure » de Maupassant :

« Ils descendaient vers la Seine, désespérés, grelottants. Enfin, ils trouvèrent sur le quai un de ces vieux coupés noctambules qu’on ne voit dans Paris que la nuit venue, comme s’ils eussent été honteux de leur misère pendant le jour.

Il les ramena jusqu’à leur porte, rue des Martyrs, et ils remontèrent tristement chez eux. C’était fini, pour elle. Et il songeait, lui, qu’il lui faudrait être au Ministère à dix heures.

Elle ôta les vêtements dont elle s’était enveloppé les épaules, devant la glace, afin de se voir encore une fois dans sa gloire. Mais soudain elle poussa un cri. Elle n’avait plus sa rivière autour du cou ! »

  • Les détails livrés par Maupassant illustrent parfaitement le réalisme.

Ces récits sont ponctués de « petits faits vrais » comme l’écrit Stendhal. Maupassant nomme Paris et le nom d’une rue qui existe réellement, la rue des Martyrs. Mais il fait aussi référence aux « coupés noctambules » détériorés.

  • Les précisions sont présentes non seulement pour faire vrai, mais aussi pour dépeindre un monde, une atmosphère ou une époque.
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À retenir

La nouvelle au XIXe siècle se tourne également vers le fantastique.

Elle propose une histoire dans un monde réell’étrange apparaît. Un élément surnaturel vient perturber le quotidien du héros. Cette forme a été choisie notamment par Edgar Allan Poe dans ses Nouvelles histoires extraordinaires. En France, Maupassant ou Prosper Mérimée ont également écrit des nouvelles fantastiques.

La Vénus d’Ille de Mérimée, publiée en 1837, mêle étrange et fantastique. Le narrateur, qui est archéologue, est parti pour une petite ville du Roussillon. Un antiquaire lui montre sa dernière trouvaille, une statue de Vénus dont le charme est inquiétant et troublant. En voici un extrait :

« - Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher Alphonse, lui dis-je. Je vous avais prévenu.
- Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible. Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre.
- Vous savez bien, mon anneau ? poursuivit-il après un silence.
- Eh bien ! On l’a pris ?
- Non.
- En ce cas, vous l’avez ?
- Non… je… je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus.
- Bon ! Vous n’avez pas tiré assez fort.
- Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt. »

Le narrateur pique la curiosité du lecteur : l’étrangeté de la situation l’inquiète. Le lecteur est alors happé par le suspense et attend la résolution de l’intrigue avec impatience pour obtenir les réponses à ses questions.

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À retenir

Même lorsque la nouvelle est fantastique, elle est ancrée dans le réel.

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Attention

Il ne faut pas confondre le fantastique avec le merveilleux ni avec la science-fiction ou la fantasy.

  • Au XXe siècle, la nouvelle devient également policière.

Dans cette forme de nouvelle, la fin dévoile le nom du criminel. Dans « Coup de gigot », publiée dans le recueil Coup de gigot et autres histoires à faire peur en 1962, Roald Dahl met en scène une femme meurtrière. Elle tue son mari avec un morceau de gigot puis sort faire des courses afin de se constituer un alibi et appelle enfin la police. Les policiers finissent par manger le gigot qu’elle a cuisiné et qui n’est autre que l’arme du crime.

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À retenir

Les nouvelles des XXe et XXIe siècles sont souvent des nouvelles à chute et offrent un regard sur le monde contemporain.

On peut utiliser l’exemple de la fin de « Lucien », une nouvelle de Claude Bourgeyx, publiée dans Nouvelles à chute en 2004 :

« Un sentiment de solitude l’envahit. Il était seul dans son épreuve. Personne ne pouvait l’aider. C’était en solitaire qu’il allait franchir le passage. Il ne pouvait en être autrement.
Ses tempes battaient, sa tête était traversée d’ondes douloureuses. “C’est la fin”, se dit-il encore. Il lui était impossible de faire un geste.
Un moment, la douleur fut telle qu’il crut perdre la raison et soudain ce fut comme un déchirement en lui. Un éclair l’aveugla. Non, pas un éclair, une intense et durable lumière plus exactement. Un feu embrasa ses poumons. Il poussa un cri strident. Tout en l’attrapant par les pieds, la sage-femme dit : “C’est un garçon.”
Lucien était né. »

L’auteur dupe le lecteur en lui faisant croire que Lucien est un vieil homme sur le point de mourir. En réalité, il s’agit d’un nourrisson qui est sur le point de naître.

Conclusion :

Si la nouvelle peut apparaître comme un « mini roman », elle est en réalité plus complexe que cela. Fidèle à elle-même depuis son apparition, qu’elle soit réaliste, fantastique ou policière, la nouvelle est ancrée dans son époque et souvent dans la réalité. Elle propose un éclairage du monde. Sans détour, la nouvelle va à l’essentiel et offre une remise en question de notre vision du monde.