Ve siècle av. J-C. : Athènes, une démocratie au centre d'un empire maritime
Introduction :
Il semble paradoxal de constater qu’au Ve siècle avant J.-C., la cité d’Athènes met en place un régime démocratique qui se veut exemplaire, tandis qu’elle contrôle un vaste empire maritime autour de la mer Égée. L’homme fort du régime au milieu du siècle, Périclès, fut à la fois le chef de file des démocrates et un partisan de l’impérialisme.
Comment Athènes a-t-elle associé démocratie et empire maritime au Ve siècle avant notre ère ? En quoi Périclès incarne-t-il ces deux aspects ?
Nous étudierons dans un premier temps la formation et le fonctionnement de l’Empire maritime d’Athènes. Puis, dans un second temps, nous décrirons l’approfondissement du régime démocratique, notamment sous l’influence de Périclès. Enfin, nous mettrons en lumière les liens entre démocratie et impérialisme à Athènes.
Athènes au cœur d’un vaste empire maritime au Ve siècle avant J.-C.
Athènes au cœur d’un vaste empire maritime au Ve siècle avant J.-C.
Au cours du Ve siècle avant J.-C., Athènes instaure une domination sur les cités grecques de la mer Égée par des politiques impérialistes qui aboutissent à la formation d’un véritable empire maritime.
D’une alliance défensive à un empire maritime : l’impérialisme athénien
D’une alliance défensive à un empire maritime : l’impérialisme athénien
Après avoir vaincu l’Empire perse lors des guerres médiques au début du Ve siècle avant J.-C., les Grecs cherchent à se protéger car les Perses sont encore présents sur les côtes orientales de la Mer Égée, en Asie mineure. Pour cela, ils décident vers 478 avant J.-C. de former une alliance militaire défensive composée de cités grecques. Cette alliance prend le nom de ligue de Délos car son conseil annuel a lieu sur l’île de Délos.
Carte de l’Empire maritime athénien en 431 avant J.-C., issu de la ligue de Délos originellement destinée à défendre les cités de la mer Égée contre l’Empire perse installé à l’ouest
À l’origine, la ligue est égalitaire. Chaque cité possède une voix au conseil et contribue à l’armée commune en envoyant des soldats et des navires ou de l’argent. Athènes dirige la ligue pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est une cité prestigieuse qui possède une flotte puissante de trières, des navires de guerre rapides à trois rangs de rameurs. Ensuite, Sparte a refusé de prendre la tête de la ligue.
Maquette actuelle d’une trière grecque du Ve siècle avant J.-C., semblable aux navires athéniens victorieux de la flotte perse à Salamine en 479 - CC BY-SA 3.0
Progressivement, l’alliance va devenir un véritable empire. Alors que la menace perse disparaît dans les années 450, les Athéniens refusent de dissoudre la ligue. Ils répriment les révoltes des cités qui veulent en sortir. De plus, le trésor de la ligue composé des contributions des alliés est transféré de Délos à Athènes.
La politique impérialiste athénienne au Ve siècle avant J.-C. transforme donc une alliance égalitaire des cités de la mer Égée en un empire maritime dominé par Athènes.
Selon un historien athénien de l’époque, Thucydide, l’impérialisme athénien s’explique par une recherche de prestige et d’intérêt, mais également parce que les alliés d’Athènes se sont déchargés sur elle de leurs engagements militaires.
Impérialisme :
L’impérialisme désigne la politique d’un État qui cherche à instaurer un empire. Cela désigne également la volonté de domination directe ou indirecte d’un territoire sur un autre.
L’impérialisme athénien débouche sur un empire maritime particulier dont nous allons étudier les caractéristiques.
Les caractéristiques de l’Empire maritime athénien
Les caractéristiques de l’Empire maritime athénien
Bien que le terme d’empire n’existe pas pour les Grecs du Ve siècle avant J.-C., il est possible de parler d’un empire maritime athénien autour de la Mer Égée.
Empire :
Un empire (du latin imperium, le pouvoir militaire) est un ensemble de peuples ou d’États divers soumis à une même autorité.
Formé à partir des années 460 avant J.-C., cet empire se caractérise par plusieurs éléments :
- Le tribut :
Versé par les cités membres de la ligue, il servait au départ à financer l’armée commune. Petit à petit, Athènes détourne cet argent pour ses propres dépenses, comme des travaux d’embellissement de la cité.
Tribut :
Somme d’argent ou de biens qu’un vainqueur exige d’un vaincu.
- L’ingérence :
En dépit des accords entre alliés, toutes les affaires concernant la ligue ou des citoyens sont jugées à Athènes. De plus, Athènes installe dans les autres cités des magistrats et des soldats athéniens pour les surveiller, ainsi que des colons, appelés clérouques, qui occupent des terres confisquées aux cités.
Ingérence :
L’ingérence est le fait de s’introduire dans les affaires d’autrui ou d’un autre État sans en avoir le droit.
- La soumission et la répression :
Les cités alliées doivent prêter un serment d’obéissance à Athènes. En cas de révolte, une cité risque la confiscation de ses biens, la destruction de ses murailles ou de sa flotte, voire l’expulsion de sa population.
Tous ces éléments conduisent à une perte d’autonomie pour les cités soumises.
L’Empire maritime athénien repose donc sur le paiement d’un tribut par les cités, l’ingérence d’Athènes dans leurs affaires et leur soumission.
Le but principal des impérialistes athéniens n’est pas d’enrichir leur cité mais avant tout d’assurer l’autonomie d’Athènes. Ils cherchent par exemple à maintenir la libre circulation de leurs bateaux sur la mer Égée pour garantir l’approvisionnement en céréales qui viennent d’Égypte ou d’Asie. Pour désigner cet empire maritime, les historiens parlent de thalassocratie, littéralement « pouvoir sur les mers », des mots grecs thalassa, la mer, et cratos, le pouvoir.
Thalassocratie à l’extérieur, Athènes reste une démocratie à l’intérieur. Il nous faut donc désormais étudier les évolutions du régime démocratique athénien.
Le « siècle de Périclès »
Le « siècle de Périclès »
Certains historiens ont décrit Périclès comme l’inventeur de la démocratie et ont parlé de « siècle de Périclès » pour désigner le Ve siècle avant J.-C. Pourtant, la démocratie existait avant lui et sa carrière politique a surtout eu lieu entre 450 et sa mort en 429. Quelle a donc été sa véritable influence ?
Périclès, membre de l’élite et partisan de la démocratie
Périclès, membre de l’élite et partisan de la démocratie
Copie romaine d’un buste athénien du Ve siècle avant J.-C. représentant Périclès. Le casque montre sa charge de stratège. ©Jastrow (2006)
Périclès naît vers 490 dans la famille de Clisthène, une famille puissante. Il est le chef de file des partisans de la démocratie face aux défenseurs de l’oligarchie.
Les réformes de Clisthène au début du Ve siècle avant J.-C. sont une étape majeure de la mise en place de la démocratie athénienne.
L’oligarchie est un régime politique où le pouvoir appartient à un petit nombre de personnes.
Orateur de talent, Périclès a été élu stratège quatorze années consécutives au milieu du Ve siècle avant J.-C.
Les stratèges font partie des magistrats athéniens les plus importants. Ils commandent l’armée mais sont aussi chargés de politique extérieure et de questions financières.
À ce poste, il est un des partisans de l’impérialisme. Contemporain et admirateur de Périclès, l’historien Thucydide affirme que « sous le nom de démocratie, c’était en fait le premier des citoyens qui gouvernait ». Les opposants à Périclès le comparent en effet à un tyran.
Un tyran est un individu qui a pris ou conserve le pouvoir illégalement.
Toutefois, Périclès n’est pas véritablement un tyran car il décide avec neuf autres stratèges et leurs décisions sont soumises au vote. De plus, il n’est pas au-dessus des lois puisqu’il a été déchu de sa charge une année et condamné.
Par ailleurs, il mène une politique de prestige et de grands travaux. Il poursuit par exemple la reconstruction de l’Acropole détruite durant les guerres médiques contre les Perses en faisant notamment édifier le Parthénon, vaste temple dédié à Athéna.
À sa mort en 429, au début de la guerre du Péloponnèse, Périclès apparaît donc comme un des acteurs majeurs de la puissance athénienne. Il contribue à son empire et à son prestige mais aussi à l’approfondissement de la démocratie.
Les évolutions de la démocratie athénienne
Les évolutions de la démocratie athénienne
Plusieurs réformes menées par Périclès font évoluer les institutions démocratiques mises en place au début du Ve siècle avant J.-C. :
- Le misthos (ou misthophorie)
Le misthos est une indemnité versée aux citoyens qui participent aux institutions politiques et judiciaires de la cité. Il favorise la participation des citoyens à la démocratie, notamment les plus pauvres qui peuvent dès lors être juges ou magistrats sans perdre une journée de travail. - La restriction du corps civique
Il faut désormais être né de père et de mère athéniens, non plus seulement de père. Cette loi vise surtout à limiter le nombre de bénéficiaires du misthos.
Les réformes institutionnelles de Périclès renforcent donc la participation du peuple, le démos, et limitent en même temps le nombre de citoyens.
La vitalité de la démocratie athénienne à l’époque de Périclès est également reflétée par trois éléments :
- le contrôle des élites par les citoyens à travers la procédure d’ostracisme (que Périclès utilise d’ailleurs contre un de ses adversaires), mais aussi à travers l’opinion publique. Périclès soignait son image en ne vivant pas caché parmi l’élite mais en se rapprochant du peuple ;
L’ostracisme est une procédure qui permet de priver un citoyen de ses droits politiques et de l’exiler pendant dix ans.
- les activités et cultes civiques : participer aux spectacles ou aux fêtes religieuses de la cité comme les Panathénées (fêtes en l’honneur d’Athéna) fait partie de l’identité du citoyen athénien. En effet, cela permet de renforcer le sentiment d’appartenance à une même communauté ;
- et enfin le rayonnement culturel de la cité qui abrite de nombreux philosophes (comme Socrate) ou artistes, d’Athènes et d’autres villes grecques.
La vitalité et la puissance de la démocratie athénienne au Ve siècle font la fierté de Périclès qui voit Athènes comme supérieure aux autres cités et la décrit comme « l’école de la Grèce ».
Les liens entre la démocratie et l’impérialisme athéniens
Les liens entre la démocratie et l’impérialisme athéniens
Les réformes des institutions démocratiques menées par Périclès coïncident avec l’apogée de l’Empire athénien. Quels sont les liens entre démocratie et impérialisme dans l’Athènes antique ?
L’impérialisme consolide la démocratie athénienne
L’impérialisme consolide la démocratie athénienne
L’impérialisme d’Athènes consolide son régime démocratique, notamment grâce aux revenus tirés de l’Empire.
En effet, l’impérialisme permet une participation accrue du peuple aux institutions. Les revenus tirés de l’Empire financent les misthos et les rameurs des trières. Issus des classes les plus pauvres, les rameurs obtiennent progressivement un rôle politique à la hauteur de leur rôle militaire essentiel. De plus, l’Empire a contribué au financement des activités civiques, comme les fêtes et les spectacles Le trésor de la ligue de Délos a aussi participé à la politique de grands travaux d’Athènes, tels ceux du Parthénon.
Ruines du Parthénon sur l’Acropole d’Athènes. Le nom de « Parthénon » vient du nom de la salle de ce temple où étaient entreposés le trésor de la cité et le tribut de la ligue de Délos ©Steve Swayne - CC BY 2.0
Il faut aussi remarquer que l’impérialisme a un effet paradoxal sur la démocratie. Il l’approfondit pour les citoyens mais incite Périclès à restreindre l’accès à la citoyenneté pour limiter le nombre des bénéficiaires des revenus tirés de l’empire.
Pas de démocratie athénienne sans empire ?
Pas de démocratie athénienne sans empire ?
La thalassocratie finance en partie les institutions démocratiques athéniennes mais la démocratie peut se maintenir sans empire, comme le prouve l’étude de la chronologie.
En effet, la démocratie s’est mise en place avec les réformes de Clisthène en 508-507 avant J.-C., soit bien avant la ligue de Délos (vers 478 avant J.-C.) puis sa transformation en un empire athénien. De plus, la démocratie survit à la fin de l’Empire.
En effet, à la fin du Ve siècle, Athènes est vaincue et perd son empire lors de la guerre du Péloponnèse qui l’oppose à Sparte. Profitant de cette défaite, les partisans de l’oligarchie prennent le pouvoir. Ils réduisent le nombre de citoyens et abolissent le misthos. Toutefois, la démocratie est ensuite restaurée. Elle est même approfondie durant le IVe siècle avant J.-C. grâce à l’extension du misthos qui concerne désormais tout citoyen qui assiste à l’Assemblée.
- La démocratie perdure jusqu’à la défaite contre l’Empire de Macédoine d’Alexandre le Grand, à la fin du IVe siècle avant J.-C.
Conclusion :
Au Ve siècle avant J.-C., les Athéniens mènent une politique impérialiste qui transforme une alliance défensive contre les Perses en un empire maritime dominé par Athènes. Dans le même temps, ils mettent en place un régime démocratique basé sur la participation directe du peuple au pouvoir, notamment grâce aux réformes menées par Périclès.
Stratège impérialiste et orateur démocrate, Périclès incarne la puissance de la démocratie et de l’empire athénien. L’impérialisme athénien consolide la démocratie. Cette dernière continue au IVe siècle, même après la perte de l’Empire.