La protection des démocraties : les enjeux de sécurité
Introduction :
La démocratie est un régime politique qui tend à garantir au mieux les droits et devoirs des citoyens. Toute forme d’atteinte physique ou morale, qui serait préjudiciable à ces derniers, est perçue comme des sévices que la démocratie souhaite éviter.
Cependant, des actes de violence adviennent malgré tout et sont autant de remises en causes parcellaires de la démocratie. Qu’il soit question d’attentats ou d’excès sécuritaires, les conséquences de ces violences posent le problème de la protection de l’idéal démocratique.
En premier lieu, nous nous intéresserons à la question du terrorisme. Ensuite, nous étudierons celle de la législation d’exception qui en découle et des enjeux qu’elle pose en termes de sécurité et de démocratie.
Le terrorisme, une menace contre les démocraties
Le terrorisme, une menace contre les démocraties
Parce que le terrorisme pose de graves défis à la démocratie, il convient de préciser ce que recouvre cette notion.
Une définition complexe
Une définition complexe
Malgré de nombreuses études menées ces dernières années par des historiens, le terrorisme reste une notion très compliquée à définir.
Gilles Ferragu, maître de conférence en histoire contemporaine, date le premier acte terroriste au 24 décembre 1800.
En cette veille de Noël, Napoléon Bonaparte se rend à l’opéra accompagné de sa famille. En plein Paris, il est victime d’un attentat au tonneau piégé, dit attentat de la rue Saint-Nicaise. Les conspirateurs, des royalistes extrémistes, manquent leur coup (l’empereur est sauf) mais on dénombrera une vingtaine de morts et autant de blessés.
Représentation de l’attentat de la rue Saint-Nicaise, XIXe siècle
Suite à une enquête menée par le gouvernement afin de traquer les coupables, la France deviendra alors le premier pays à réprimer pénalement le terrorisme.
- C’est cette dimension pénale qui permet une reconnaissance juridique des actes en tant qu’actes terroristes. D’où le choix de ce point d’ancrage par Ferragu.
Néanmoins, Gilles Ferragu s’attarde sur la difficulté d’établir une définition consensuelle (c’est-à-dire une définition qui convienne et qui soit acceptée par tous).
- En effet, ce concept ne s’entend pas de la même façon selon le contexte dans lequel il est employé : selon le pays, le gouvernement qui emploie ce terme et le contexte géopolitique, le terrorisme peut avoir une définition plus ou moins large.
Mais alors s’agit-il d’une question de point de vue ? Quelle différence peut-on établir entre Résistance, par exemple, et terrorisme ? Pour Gérard Rabinovitch, philosophe et sociologue au CNRS, à la différence d’un acte de la Résistance, l’acte terroriste héroïse la violence aveugle pour anéantir l’ennemi, par la paralysie et la peur.
Si la définition du terrorisme reste délicate à établir, il est possible de s’entendre sur une définition de base.
Terrorisme :
Action violente commise par un individu ou un groupe d’individus ayant pour but de mettre à terre un gouvernement et sa politique par le recours à la violence et en instaurant dans la population un climat de peur.
Le terrorisme se démarque par des coups d’éclats ponctuels, irréguliers, et qui peuvent toucher des civils.
Par ailleurs, il faut donc un consensus international pour considérer un individu ou une faction comme étant terroriste.
Par exemple, l’ETA (Euskadi ta askatasuna, ce qui signifie « Pays basque et liberté »), mouvance terroriste militant pour l’indépendance du Pays basque, fut considéré comme un groupe terroriste par consensus international.
Ainsi, le terrorisme est une action violente menée contre l’État et qui correspond à un type de conflit irrégulier, c’est-à-dire qu’il ne répond pas aux règles conventionnelles de la guerre.
Gérard Chaliand, spécialiste des conflits irréguliers, explique que le terrorisme a pris une forme spectaculaire dans la seconde moitié du XXe siècle grâce à l’essor de la télévision qui a contribué à le médiatiser et à accentuer son importance.
Il nuance ainsi l’impact du terrorisme sur les démocraties occidentales qui peut être relativisé (l’Occident a subi statistiquement 2 % des attaques terroristes perpétrées dans le monde depuis 2001).
Les formes contemporaines du terrorisme
Les formes contemporaines du terrorisme
Dans les années 1970, l’Europe a eu affaire à une vague d’attentats perpétrés par des groupes d’extrême gauche : les Brigades Rouges en Italie et la Fraction Armée rouge, surnommée la bande à Baader, en RFA.
Ces groupes extrémistes souhaitaient la fin du modèle capitaliste et l’établissement d’une société horizontale qui aurait permis une meilleure répartition des richesses. La bande à Baader s’en est notamment pris à des grands magasins et des groupes de presse qu’ils considéraient comme étant de droite. Quant aux Brigades rouges, elles sont allées bien plus loin dans la violence en perpétrant notamment des blessures par balles dans les jambes, appelées « jambisations ». Le but initial n’était pas tant de tuer leurs cibles que de les impressionner et leur montrer leur détermination et leur pouvoir de nuisance. Les Brigades rouges poussent la violence jusqu’à enlever et assassiner le chef du gouvernement italien, Aldo Moro, en 1978.
Depuis 2001 et les attentats du 11 septembre, les actes terroristes les plus médiatisés sont plutôt d’ordre religieux, avec, notamment, les actions menées par les terroristes affiliés à l’extrémisme islamiste.
Le terrorisme lié à l’extrémisme islamiste est l’une des sources d’attentats les plus médiatisées ; mais le terrorisme dans son ensemble ne se réduit pas seulement à ce genre de terrorisme religieux.
Organisés au sein de structure qui se démarquent de l’islam traditionnel, ces groupuscules extrémistes agissent dans le cadre de mouvances telles qu’Al-Qaïda ou l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Ces organisations donnent du poids médiatique à ces formes de terrorisme, mais ne doivent pas faire oublier que d’autres formes de terrorisme existent dans le monde, tel que le terrorisme d’extrême-droite.
Parmi les actes terroristes d’extrême-droite récents, on peut notamment penser à l’assassinat de masse perpétré par Anders Breivik en Norvège en 2011, l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande commis par Brenton Tarrant en 2019, ou encore la fusillade d’El Paso perpétrée par Patrick Wood Crusius aux États-Unis en 2019).
Que cela serve une finalité politique ou religieuse, le terrorisme classique est une dérive idéologique au service d’un radicalisme violent contre des personnes.
De nouvelles formes de terrorisme ?
De nouvelles formes de terrorisme ?
L’essor des technologies permet aux organisations terroristes d’utiliser de nouvelles armes.
On parle notamment de « cyberterrorisme ».
Cyberterrorisme :
Forme de terrorisme technologique employant les derniers moyens informatiques et électroniques pour attaquer à distance les serveurs d’une institution dans le but de la déstabiliser, de la rendre temporairement inaccessible ou encore pour récupérer des données privées d’utilisateurs.
- Ces attaques informatiques peuvent avoir des conséquences importantes lorsqu’elles sont dirigées contre un pays : le vol de données secrètes peut provoquer des tensions diplomatiques, la paralysie d’un système de gestion (blocage financier, logistique ou d’approvisionnement énergétique par exemple) peut impacter une partie, voire l’ensemble des citoyens.
Des attaques ont concerné des banques, comme ce fut le cas contre la Banque centrale du Bengladesh en 2016, ou des institutions, comme par exemple lors de l’attaque contre le Quai d’Orsay (ministère des Affaires étrangères français) en 2018.
Dans le cas du Bengladesh, l’attaque a eu lieu contre une partie des fonds que le pays asiatique conserve au sein de la Banque centrale américaine : 81 millions de dollars ont été détournés, probablement par des pirates informatiques agissant pour le compte de la Corée du Nord, un pays qui a des relations extrêmement tendues avec les États-Unis. Avec ce coup d’éclat, il s’agissait donc de décrédibiliser les États-Unis vis-à-vis de leurs alliés.
Quant au Quai d’Orsay, il s’agit d’une cyberattaque contre la plateforme Ariane permettant aux Français voyageant à l’étranger de se tenir informés des éventuels risques qu’ils courent en visitant tel ou tel pays. Ils peuvent aussi renseigner les coordonnées de proches à prévenir en cas de problème. Cette cyberattaque a permis aux pirates de récupérer des données personnelles.
Désigner les commanditaires s’avère en revanche délicat, notamment d’un point de vue diplomatique.
- L’informatique, la vitesse de connexion à Internet et les technologies évoluant très rapidement, la cybermenace est une réalité que gouvernements et citoyens doivent prendre en compte rapidement. Des cellules informatiques constituées de spécialistes existent, notamment au sein du renseignement français, mais la technologie informatique évoluant sans cesse, le cyber-piratage reste très délicat à contrôler.
Ainsi, certains voient dans ces cybermenaces l’avènement d’un terrorisme technologique.
Cependant, la notion de « cyberterrorisme » reste discutable et controversée : le niveau de violence que peut représenter un piratage informatique peut être questionné, au regard des critères de la peur et des atteintes physiques engendrées, si l’on compare avec celui des actes terroristes perpétrés contre des personnes.
La législation d’exception, un paradoxe démocratique ?
La législation d’exception, un paradoxe démocratique ?
Il s’agit d’un concept particulier qu’il convient de comprendre afin de mieux en saisir les enjeux pour les citoyens des démocraties modernes.
Pourquoi une législation d’exception ?
Pourquoi une législation d’exception ?
Un acte terroriste porte atteinte à la sécurité nationale garantie par l’État.
Sécurité nationale :
Il s’agit d’une politique publique définie par un État afin de garantir la protection de sa population, de son territoire et de ses intérêts vitaux.
Cette politique a pour objectif d’identifier la meilleure stratégie possible à adopter pour réussir à préserver la sécurité de ces trois items.
La sécurité nationale est notamment garantie en France par les forces de défense nationale (armée) et les forces de sécurité civile (police, gendarmerie).
Puisque le terrorisme est une pratique en dehors du droit de la guerre et qu’il frappe de manière brutale et difficilement prévisible, l’État est limité dans sa capacité d’anticipation et mobilise donc souvent des dispositifs d’urgence.
Ainsi, dans le but de renforcer la sécurité nationale, pour un temps plus ou moins long, et d’apaiser le sentiment de choc et de peur provoqué dans l’opinion publique, les États peuvent adapter la loi : c’est ce que l’on nomme une législation d’exception.
Législation d’exception :
Il s’agit d’une loi (ou d’un ensemble de lois) prise en marge du droit commun afin de répondre de manière ponctuelle à une situation exceptionnelle.
L’exemple le plus parlant d’une législation d’exception est le plan Vigipirate.
Il est adopté en 1995, sous le mandat du président Jacques Chirac, alors qu’une vague d’attentats marque déjà l’opinion publique de l’époque (exemples : attentat de la station Saint-Michel sur la ligne B du RER parisien le 25 juillet, attentat contre une école juive à Villeurbanne le 7 septembre, ou encore attaque sur la ligne C du RER parisien le 17 octobre). En tout, on répertorie 9 actes terroristes pour un bilan de 10 morts et plusieurs centaines de blessés.
Le plan Vigipirate, réparti en trois échelons, permet notamment, en cas d’attaque terroriste, de répartir efficacement les échelles de responsabilité pour une intervention optimale des secours.
- Sous la responsabilité du Premier ministre, le plan Vigipirate rassemble l’État, les collectivités territoriales, les entreprises et les citoyens dans un élan de lutte contre le danger terroriste.
Ce plan permet notamment :
- d’évaluer la menace terroriste en France et pour les ressortissants français à l’étranger ;
- d’identifier les principales cibles d’attentats potentiels afin de renforcer leur sécurité ;
- de mettre en place un dispositif de sécurité adapté.
Il s’agit du plan le plus ambitieux, en France, pour la sécurité nationale.
Conséquences de ce type de législation
Conséquences de ce type de législation
Le plan Vigipirate instaure une sécurité renforcée, notamment avec la multiplication des contrôles et des fouilles auxquels les citoyens doivent se soumettre pour entrer dans des lieux publics, des sites touristiques et certaines infrastructures accueillant du monde pour des évènements.
Cette législation d’exception, en place depuis plus de 20 ans, a un coût financier important et mobilise de nombreuses personnes.
- En effet, le plan Vigipirate a introduit la figure du militaire comme garant de la sécurité dans les lieux publics.
Les militaires n’opérant plus seulement en casernes ou en opérations extérieures, cela change le rapport du citoyen à la sécurité de façon durable.
Des sociologues ont notamment protesté contre la création d’un climat anxiogène (coût moral), tandis que la mobilisation humaine supplémentaire et les autres moyens déployés (surveillance des messageries électroniques, vidéosurveillance…) ont un coût financier important.
Si la présence militaire se veut effectivement rassurante, elle peut se révéler au contraire inquiétante du fait notamment du port, par les militaires, d’armes de guerre.
D’autant que le plan Vigipirate pose également la question de son efficacité, difficile à évaluer, puisque d’autres attentats ont malgré tout eu lieu depuis sa mise en place.
Tensions entre démocratie et sécurité
Tensions entre démocratie et sécurité
Dans le cadre des lois antiterroristes, on assiste à une restriction des libertés, notamment à travers les multiples contrôles et les dispositifs de sécurité renforcée.
Cette restriction légale dans le cadre de mesures exceptionnelles tend cependant à se pérenniser et à s’appliquer en dehors du cadre stricte des lois antiterroristes.
Plusieurs sujets font ainsi débat : l’usage des caméras ou des technologies de reconnaissance faciale, les contrôles intensifiés, le durcissement de certaines lois… autant de cas où se pose la question de la préservation des droits (exemple : droit à la préservation de sa vie privée) et des libertés (exemple : liberté de circulation) des citoyens.
- De nombreuses voix, notamment au sein de la gauche parlementaire mais aussi dans le milieu associatif, plaident pour que les lois d’exception, prises à l’origine pour lutter contre le terrorisme, ne soient pas détournées au profit d’une surveillance excessive ou contre des mouvements citoyens.
Les lois antiterroristes et autres législations d’exception provoquent ainsi des tensions entre la démocratie, garante des droits et des libertés des citoyens, et la volonté de sécurité qui tend à restreindre ces mêmes droits et libertés au nom de la défense d’un État démocratique.
La problématique posée par les lois d’exception dans le cadre de la préservation de la sécurité nationale est celle qui porte donc sur le maintien d’un haut degré de prévention des actes terroristes tout en veillant à ne pas empiéter sur la démocratie et le respect du droit. Autrement, dit, démocratie et sécurité sont-elles compatibles et si oui, dans quelle mesure ?
Depuis le début de la crise des gilets jaunes, à l’automne 2018, la question se pose de la tension croissante entre démocratie et sécurité.
Le mouvement est en effet un pôle de cristallisation politique : le gouvernement présente le mouvement comme une tentative de déstabilisation du pouvoir qui ne respecte pas toujours la loi (notamment à travers la question des déclarations de manifestations et des débordements violents), tandis que ses soutiens y voient la manifestation d’un gouvernement qui multiplie des démonstrations de force plus ou moins légitimes (question des violences policières) en s’appuyant sur l’arsenal législatif de sécurité renforcée.
Avec le déploiement des réseaux sociaux (YouTube, Facebook ou Twitter), il devient plus facile de témoigner de certains débordements, tant de la part de citoyens (casseurs par exemple) que des forces de l’ordre (violences policière). La question d’un contrôle citoyen se pose alors avec encore plus de pertinence.
Ces tensions démontrent que le terrorisme et les législations d’exception sont des composantes d’une question plus vaste, qui est celle de la sécurité.
L’équilibre entre le respect de la démocratie et de l’État de droit d’une part, et la sécurité d’autre part, est fragile.
- La persistance d’un débat parlementaire et citoyen et un contrôle régulier du dispositif sécuritaire doivent permettre de maintenir cet équilibre.
Conclusion :
Le terrorisme est une forme de violence qui monopolise particulièrement l’attention des gouvernements et des citoyens, et ce notamment depuis l’attaque du 11 septembre 2001.
Son caractère irrégulier et relativement imprévisible amène les responsables politiques des démocraties libérales à prendre des mesures d’exception.
L’application de ces mesures pose de réelles difficultés dans le respect des droits civiques des personnes. Il apparaît donc essentiel de trouver un équilibre entre le respect des droits et des libertés et la dérive du « tout-sécuritaire ».