La montée de la puissance économique chinoise de 1978 à 2001
Introduction :
Entre 1949 et 1976, la Chine connait un gouvernement communiste qui impose une modernisation forcée, autarcique et coupée des marchés internationaux. Ce régime communiste est dirigé par Mao Zedong, qui façonne la Chine selon une vision très personnelle du marxisme, alliant la tradition léniniste avec la culture chinoise : le maoïsme. Au cours des années 1960, celui qu’on appelle le Grand Timonier s’émancipe de la tutelle de l’URSS et propose un modèle de développement alternatif à celui de Moscou, en fondant sa doctrine sur deux éléments : le Grand Bond en avant et la révolution culturelle. À la mort de Mao, en 1976, le régime adopte un virage nettement plus pragmatique, incarné par Deng Xiaoping, à la tête du gouvernement chinois. En ouvrant la Chine à l’économie de marché, Deng parvient à développer un nouveau modèle chinois, alliant communisme et capitalisme.
À travers cette évolution, de quelles manières se caractérise la montée en puissance de l’économie chinoise entre 1978 et 2001 ?
Nous étudierons dans un premier temps comment Deng Xiaoping procède à l’ouverture de la Chine à travers sa politique réformiste. Puis nous verrons dans un second temps sur quels piliers se construit le modèle économique chinois.
L’ouverture de la Chine à l’économie de marché
L’ouverture de la Chine à l’économie de marché
Après la mort de Mao Zedong, la Chine tente de dépasser les clivages idéologiques afin de se réinsérer dans l’économie mondiale, sans pour autant rompre avec son modèle autoritaire d’État communiste.
Deng Xiaoping tourne la page du Maoïsme
Deng Xiaoping tourne la page du Maoïsme
À la mort de Mao Zedong le 9 septembre 1976, la Chine populaire se retrouve orpheline de son fondateur, qui a désigné le fidèle Hua Guofeng comme successeur. Cependant, ce dernier se retrouve contesté par la bande des Quatre, un groupe de proches de Mao conduit par sa propre femme, Jiang Qing et trois autres hauts dirigeants. Instigateurs de la Révolution culturelle, en 1966, qui avait éradiqué une partie de la culture chinoise ancienne, la bande des Quatre entend s’approprier la direction de l’État chinois.
Révolution culturelle :
La grande révolution culturelle prolétarienne, plus couramment connue sous le nom de révolution culturelle, est un événement marquant de la présence communiste en Chine. Elle se déroule de 1966 à 1976 et connaît un retentissement international. Elle s’appuie sur « les gardes rouges », des jeunes gens profondément endoctrinés par Le Petit Livre rouge de Mao. Se met alors en place une lutte contre les « Quatre Vieilleries » que sont les « vieilles idées », la « vieille culture », les « vieilles coutumes » et les « vieilles habitudes ». Cela se fait de manière radicale à travers des actions publiques violentes, des coups, des meurtres, des humiliations. Le chaos est tel qu’il est très difficile d’estimer correctement le nombre de morts (de quelques centaines de milliers à plus de 20 millions). L’armée finit par reprendre le contrôle de la situation alors que le pays était au bord de la guerre civile.
À peine un mois après la mort du Grand Timonier, la bande des Quatre est arrêtée par Hua Guofeng pour leur action centrale durant la révolution culturelle. Malgré le succès de l’arrestation, au 11e Comité central du Parti Communiste Chinois en décembre 1978, Hua Guofeng est incapable d’empêcher la victoire du réformiste Deng Xiaoping. Ce dernier est l’héritier politique du Premier ministre réformiste Zhou Enlai, décédé quelques mois avant Mao, qui avait vivement critiqué la révolution culturelle et le fanatisme idéologique des gardes rouges. Deng parvient habilement à neutraliser Hua Guofeng et accapare tout le pouvoir en quelques mois. En effet, Hua ne perçoit pas les profondes cicatrices laissées par la révolution culturelle au sein des élites communistes chinoises. A contrario, la politique proposée par Deng Xiaoping, articulée autour d’une ouverture à l’économie de marché et d’une plus grande collégialité du pouvoir emporte l’adhésion des cadres du Parti.
Gardes Rouges :
Mouvement chinois rassemblant un grand nombre d’étudiants et de lycéens. Très actifs durant la révolution culturelle, et notamment de 1966 à 1968, leurs exactions finissent par être dénoncées par Mao lui-même qui lance l’armée contre eux. Beaucoup seront arrêtés, emprisonnés ou exilés.
Deng Xiaping en 1979
À la tête de la Chine populaire, Deng Xiaoping reprend les Quatre Modernisations déjà proposées par Zhou Enlai en 1975 : cette politique vise à réformer l’agriculture, l’industrie, la science et la défense nationale pour les adapter aux enjeux contemporains de l’économie mondialisée.
En effet, Deng Xiaoping écarte toute approche idéologique pour se concentrer sur une vision pragmatique du pouvoir. Constatant que la croissance démographique chinoise était intenable et risquait de fragiliser le pays dans les décennies à venir, il met en place la politique de l’Enfant unique en 1979. Celle-ci consiste à interdire les Chinois d’avoir plus d’un enfant par couple, par le biais d’un contrôle fréquent de la fécondité féminine des Chinoises, de mesures contraceptives, de recours à l’avortement et par une politique sociale défavorable aux familles nombreuses. Cette politique de contrôle des naissances a des effets rapides, permettant de stabiliser la démographie chinoise et ayant également des résultats économiques positifs quant au pouvoir d’achat.
La séduction de l’occident
La séduction de l’occident
La politique réformiste de Deng consiste à faire entrer progressivement la Chine populaire dans l’économie mondiale, à la faire sortir de son isolement autarcique sur lequel s’est fondé le régime depuis 1949.
Autarcie :
Un système économique autarcique est caractérisé par la décision du pouvoir d’un territoire géographiquement délimité de vivre en auto-suffisance et de faire en sorte que les acteurs économiques produisent selon les besoins de la population.
De par son alignement sur l’URSS, la Chine est restée isolée sur le plan international et largement déconsidérée par les puissances occidentales jusqu’à tardivement. Malgré la reconnaissance du régime par la France de De Gaulle en 1964, il faut attendre la visite du président américain Richard Nixon en 1972 pour refaire émerger la Chine sur la scène internationale. La visite de Nixon est d’abord un acte de realpolitik, fortement encouragé par son conseiller d’Etat à la sécurité nationale Henry Kissinger. Il s’agissait ici de poursuivre les efforts diplomatiques envers les puissances communistes, comme cela avait déjà été initié auprès de l’Union soviétique.
Realpolitik :
Terme issu de l’allemand et voulant dire « politique réaliste ». Il s’agit, lorsqu’un pays l’applique, de pratiquer une politique étrangère basée sur les forces et l’intérêt dudit pays.
À l’issue de cette rencontre, le Communiqué de Shanghaï est publié, dans lequel les deux pays s’engagent à normaliser leurs relations bilatérales. Deng Xiaoping, après son arrivée au pouvoir, souhaite cependant aller au-delà et ambitionne de faire de la Chine une nouvelle puissance mondiale, en se fondant sur une économie jeune et dynamique.
En 1984, la rencontre du président américain Ronald Reagan avec Deng Xiaoping (sur invitation de ce dernier) marque un tournant dans les relations internationales. Il s’agit d’une visite officielle du Président américain dans le cadre de sa campagne pour sa réélection en novembre de la même année. Par ce geste, Deng souhaite séduire l’Occident afin que celui-ci intègre la Chine dans le marché mondial et montrer que Pékin a définitivement tourné le dos à l’URSS.
Bien que conservant une structure d’État de régime autoritaire, Deng se montre ouvert à l’intégration progressive de son pays à l’économie de marché. Selon son fameux dicton : « peu importe si un chat est noir ou blanc, tant qu’il attrape des souris », Deng souhaite convertir la Chine populaire à l’économie de marché pour en faire une grande puissance économique mondiale. Par ce dicton, Deng montre qu’il est prêt à prendre toutes les mesures économiques nécessaires qu’il estime bonnes pour la Chine, peu important si cela s’inscrit ou non dans la doctrine marxiste du PCC.
Contestation et répression
Contestation et répression
Malgré les efforts affichés pour adapter l’économie et la société chinoise à l’économie de marché, l’État chinois reste foncièrement communiste et totalitaire et ne tolère aucune revendication d’émancipation démocratique. Ainsi, après des années de modernisation au travers de la politique des Quatre modernisations, la population demande au régime d’aller au-delà de ces ambitions et d’adopter une Cinquième modernisation. Cette dernière consisterait à l’extension des libertés individuelles, suggérant que seule la démocratie pourrait être l’aboutissement de la politique réformiste de modernisation impulsée par Deng.
Totalitarisme en Chine :
En Chine, le totalitarisme s’affirme à partir de l’arrivée au pouvoir de Mao et du PCC. Toutefois, il évolue en fonction des dirigeants au pouvoir. Sous Deng, le totalitarisme s’affirme surtout par une répression des contestations et une application stricte de la politique de l’enfant unique.
Cette demande de réforme des libertés individuelles prend la forme de nouveaux courants artistiques modernistes, comme la Nouvelle Vague chinoise, qui se développent dans les grandes villes, mais aussi de revendications étudiantes. Les plus fameuses sont les manifestations de la place Tian’anmen, à Pékin. Le 15 avril 1989, des manifestations d’hommage à un réformateur décédé, Hu Yaobang, se transforment en un mouvement plus général, appelant à résister face à l’autoritarisme du régime communiste et demandant l’instauration de réformes démocratiques. Prenant toujours plus d’importance chaque jour, le mouvement de contestation finit étouffé par l’envoi de l’armée le 4 juin 1989.
La brutale répression qui s’en suit marque la fin du règne de Deng Xiaoping, qui quittera le pouvoir en 1992 après avoir refusé cette Cinquième modernisation. Si Deng souhaite moderniser la Chine sur le plan économique, il considère en effet que le contexte international et la forte démographie chinoise sont des obstacles à une plus grande liberté démocratique. Alors qu’il se retire de la vie politique en 1992, Deng laisse une Chine en pleine croissance économique, affinant toujours plus son modèle mixte, entre communisme et capitalisme.
« Tankman » : un homme se dresse devant la colonne de chars pour empêcher la répression des manifestations pour la démocratie sur la place Tian’anmen, 1989 – ©Michael Mandiberg - CC BY-SA 2.0
Le modèle chinois à la conquête de l’économie-monde
Le modèle chinois à la conquête de l’économie-monde
Avec la politique réformatrice de Deng Xiaoping, la Chine entre pleinement dans la mondialisation économique. Son modèle, à mi-chemin entre totalitarisme communiste et capitalisme libéral permettra à la Chine de devenir dans les années 2000 un acteur économique incontournable.
L’atelier du monde : l’alliance du capitalisme et de la dictature communiste
L’atelier du monde : l’alliance du capitalisme et de la dictature communiste
En axant sa politique sur l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, Deng Xiaoping souhaite appuyer la croissance de la Chine sur le commerce avec l’extérieur. Celle-ci passe alors par le développement du secteur industriel. La Chine, disposant à ce moment d’une population de près d’un milliard d’habitant, a potentiellement des centaines de millions d’ouvriers très bon marché disposés à prendre le relais des industries occidentales déclinantes.
Ces dernières, en Europe comme aux États-Unis, étaient confrontées depuis la deuxième moitié des années 1970 à des salaires élevés et des conditions de travail jugées trop contraignantes par une partie du patronat. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 vont pousser bon nombre d’entrepreneurs à minimiser leurs coûts au maximum afin de relancer leur chiffre d’affaires. La Chine, du fait de son autoritarisme institutionnel, empêche les ouvriers de faire grève pour demander des augmentations salariales ou de meilleures conditions de travail, ce qui est particulièrement bénéfique pour les industriels occidentaux. Si dans un premier temps, la Chine assure la fourniture des commandes industrielles occidentales elle se met par la suite à favoriser massivement les délocalisations déjà en cours en occident.
Délocalisation :
Transfert d’une entreprise vers un pays où la main-d’œuvre est bon marché et où les contraintes (impôts, législation du travail) sont moindres pour les activités économiques, offrant ainsi un avantage compétitif important pour les propriétaires.
Avec ses avantages fiscaux, la Chine incite donc à la délocalisation et aux investissements sur son sol. Ainsi, elle a accéléré le phénomène de délocalisation et par conséquent la désindustrialisation de l’Occident. Les investisseurs et chefs d’entreprises occidentaux disposent en Chine d’une main d’œuvre abondante, soumise et bon marché. Des villes stratégiques comme Shenzhen, située à la frontière de Hong Kong, ont considérablement augmenté leur population sur cette période. Entre les années 1980 et les années 1990, avec l’accélération des délocalisations d’usines en Chine, cette dernière est devenue une puissance industrielle incontournable, surnommée « l’atelier du monde ». Alliant capitalisme et communisme, la Chine développe un modèle favorable aux profits exclusifs des entreprises.
Usine électronique à Shenzhen ©Steve Jurvetson – CC BY 2.0
La construction d’un géant économique
La construction d’un géant économique
Pour devenir l’atelier du monde, la Chine a attiré les investisseurs en facilitant le transfert d’IDE (investissements directs à l’étranger) et l’implantation d’industries dans des zones économiquement stratégiques grâce à la création de zones économiques spéciales (ZES).
Investissement direct à l’étranger (IDE) :
Mouvement international de capital, réalisé pour créer une filière ou bien pour délocaliser une production.
Zone économique spéciale (ZES) :
Région géographique déterminée dans laquelle les autorités publiques (souvent l’État, la région ou la ville) décident une exemption partielle des lois économiques pour y favoriser l’implantation d’entreprises.
La constitution de ZES en bordure des grandes villes ou dans des villes secondaires a permis de canaliser les migrations intérieures, très importantes en Chine du fait de la forte croissance économique. Cet exode rural massif constituant des flots de migrants venus de l’intérieur du pays a aussi favorisé la croissance des villes au travers d’un véritable boom de la construction. En effet, ce secteur a été particulièrement sollicité afin de doter ces villes d’infrastructures modernes capables de supporter une telle pression économique et démographique.
Nouvelle capitale économique et véritable symbole de cette nouvelle Chine, Shanghai a connu dans les années 1980 et 1990 une véritable renaissance après des décennies d’oubli, grâce à l’implantation de nombreuses ZES et par le biais du développement d’entreprises chinoises.
Le quartier d’affaire de Lujiazui à Shanghai, véritable cœur financier de la Chine, 2017 - ©King of Hearts – CC BY-SA 4.0
En effet, si la politique d’incitation économique, via des salaires bas et des avantages fiscaux, a favorisé l’implantation d’entreprises étrangères, elle a aussi permis le développement d’entreprises proprement chinoises. Les politiques de libéralisation de Deng Xiaoping ont favorisé l’initiative individuelle et la naissance d’industries sous-traitantes pour les multinationales étrangères. Par le biais de l’espionnage industriel, de nombreuses entreprises chinoises se sont rapidement développées dans des secteurs clés, s’accaparant les marchés et dépassant alors leurs concurrents étrangers. De nombreuses entreprises chinoises se sont développées tellement vite qu’elles sont devenues en quelques décennies de vraies multinationales.
La Chine, de la reconquête des territoires aux projections extérieures
La Chine, de la reconquête des territoires aux projections extérieures
L’ouverture de la Chine et son retour sur la scène internationale lui permet d’envisager d’étendre son influence au-delà de ses frontières définies en 1949, à l’époque de la fondation de la Chine populaire. Le gouvernement chinois entend en particulier récupérer les deux colonies de Macao et de Hong Kong, cédées respectivement au Portugal et au Royaume-Uni dans les siècles antérieurs.
Grâce à une diplomatie positive et volontariste, Deng Xiaoping parvient à convenir de la restitution de ces deux territoires et leur accorde un statut particulier dans la République populaire de Chine. Ces statuts spéciaux prévoient que les habitants de ces territoires conservent une certaine autonomie politique et économique vis-à-vis du gouvernement central de Pékin, mais également les principes démocratiques hérités de la domination coloniale européenne. Ainsi Hong Kong et Macao se voient-ils garantir par Deng Xiaoping une liberté d’expression, de la presse et démocratique quant aux choix de leurs dirigeants sur une période de cinquante années suivant leur retour dans le giron chinois. Au terme d’une période de transition, Hong Kong est restituée à la Chine en 1997, puis Macao en 1999.
Panorama de la ville de Hong Kong, rétrocédée à la Chine en 1997 ©Estial – CC BY-SA 4.0
En outre, la Chine ambitionne de réintégrer également Taiwan. L’île, qui a recueilli le gouvernement nationaliste du Guomindang en 1949 et qui agit depuis de manière indépendante, est encore considérée comme un territoire rebelle et faisant partie de la Chine.
Outre ces volontés expansionnistes, la Chine développe des réseaux commerciaux denses à l’étranger, notamment par le biais de la diaspora chinoise. Celle-ci comporte le réseau le plus étendu de communautés habitants à l’étranger, servant de relais commerciaux et culturels aux ambitions de Pékin.
Diaspora :
Caractérise un phénomène de dispersion d’une population d’un pays vers l’étranger. Cette diaspora est souvent la conséquence d’une perturbation majeure telle qu’une famine (cas de la diaspora irlandaise après la famine de la pomme de terre au XIXe siècle) ou une guerre (cas de la diaspora des pays de l’ex-Yougoslavie lors de la guerre civile au cours des années 1990).
Avec l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine s’affirme comme une puissance commerciale et économique de première importance sur la scène mondiale.
Conclusion :
Avec Deng Xiaoping à sa tête, la Chine a su tourner la page de l’autarcie maoïste et s’insérer dans l’économie mondiale. Au travers d’une politique de séduction vis-à-vis de l’Occident et des milieux économiques et profitant des conséquences des chocs pétroliers, la Chine a transformé son économie pour devenir en quelques années l’atelier du monde. Cette politique a permis de faire rentrer le pays pleinement dans la mondialisation, en en faisant un pilier essentiel du fonctionnement de l’économie mondiale dans les années 2000. Cependant, malgré les politiques d’ouvertures impulsées par Deng Xiaoping et sa conversion à l’économie de marché, il ne faut pas oublier que le régime n’a permis aucun progrès au niveau des libertés et se sert au contraire de son régime autoritaire pour le mettre au service du capitalisme libéral.