La liberté d'expression et les médias à l'heure du numérique
Introduction :
Avec l’avènement des réseaux sociaux dans le courant des années 2000 (Facebook et Twitter en particulier), Internet a pris une autre dimension, chacune et chacun pouvant s’exprimer, donner son avis, librement et anonymement. Plus encore, c’est l’immédiateté avec laquelle nous pouvons à la fois nous exprimer et constater l’effet de notre expression sur ces réseaux qui a changé la donne quant à la prise de parole.
Cette libre expression numérique est cependant parfois entachée de violences verbales et autres formes de débordement.
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur la pertinence d’encadrer la liberté d’expression à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux.
Pour répondre à cette problématique, nous reviendrons d’abord sur ce qu’est la liberté d’expression avant d’approfondir la distinction entre l’espace public et la vie privée. Enfin nous nous intéresserons au respect des personnes les plus fragiles dans l’exercice de l’expression numérique.
La liberté d’expression en France
La liberté d’expression en France
À l’instar de nombreux droits et acquis sociaux en France, la liberté d’expression est une conséquence de la Révolution française.
Mais elle a connu une progression chaotique avant d’être ce qu’elle est aujourd’hui.
Définition et enjeux
Définition et enjeux
Il faut tout d’abord comprendre précisément de quoi il est question lorsque l’on parle de liberté d’expression dans notre pays.
Liberté d’expression :
Elle permet à chacun d’exprimer librement ses idées par tous les moyens autorisés jugés appropriés (ex : livres, films, etc.) dans les limites du respect d’autrui.
Ainsi, toute personne est libre de penser comme elle l’entend, d’affirmer des opinions qui sont contraires à la majorité, de les exprimer dans la mesure où cela ne porte pas atteinte au respect de l’autre.
Les propos diffamatoires, racistes, appelant à la haine raciale ou au meurtre sont donc punis par la loi.
La liberté d’expression comporte également des limites pour protéger les droits des tiers (vie privée, droit à l’image, droits d’auteur).
- De la liberté d’expression résultent donc la liberté de la presse, la liberté de la communication audiovisuelle et la liberté d’expression sur Internet.
La liberté d’expression en France recouvre ainsi une définition précise et des limites qui le sont tout autant.
Fidèle à l’esprit de la Déclaration de 1789, l’expression est une liberté qui s’exerce dans la limite où elle ne nuit pas à autrui.
Cependant, l’anonymat garanti par Internet impose une vigilance nouvelle au regard de propos haineux qui peuvent être déversés sans que leur(s) auteur(s) puisse(nt) être inquiété(s). C’est donc un réel enjeu de la vie civique actuelle.
Le tournant de la loi de 1881
Le tournant de la loi de 1881
Sous la Révolution, la presse connaît un essor florissant. Chacun y va de sa publication, des républicains les plus radicaux aux royalistes les plus acharnés. Mais le XIXe siècle est aussi celui des empires (1804-1815 et 1852-1870) et de plusieurs tentatives de restaurations monarchiques, durant lesquelles la liberté de la presse est durement mise à mal.
La IIIe République, proclamée en 1870, décide de remédier à cela par la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
- S’inspirant de l’article 11 de la Déclaration de 1789, cette loi est considérée comme le texte fondateur de la liberté d’expression en France.
Bénéficiant d’un large soutien au Parlement lors de son vote, la loi de 1881 supprime notamment l’autorisation préalable des pouvoirs publics à toute publication.
De même, en cas de mise en accusation d’un titre de presse, il est demandé aux accusateurs de motiver précisément leurs griefs, notamment en cas de procédure pour diffamation, qui ne peut d’ailleurs plus être déclenchée si le plaignant ou la plaignante n’a pas déposé formellement une plainte au préalable.
La loi de 1881, en ce qu’elle reconnaît l’importance de la liberté d’expression de la presse, est une étape fondamentale dans la construction de la démocratie française.
Le problème des fausses nouvelles ou infox à l’ère du numérique
Le problème des fausses nouvelles ou infox à l’ère du numérique
Internet est devenu un média prépondérant dans le monde.
Les résultats d’un rapport de 2018 établi par l’agence publicitaire We are social montrent que la France n’échappe pas à ce constat, notamment concernant l’utilisation croissante des réseaux sociaux :
Bien que la liberté d’expression soit un acquis fondamental de l’histoire citoyenne de notre pays, Internet et les réseaux sociaux posent un défi de taille à celle-ci : la multiplication des infox, favorisée par l’anonymat.
Infox :
Terme français désignant l’anglicisme fake news qui signifie, littéralement, une fausse nouvelle. Celle-ci est produite délibérément dans le but de tromper le public à qui elle est destinée et ainsi s’attirer les faveurs de son jugement.
En effet, les comptes anonymes fleurissent sur les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, et il n’est pas rare d’en retrouver lors de débats sur les pages officielles de la presse nationale (Le Monde, Libération, Le Figaro…).
Les comptes anonymes rendent l’identification des auteurs difficile.
Les auteurs de ses comptes peuvent alors parfois agir de manière répressible plus facilement.
De même, Internet étant par essence un réseau mondial, un site qui ne respecterait pas les règles élémentaires de la liberté d’expression en France peut facilement faire héberger son site dans un autre pays, en langue française, puis diffuser son contenu de manière totalement accessible et anonyme dans notre pays.
Le premier exemple d’une problématique due aux infox fut sans doute lié aux attentats du 11 septembre 2001. Les réseaux sociaux n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements, la plupart de ceux que l’on connaît aujourd’hui n’étaient d’ailleurs pas nés.
Toutefois, très vite, des rumeurs se sont propagées quant à l’identité supposée ou fantasmée des auteurs de ces actes, ainsi que sur leurs motivations.
Des infox que l’on retrouve d’ailleurs encore aujourd’hui fleurir ici et là de manière épisodique sur Internet.
Avec l’accès immédiat à de multiples sources d’information plus ou moins fiables permis par Internet, personne n’est à l’abri des infox.
La vigilance citoyenne est donc, sur ce point, capitale.
Distinguer l’espace public de la vie privée
Distinguer l’espace public de la vie privée
L’un des enjeux primordiaux de la liberté d’expression est d’opérer une distinction entre l’espace public, où le débat peut être vif autant qu’il est nécessaire, et la vie privée, qui doit être protégée de toute ingérence extérieure.
Sphère publique : Elle désigne tout endroit où un individu se retrouve en présence d’autres individus qu’il ne connaît pas ou qu’il ne fréquente que dans un cadre relationnel occasionnel (association, entreprise, école, etc.).
Sphère privée :
Cercle restreint, propre à chaque individu, où ce dernier se retrouve en présence de personnes familières (la famille, les amis proches).
L’espace public, l’espace du débat
L’espace public, l’espace du débat
Depuis l’Antiquité grecque, l’espace public a toujours été l’espace de prédilection du débat en démocratie.
Les Athéniens se réunissaient dans un lieu appelé l’agora, mot passé depuis dans le langage courant. Aujourd’hui, ces agoras prennent d’autre forme.
Le numérique a, en effet, créé des agoras virtuelles.
Il a très vite pris le relai des débats télévisés que l’on retrouvait dans des émissions telles que Apostrophes (présentée par Bernard Pivot), Droit de réponse (animée par Michel Polac) ou plus récemment Des paroles et des actes (présentée par David Pujadas).
Le numérique a créé d’autres formes d’agoras : elles sont plus spontanées, lancées le plus souvent à partir de trending topics (sujets tendance) sur Twitter, de mots-clés forts comme ce fut le cas avec les ashtag « Balance ton porc » ou « Me too », en 2018, à la suite du scandale lié au producteur de cinéma Harvey Weinstein.
Sur Facebook ou YouTube, les agoras se créent notamment autour de photos ou de vidéos qui sont censées soulever l’indignation du public et susciter ainsi des débats animés.
L’espace public en tant qu’espace de débats a donc pris une autre forme depuis l’avènement du numérique. Le débat est plus spontané, moins facilement cadré et il n’est plus la chasse gardée d’experts sur des sujets donnés.
Il échappe régulièrement au contrôle et à l’arbitrage des médias, y compris lorsque ce sont eux qui ont initié le débat.
Il est ouvert à un plus grand nombre de gens et peut être aussi bien plus véhément.
La vie privée menacée : revers d’une liberté d’expression sans contrôle ?
La vie privée menacée : revers d’une liberté d’expression sans contrôle ?
En France, la vie privée est un domaine pris très au sérieux par la loi.
Cette dernière est censée protéger les citoyens d’un certain nombre de débordements liés à la liberté d’expression.
Cependant, il n’est pas rare par exemple que des personnalités publiques voient leur vie privée menacée dans le cadre de débats ou autre.
Il arrive ainsi que des personnalités soient harcelées parce que leur vie privée permet de vendre de la presse dite « tabloïd » ou « people », c’est-à-dire de la presse spécialisée dans l’information sur la vie privée de personnes célèbres. Les acteurs et actrices de cinéma, les chanteurs ou les chanteuses sont alors traqués parfois jusque dans leur domicile ou sur leur lieu de vacances, ce qui représente un trouble pour ces personnes autant que pour leurs familles.
La vie privée est donc un domaine qui peut être menacé et qui demande une vigilance particulière de la loi.
Ce que dit la loi
Ce que dit la loi
Quoi qu’il advienne par ailleurs, la vie privée est protégée par la loi.
Il existe certains textes précis qui protègent toutes les catégories de citoyens.
Ainsi, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée en 1948, consacre le droit à la vie privée.
Il en va de même, en France, de l’article 9 du Code civil.
Cet article dispose que le domicile, le secret professionnel et médical, l’intimité et le droit à l’image sont des piliers fondamentaux de la vie privée protégés par la loi.
Que l’on soit une personnalité publique, un politicien ou un simple citoyen, la loi est la même pour tous au sein de notre République.
Ces articles de loi nous protègent et la liberté d’expression ne saurait être sollicitée pour les contourner ou pour accéder à d’éventuels renseignements.
La loi française, renforcée par la législation internationale, protège donc la vie privée de toute forme d’intrusion.
Le respect des personnes fragiles
Le respect des personnes fragiles
Le numérique a, hélas, grandement exposé des personnes, surtout des adolescents, adolescents, aux débordements de la liberté d’expression.
Le cyber-harcèlement
Le cyber-harcèlement
Le cyber-harcèlement s’est grandement répandu en même temps que les réseaux sociaux, faisant de nombreuses victimes.
Cyber-harcèlement :
Il s’agit d’une forme d’agression verbale répétée par un individu ou un groupe contre un autre individu ou un autre groupe, principalement en raison de différences de la ou des victimes.
Cette forme particulière de harcèlement s’opère par le biais de SMS sur les téléphones mais aussi et surtout sur Internet, par le biais notamment de mails ou de messages sur les réseaux sociaux.
Le cyber-harcèlement concerne les personnes les plus susceptibles d’être fragilisées en raison de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur handicap ou de leur apparence physique (cas le plus fréquent dans les affaires de cyber-harcèlement chez les mineurs).
Il n’est pas rare, particulièrement chez les mineurs, que le cyber-harcèlement soit suivi d’actes de violences physiques et, dans les cas les plus extrêmes, de la mort de la victime, par suicide le plus souvent.
La protection des données personnelles
La protection des données personnelles
Avec l’avènement du numérique, les données personnelles sont l’objet de nombreuses convoitises à des fins frauduleuses.
Qu’il s’agisse de son identité, de ses comptes bancaires ou simplement de ses préférences de navigation sur Internet, les données personnelles sont l’un des grands enjeux du numérique.
En effet, les pirates informatiques, appelés hackers, peuvent s’en saisir à tout moment pour utiliser, par exemple, des données de carte bancaire et ainsi voler de l’argent.
L’usurpation d’identité est un autre exemple de détournement de données personnelles.
Enfin, les grandes entreprises du numérique, que ce soient les GAFAM américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) ou les BATX chinois (Baïdu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) cherchent à collecter ces données afin de proposer des publicités et du marketing ciblés aux individus afin de les pousser à consommer, ayant constamment comme objectif de susciter l’achat impulsif.
- Sous couvert de liberté d’expression, les plus puissants ou les plus retors peuvent se servir d’Internet pour influencer ou attaquer les personnes, avec pour objectif de contourner ou contrevenir à la loi.
Le rôle de la CNIL
Le rôle de la CNIL
La CNIL (Commission nationale informatique et libertés) est une autorité administrative indépendante qui a été créée en 1978.
Initialement, son rôle est de mettre l’informatique au service de la citoyenne et du citoyen.
Mais avec l’accélération du déploiement d’Internet et la place prépondérante prise par les réseaux sociaux, son champ d’action s’est élargi.
La CNIL veille à garantir que les données personnelles soient protégées, et à ce que toute forme d’expression numérique soit respectueuse des personnes et en aucun cas discriminatoire.
L’action de la CNIL a connu une forme de reconnaissance en 2016 lorsque le Parlement européen a adopté la loi RGPD (Règlement général sur la protection des données).
Dorénavant, c’est l’Europe des 28 qui retranscrit dans la loi la protection des données personnelles, de la vie privée et de la préservation de l’intégrité des citoyens de l’UE.
La CNIL est donc une vigie du numérique.
Renforcée par la loi RGPD de 2016, elle a toute latitude pour servir de bouclier virtuel face aux dérives du numérique.
Conclusion :
La liberté d’expression est un pilier fondamental de la vie républicaine et démocratique en France.
Cependant, elle est limitée par certaines bornes posées par la loi afin de ne pas discriminer ou contrevenir à l’intégrité de qui que ce soit.
Le numérique a déplacé l’espace du débat public, de même qu’il en a grandement facilité l’initiative.
Cependant, cela s’est accompagné d’une dérive avec l’intrusion grandissante dans la vie privée des parties prenantes au débat ainsi qu’avec la problématique du cyber-harcèlement.
Enfin, les nouvelles formes de délinquance et de criminalité liées au numérique abusent de la non-vigilance ou de la fragilité des personnes.
C’est dans cette optique qu’une initiative comme la CNIL doit être encouragée et soutenue.