La Deuxième République (1848-1852) et les hésitations de la société française
Introduction :
En juillet 1830, la révolution des Trois Glorieuses profite à Louis Philippe 1er : il est en effet proclamé roi des Français par le Parlement et monte sur le trône. Ce détournement de la révolution au profit d’intérêts bourgeois est largement contesté, surtout par les républicains. Ces derniers s’organisent en sociétés secrètes et mettent en place des « banquets » en 1847 au cours desquels ils discutent du régime en place et de leurs programmes politiques. L’interdiction de ces banquets initiera une révolte à l’origine de l’instauration de la Deuxième République. Toutefois, la société française est toujours divisée, et la République reste fragile.
Pourquoi peut-on dire que l’échec de la Deuxième République témoigne des hésitations de la société française entre 1848 et 1852 ? Nous étudierons dans un premier temps les aspirations et les revendications de cette nouvelle République ; nous analyserons ensuite sa mise en place, et pour finir son rapide déclin et sa dissolution par la force.
L’héritage de la Révolution de 1789 et les nouvelles aspirations de la société française
L’héritage de la Révolution de 1789 et les nouvelles aspirations de la société française
La fin de la monarchie de Juillet
La fin de la monarchie de Juillet
Après l’interdiction de banquets républicains, une insurrection éclate à Paris le 23 février 1848. Rapidement, la Garde nationale passe à l’opposition après qu’une fusillade a eu lieu sur le boulevard des Capucines.
Banquet républicain en 1847
Banquets républicains :
Les banquets républicains constituent la prise de repas en commun sous la monarchie de Juillet afin de discuter des affaires politiques.
Garde nationale :
La Garde nationale est une milice bourgeoise créée en 1789 et affectée au maintien de l’ordre.
Un gouvernement provisoire est formé le 24 février, et la République est proclamée le même jour.
Dans ce gouvernement provisoire se retrouve la diversité des opinions politiques du moment :
- les légitimistes, qui sont des monarchistes partisans de la branche aînée des Bourbons détrônée en 1830 ;
- les orléanistes, des monarchistes également mais partisans de la branche cadette des Bourbons (Les Orléans), sur le trône avec Louis-Philippe Ier de 1830 à 1848 ;
- les républicains, partisans de la mise en place d’un régime au sein duquel le pouvoir ne serait pas héréditaire ;
- les libéraux, partisans de la mise en œuvre de la liberté économique et des libertés politiques (ils peuvent être monarchistes ou républicains) ;
- les socialistes ;
- et les ouvriers, qui regroupent les personnes travaillant de leurs mains et ne possédant pas leur outil de travail. L’ouvrier peut être urbain ou rural (ouvrier agricole), et il peut être ouvrier à temps partiel ou à temps complet. La diversité est grande au sein de cette catégorie tout au long du XIXe siècle.
Les premières mesures sociales et politiques du gouvernement provisoire
Les premières mesures sociales et politiques du gouvernement provisoire
Le droit au travail est proclamé : la journée de travail diminue d’une heure et des ateliers nationaux sont créés pour les ouvriers au chômage. Un impôt est d’ailleurs voté (l’impôt des 45 centimes) pour financer ces mesures.
Les ateliers nationaux au Champ-de-Mars, gravure de Bouton, vers 1849
Ateliers nationaux :
Les ateliers nationaux sont des chantiers créés post-révolution de 1848. L’objectif était par ce biais de fournir du travail et un salaire aux ouvriers parisiens au chômage.
Impôt des 45 centimes :
Fortement impopulaire, l’impôt des 45 centimes est instauré le 16 mars 1848 par le Gouvernement provisoire. Il représente une augmentation de l’imposition de 45 centimes sur chaque franc versé (soit 45 %) dans certains impôts.
En parallèle, le suffrage universel masculin entre en vigueur, la peine de mort pour raisons politiques est abolie, les titres de noblesse également. Victor Schœlcher est, de plus, à l’origine de la seconde abolition de l’esclavage (qui avait été rétabli par Napoléon en 1802).
Dans le même temps, la liberté de la presse devient totale, les journaux se multiplient et 300 nouveaux titres voient le jour. Les arbres de la liberté sont à nouveau plantés, rappelant la Révolution de 1789, tandis que les clubs (sur le modèle de ceux de 1789) se développent : on en dénombre 236 à Paris).
Les clubs sont des associations héritées de la révolution où l’on se regroupait pour discuter en fonction de ses opinions politiques.
Le 23 avril 1848, une assemblée constituante est élue par les citoyens français au suffrage universel masculin. Elle est composée de 900 députés dont la majorité sont des Républicains modérés, voire des royalistes. La volonté de changement social, souhaitée par les révolutionnaires parisiens, semble alors s’être diluée dans le vote de l’ensemble des Français.
La République et la fin de la Révolution en France en 1848
La République et la fin de la Révolution en France en 1848
Les ouvriers parisiens face aux partisans de l’ordre : les journées de juin 1848
Les ouvriers parisiens face aux partisans de l’ordre : les journées de juin 1848
Les ouvriers sont soupçonnés d’entretenir l’agitation politique dans le cadre des ateliers nationaux. L’assemblée décide donc de fermer ces derniers le 21 juin 1848. Cet évènement est le détonateur des « Journées de Juin » : du 23 au 26 juin, les ouvriers dressent des barricades et se révoltent.
Barricade dans la rue de Soufflot, à Paris le 25 juin 1848, Horace Vernet, 1848
La répression menée par le général Eugène Cavaignac et la Garde nationale est sanglante (4 000 morts) et traumatise l’ensemble des Français.
Ces journées marquent le début de la réaction politique : la journée de travail repasse à 12 heures à Paris et la liberté de la presse est limitée. De nombreux leaders républicains et socialistes sont écartés de la vie politique.
La mise en place de la Deuxième République
La mise en place de la Deuxième République
Le 4 novembre, la nouvelle constitution est votée : elle prévoit une Assemblée nationale élue au suffrage universel masculin, un président de la République élu au suffrage universel pour quatre ans avec un mandat non-renouvelable. Les conseils municipaux sont également élus au suffrage universel direct.
Le 10 décembre 1848, c’est Louis Napoléon Bonaparte qui est élu président de la République avec 74,2 % des voix. Le 13 mai 1849, aux élections législatives le parti de l’Ordre (conservateur) l’emporte avec 65 % des voix face aux « démocrates-socialistes ».
Démocrates-socialistes :
Les démocrates-socialistes appartiennent à un courant précurseur du socialisme, apparu pendant la monarchie de Juillet, qui réclame le suffrage universel et l’organisation du travail par l’État dans le cadre d’une « République sociale »
Parti de l’Ordre :
Le parti de l’Ordre regroupe l’ensemble des forces politiques conservatrices faisant face aux démocrates-socialistes à partir de 1848.
C’est le vote des campagnes, de la bourgeoisie et des conservateurs qui semble être à l’origine de ces choix électoraux, contre le vote des ouvriers et des républicains (habitants des villes).
La République se réalise alors sans les républicains. L’instruction est confiée plus largement au clergé (loi Falloux de 1850), les libertés politiques sont encadrées plus strictement (loi Riancey sur la presse, loi sur les clubs).
Enfin, la réforme de la loi électorale aboutit à la fin du suffrage universel en prévoyant un délai de résidence de trois ans pour accéder au vote, ce qui exclut de fait de nombreux ouvriers itinérants (3 millions de votants en moins).
Le coup d’État et le passage à l’Empire
Le coup d’État et le passage à l’Empire
L’opération Rubicon
L’opération Rubicon
Voyant la fin de son mandat approcher, Louis-Napoléon Bonaparte organise un coup d’État le 2 décembre 1851 (l’opération Rubicon), date anniversaire de la victoire d’Austerlitz et du sacre de Napoléon Ier. Il s’agit pour Louis-Napoléon de clore définitivement la Révolution. Face à lui, les députés résistent légalement en tentant de le destituer, sans succès.
Cavalerie dans les rues de Paris, le 2 décembre 1851, The Illustrated London News 13 décembre 1851
Les soutiens du coup d’État
Les soutiens du coup d’État
Pour ce coup d’État, Louis-Napoléon Bonaparte bénéficie de soutiens. Tout d’abord, le financement est assuré par Achille Fould, ministre des finances rallié tardivement au bonapartisme, et d’autres généreux donateurs. Ensuite, le général Magnan, mais aussi le maréchal de Saint-Arnaud, deux militaires prestigieux, lui apportent leurs soutiens. Le demi-frère de Louis-Napoléon, Auguste Morny, et Émile de Maupas, le préfet de police de Paris, l’aident également. Dans le même temps, la magistrature ne réagit pas, apportant ainsi un soutien implicite à l’événement.
Les réactions des Français face au coup d’État
Les réactions des Français face au coup d’État
Des soulèvements éclatent à Paris où une fusillade fait plus de 300 morts, et en province, dans un triangle Gers-Yonne-Var. La répression se déchaîne et plus de 30 000 personnes sont arrêtées, tandis que les chefs de l’opposition s’exilent comme Victor Hugo, Edgar Quinet ou Victor Schœlcher en Angleterre et que les opposants sont proscrits.
Proscrit :
Le terme de "proscrit" désigne les opposants condamnés à l’exil ou à la « transportation » (déportation vers l’Algérie ou Cayenne).
Cependant, de nombreuses campagnes ne réagissent pas à l’annonce du coup d’État et il semble, au final, que la légitimité personnelle l’ait emporté sur la légalité.
Conclusion :
Digne héritière de 1789, la Deuxième République impose des mesures sociales et politiques très progressistes, dont notamment le suffrage universel masculin. Mais, à l’instar des différents régimes qui la précèdent, elle ne fait pas l’unanimité auprès des Français. L’opposition très franche, notamment entre les royalistes et les républicains, et au sein-même des républicains, désunit les Français qui peinent à faire Nation.
Ce climat d’incertitude profite à Louis-Napoléon Bonaparte qui devient président de la République en 1848 puis prend le pouvoir par la force militaire en 1851.