Les frontières en débat : reconnaître et dépasser les frontières
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Introduction :
En tant que matérialisation des divisions politiques du monde, les frontières font l’objet de nombreux débats. Leur reconnaissance n’est pas toujours chose aisée : elle peut passer notamment par des conflits, des négociations plus ou moins longues et complexes. Car derrière les frontières, il y a la plupart du temps un rapport de force.
Une confrontation armée est souvent à l’origine des limites de souveraineté fixées par les États. C’est le cas de la frontière germano-polonaise qui est redéfinie après la Seconde Guerre mondiale, puis devient objet de négociations diplomatiques pendant la guerre froide.
Dans une approche un peu différente, il existe des espaces pour lesquels on tente de fixer des règles de façon collective, entre délimitation de frontière et dépassement de celles-ci. C’est le cas des frontières maritimes, qui ne sont pas issues de confrontation armée ou d’accords directs entre deux États, mais de négociations menées par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Pourtant, aujourd’hui, les frontières maritimes sont de plus en plus contestées. L’objectif qui consistait à atténuer les divisions politiques du monde sur les mers et océans peut-il être atteint ?
Nous allons donc étudier les frontières comme objet de débat en deux parties.
Dans un premier temps, nous montrerons, à travers l’exemple d’une frontière terrestre, comment la reconnaissance de la frontière germano-polonaise, tant par les États que par les populations, s’opère par un glissement entre guerre et diplomatie.
Ensuite, nous verrons, à travers les frontières maritimes, comment le droit de la mer tente d’élargir le concept des frontières sans parvenir à empêcher les conflits.
Reconnaître la frontière : la frontière germano-polonaise de 1939 à 1990, entre guerre et diplomatie
Reconnaître la frontière : la frontière germano-polonaise de 1939 à 1990, entre guerre et diplomatie
La Pologne émerge au XIe siècle, avec le royaume de Pologne. Elle forme ensuite un grand État au XVIe siècle, né de son alliance avec le grand-duché de Lituanie. Puis en 1795, elle est absorbée ses voisins expansionnistes : à l’est, l’Empire russe, et à l’ouest, la Prusse et l’Empire d’Autriche. La Pologne ne réapparaît en tant qu’État indépendant qu’à la fin de la Première Guerre mondiale.
- Les frontières polonaises ont donc été le théâtre de nombreux conflits et traités au cours de son histoire.
IMAGE 1 : évolution territoriale de la région correspondant à l'actuelle Pologne
Nous allons essayer de comprendre comment et pourquoi le tracé de la frontière germano-polonaise est en débat de 1939 à 1990.
Le tracé de la frontière marqué par la guerre
Le tracé de la frontière marqué par la guerre
Le traité de Versailles est un traité de paix signé le 28 juin 1919 à l’issue de la Première Guerre mondiale.
L’Allemagne est considérée comme responsable de la guerre. Elle perd alors 15 % de son territoire au profit de la Pologne essentiellement.
En effet, dans l’entre-deux-guerres, la Pologne est recréée et son indépendance et sa souveraineté retrouvée sont affirmées par le tracé de nouvelles frontières.
Le corridor de Dantzig permet ainsi de donner à la Pologne un accès à la mer Baltique. Mais ce faisant, il sépare l’Allemagne en deux entre la Première et la Seconde Guerre mondiale.
Si le territoire correspondant au corridor appartient désormais à la Pologne, Dantzig est pour sa part une ville libre sous la protection de la Société des Nations (prédécesseur de l’ONU).
Hitler s’est toujours opposé au traité de Versailles qu’il considère comme un Diktat – une paix dictée par les Alliés.
- Il remet en cause le nouveau découpage territorial et revendique le corridor, ainsi que la ville de Dantzig où vivent des minorités allemandes.
Après l’Autriche, les Sudètes et la Bohême-Moravie, Hitler attaque la Pologne le 1er septembre 1939 et commence par annexer le corridor et la ville de Dantzig.
Il avait pris soin de signer, le 23 août 1939, le pacte germano-soviétique qui décide du partage de l’Europe orientale en deux zones d’annexion. Ainsi, les Allemands envahissent la Pologne le 1er septembre 1939, les Soviétiques le 17 septembre.
Pacte germano-soviétique :
Également connu sous le nom de Molotov-Ribbentrop, du nom des deux ministres des affaires étrangères soviétique et allemand, cet accord est un pacte de non-agression, signé le 23 août 1939, entre l’Allemagne et l’Union soviétique.
Il est rompu par Hitler avec l’invasion de l’URSS (déclenchement de l’opération Barbarossa), le 22 juin 1941.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le territoire polonais est donc partagé entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique : la Pologne, en tant qu’État souverain, disparaît de nouveau.
L'Allemagne annexe une partie de la Pologne occidentale. Au centre, elle occupe un territoire, qui devient le Gouvernement général de Pologne, dirigé par le gouverneur allemand Hans Frank jusqu’en 1945.
L’URSS occupe quant à elle la Pologne orientale.
IMAGE 3 : la Pologne au début de la Seconde Guerre mondiale
Après le 22 juin 1941, la zone orientale annexée par les Soviétiques en 1939 est envahie par l'Allemagne au cours de l’opération Barbarossa.
Puis, c’est le reflux à partir de l’année 1944 : l’Armée rouge repousse les forces allemandes vers l’ouest de la Pologne.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, pour compenser ses pertes humaines et les destructions des nazis, l’Union soviétique souhaite absolument récupérer les territoires préalablement annexés, c'est-à-dire les pays baltes, la partie orientale de la Pologne avec une partie de la Biélorussie et de l’Ukraine, ainsi que la Bessarabie (région correspondant plus ou moins à l’actuelle Moldavie).
- La frontière orientale de la Pologne est tracée pendant la conférence de Yalta en février 1945.
À l’est, la Pologne perd ainsi 161 000 km2 au profit de l’URSS.
Concernant sa frontière occidentale, la Pologne obtient l'administration et la gestion des territoires situés à l’est d’une ligne constituée par le fleuve Oder et la rivière Neisse.
Il existe un débat sur la Neisse, car il y en a une qui coule sud-nord entre la Saxe (est de l’Allemagne) et la Silésie (sud-ouest de la Pologne) et une autre, beaucoup plus à l’est, qui coule en pleine Silésie. Le choix se porte sur la Neisse occidentale.
- La frontière occidentale temporaire entre l’Allemagne et la Pologne est décidée pendant la conférence de Potsdam en août 1945.
L’établissement de cette frontière procure à la Pologne un gain de 85 000 km2 à l’ouest, ainsi qu’un accès à 600 km de côtes.
IMAGE 4 : le fleuve Oder et la rivière Neisse
Ces nouvelles frontières politiques offrent deux avantages :
- elles donnent un aspect beaucoup plus compact au territoire polonais ;
- l’établissement de la frontière sur la ligne Oder-Neisse supprime l’étroit corridor de Dantzig.((liste2)) Mais au total, le territoire polonais est plus petit : il est passé de 390 000 km2 à 313 000 km2.
IMAGE 5 : le déplacement des frontières de la Pologne
Il est important maintenant de comprendre que le nouveau tracé des frontières polonaises a des conséquences majeures sur les populations.
Les conséquences sur les populations
Les conséquences sur les populations
En 1945, près de 15 millions de Volkdeutsche vivent hors d’Allemagne, parfois depuis des siècles.
Volkdeutsche :
Terme désignant des personnes dont la langue maternelle est l’allemand mais qui vivent hors d’Allemagne ou d’Autriche.
Pour leur soutien réel ou supposé à la conquête hitlérienne, les Volkdeutsche sont presque tous expulsés de Pologne et déportés vers l’Allemagne.
L’article 13 des accords de Potsdam autorise les expulsions de tous les Allemands résidant à l’est de la ligne Oder-Neisse, « à condition qu’elles soient réalisées de manière ordonnée et humaine ».
Alors comment se sont déroulées ces expulsions ?
L’exemple des habitants de Breslau, en Silésie (sud-ouest de la Pologne), illustre la migration forcée des Allemands.
À Breslau, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands représentent une majorité écrasante de la population. Le dernier recensement avant la guerre avait dénombré 629 565 habitants dont 97 % d’Allemands.
En janvier 1945, les premiers civils sont évacués avant l’arrivée des soviétiques. Ils sont à pied et ceux qui y parviennent traversent l’Oder gelée. On estime à 90 000 le nombre de victimes lors de ces évacuations. De février à mai 1945, la ville est assiégée par l’Armée rouge et compte encore 200 000 civils. Elle capitule le 6 mai, quatre jours après la prise de Berlin.
Le bilan humain est estimé à 6 000 soldats allemands tués et 23 000 blessés.
Reddition de la garnison allemande à Breslau le 6 mai 1945
Les pertes civiles sont plus difficiles à évaluer : entre 20 000 et 30 000 tués selon les sources. Les suicides sont nombreux. Dès le 9 mai 1945, les Soviétiques imposent à Breslau une administration polonaise provisoire et la ville est rebaptisée Wroclaw.
Les civils survivants sont chassés vers l’Allemagne. Mais il faut repeupler la ville et c’est alors un échange de population qui a lieu. Originaires de Vilnius ou de Lvov, des Polonais expulsés de leur patrie à l’est de la Pologne sont « rapatriés » à Breslau pour rebâtir Wroclaw.
Le sort de Breslau est exemplaire de la migration forcée des Allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale, du moins des deux premières étapes car, pour l’ensemble de la Pologne, on distingue trois étapes :
- Les mois précédant la capitulation, plusieurs centaines de milliers de civils allemands prennent la fuite, tentant d’échapper à l’avancée des troupes soviétiques.
- Dans une deuxième phase déclenchée aussitôt après la défaite allemande, on assiste à des expulsions informelles et irrégulières des populations vaincues. Ces expulsions interviennent dans un climat de vengeance des Soviétiques envers les Allemands. Ils sont chassés de leur maison par les vainqueurs. Des décrets urgents les exproprient de leurs biens. Ils sont humiliés et jetés sur les routes dans le plus grand dénuement.
- La troisième phase, l’expulsion concertée et encadrée des Allemands, intervient après la conférence de Potsdam, lors de laquelle la répartition des Allemands de Pologne fait l’objet d’un accord entre signataires. Dès novembre 1945, des transports collectifs sont organisés depuis les régions désormais polonaises mais sous contrôle soviétique. Un plan de répartition envoie les expulsés dans les quatre zones d’occupation de l’Allemagne : soviétique, américaine, britannique et française. Les transferts se prolongent jusqu’en 1949.
Au total, cette migration forcée est massive.
Elle concerne quelque 13 millions d’Allemands venus de toute l’Europe de l’Est, dont 7 millions de Pologne.
L’accueil en Allemagne est un défi considérable. Les réfugiés arrivent, en effet, dans un pays appauvri et détruit. Ils n'ont pas toujours été très bien accueillis en Bavière ou en Bade-Wurtemberg, car ils ont des pratiques religieuses différentes. Beaucoup sont protestants, luthériens, dans une Allemagne occidentale où les catholiques dominent. Ils ont aussi des spécificités linguistiques et, surtout, ils rappellent la défaite du Reich. Enfin, dans le contexte d’après-guerre, ils sont des concurrents pour l’obtention d’une aide humanitaire.
La violence du départ, qui est vécu comme un arrachement, un déracinement, rend l’acceptation de la nouvelle frontière difficile.
Très vite, les expulsés deviennent l’un des enjeux de la guerre froide et de la concurrence entre les deux Allemagnes.
De la guerre froide à 1990 : les enjeux de la frontière germano-polonaise
De la guerre froide à 1990 : les enjeux de la frontière germano-polonaise
Un enjeu de la concurrence entre les deux Allemagnes
Un enjeu de la concurrence entre les deux Allemagnes
En zone d’occupation soviétique, le terme de « réfugié » est proscrit et les nouveaux arrivants sont enregistrés comme des « déplacés ».
- Ce terme, par sa neutralité, tente de faire accepter la nouvelle frontière en dédramatisant la migration.
Cette position est encore plus marquée lorsque la zone allemande d’occupation soviétique devient la RDA, en 1949, renforçant la collaboration avec l’URSS mais aussi avec les voisins de l’Est que sont la Pologne et la Tchécoslovaquie.
Les « déplacés » doivent se fondre dans la société communiste. L’opposition à la nouvelle frontière avec la Pologne est considérée comme du revanchisme et de la propagande nazie. Ceux qui cultivent l’idée du retour sont victimes de répressions.
En 1950, le gouvernement de la RDA signe, avec le gouvernement polonais, le traité de Görlitz qui reconnaît « la frontière établie et existante comme une frontière de paix et d’amitié inviolable, qui ne divise pas mais lie les deux nations ».
1951 : Poignée de main entre Wilhelm Pieck (président de la RDA) et Bolesław Bierut (président de la Pologne), au-dessus d'une représentation de la frontière. Ce timbre représente le traité de Görlitz.
En zone d’occupation occidentale, les Alliés commencent par considérer les Allemands chassés de leur patrie comme des « réfugiés ». Puis, dès 1946, et encore plus lorsque les zones occidentales fondent la RFA en 1949, le terme d’« expulsés » s’impose.
- Ce terme contient une condamnation morale de la manière dont les civils allemands ont été traités, mais exprime également l’impossible retour dans les régions d’origine devenues communistes.
Cependant, au moment de la détente, l’Ostpolitik – politique étrangère tournée vers l’Est – menée par le chancelier Willy Brandt entérine la frontière. Le traité de Varsovie en 1970 reconnaît la perte définitive des anciens territoires de l’Ouest. La ligne Oder-Neisse est considérée comme la frontière occidentale de la Pologne. Ce traité engage aussi la Pologne et la RFA à ne pas recourir à la force pour régler leurs différends.
Le 7 décembre 1970, Willy Brandt, se rend au monument qui commémore les victimes juives du soulèvement du ghetto de Varsovie contre les nazis. Après avoir déposé une gerbe, il s’agenouille et ce geste devient le symbole de la réconciliation entre la RFA et la Pologne.
Plaque du monument de la place Willy-Brandt à Varsovie
Comprenant que leur retour est compromis, les associations de réfugiés multiplient les manifestations à l’ouest contre ce traité.
- Il existe souvent un décalage entre les populations et les États dans la reconnaissance de la frontière.
Un enjeu de la réunification
Un enjeu de la réunification
La réunification allemande en 1990 s’accompagne de la confirmation des frontières.
Le chancelier Helmut Kohl ne dit pas un mot sur les frontières dans un premier temps et la diplomatie polonaise s’en inquiète. Les Polonais souhaiteraient que la frontière occidentale de leur pays soit confirmée avant la réunification.
Le 17 juillet 1990, à Paris, le traité 2 + 4 (ou traité de Moscou) se prononce sur le caractère définitif des frontières de l’Allemagne qui seront celle de l’ancienne RDA et de l’ancienne RFA.
Il s’agit d’un traité entre les deux Allemagnes (Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est) et les quatre Alliés de la Seconde Guerre mondiale (URSS, États-Unis, Royaume-Uni et France).
La Pologne et l'Allemagne s'engagent à signer un traité complémentaire sur leurs frontières. Le 31 août 1990 est signé le traité de réunification. Le 3 octobre 1990, l’Allemagne est réunifiée et le 14 novembre est signé un traité entre la Pologne et l’Allemagne qui reconnaît définitivement la ligne Oder-Neisse.
La Pologne entre dans l’Union européenne en 2004 et des euro-régions sont créées de part et d’autre de la frontière, ancienne ligne Oder-Neisse.
La fin de l’URSS et du pacte de Varsovie permet à l’Allemagne, qui décline démographiquement, d’accueillir de nouveaux descendants allemands d’Europe orientale, les Spätaussiedler, ou « migrants tardifs ».
L’exemple de la frontière germano-polonaise montre l’intérêt de la voie diplomatique pour résoudre un problème frontalier.
Il montre aussi que la frontière est à la fois un objet géopolitique entre États, enjeu territorial traditionnel des relations internationales, mais aussi un objet d’appropriation par les populations.
La frontière est donc une question de reconnaissance à la fois diplomatique et sociale.
Les frontières maritimes, que nous allons aborder maintenant, sont tout à fait différentes des frontières terrestres. Elles ne constituent pas des frontières stricto sensu mais plutôt des délimitations juridiques permettant une répartition de ressources entre États.
Cependant, le nationalisme peut amener les populations à entrer dans le débat de ses délimitations.
Dépasser les frontières : le droit de la mer
Dépasser les frontières : le droit de la mer
Les espaces maritimes représentent un peu plus de 70 % de la surface de la Terre. Leur immensité les rend impossibles à contrôler en totalité et ils pourraient bien se prêter au règne de la loi du plus fort.
Les espaces maritimes sont, en effet, des lieux de plus en plus convoités en tant que nouvel eldorado pour les ressources, mais aussi en tant qu’espace de circulation exceptionnel et manifestation de puissance géopolitique.
Leur régulation nécessite la mise en place de règles. Ces règles, qui consistent à créer des frontières maritimes, permettent-elles d’atténuer les rivalités ?
Délimiter les frontières maritimes
Délimiter les frontières maritimes
Lors de la conférence de Montego Bay, en Jamaïque, en 1982, la convention des Nations unies sur le droit de la mer crée des frontières maritimes précisément délimitées.
- En un sens, l’idée consiste à territorialiser des espaces maritimes.
- La conférence établit tout d’abord l’extension des eaux territoriales des États de 12 à 24 milles nautiques à partir du trait de côte.
1 mille nautique correspond à une distance de 1 852 mètres.
- Au-delà de 24 miles nautiques et jusqu’à 200 milles nautiques (soit 370,4 km), la convention a défini une ZEE (Zone économique exclusive) dans laquelle l’État côtier bénéficie d’un droit exclusif d’exploration et d’usage des ressources (mais ne peut empêcher le survol ni la circulation).
- Passés ces 200 milles nautiques, les États peuvent prétendre à un agrandissement de leur ZEE jusqu’à 350 milles nautiques, s’ils parviennent à prouver que la zone revendiquée fait partie du plateau continental.
- Le droit international définit aussi ce qu’est une île, ouvrant droit à des portions souveraines de mer. Le statut d’État archipélagique a pour but de protéger les eaux des États insulaires sans entraver la libre circulation.
- Au-delà des limites de la ZEE, la haute mer (eaux internationales) demeure entièrement libre et les grands fonds sont déclarés « biens communs de l’humanité ».
IMAGES 9 et 10 : les délimitations de l’espace maritime selon le droit de la mer
- Les ZEE ont été créées dans le but de rechercher la situation la plus équitable entre des États qui, placés face à face, se disputeraient des eaux.
Mais des difficultés subsistent.
La première difficulté à mesurer les ZEE vient du fait que leurs limites ne sont pas toutes fixées. Les arrangements bilatéraux ou régionaux sont innombrables et les pays riverains ne trouvent pas toujours d’accord fixant définitivement la limite séparant leurs deux zones.
Par exemple, il existe un contentieux entre les Comores et la France à propos des limites de la ZEE de Mayotte.
La France détient la deuxième plus grande ZEE du monde avec une superficie de 10 070 754 km2 grâce à ses territoires d’outre-mer. La ZEE française est en fait 20 fois plus grande que le territoire terrestre français.
IMAGE 11 : l’insularité et les difficultés à délimiter la ZEE
- La proximité entre Mayotte et l’archipel des Comores rend difficile la délimitation des ZEE. Cette délimitation est particulièrement compliquée autour des îles.
La deuxième difficulté est qu’entre les côtes et les grands fonds marins se trouve souvent une large bande de moindre profondeur, appelée le plateau continental. Le droit international place le plateau continental et ses ressources sous la juridiction de l’État riverain. Dans le cas où le plateau s’étend au-delà de la limite des 200 milles marins, preuves géologiques à l’appui, l’ONU prévoit que l’État riverain puisse obtenir l’extension de ses droits d’exploitation jusqu’à une limite maximale de 350 milles.
Cette disposition donne lieu à un très grand nombre de revendications de la part des États qui peuvent y prétendre.
Toutefois, cette extension ne concerne que le sol et le sous-sol marin, et non pas l’eau située au-dessus ni la surface de la mer qui restent juridiquement de la haute mer.
Avec ces difficultés comment les frontières maritimes sont-elles respectées ?
Respecter les frontières maritimes
Respecter les frontières maritimes
La convention de Montego Bay est entrée en vigueur en 1994.
Aujourd’hui, 168 États, côtiers ou non, ont ratifié la Convention.
Certains pays n’ont pas accepté de signer ou ratifier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Parmi les pays qui n’ont pas signé la Convention sur le droit de la mer, on compte les États-Unis, qui se présentent pourtant comme les défenseurs du droit international de la mer, notamment face à la Chine. Ils détiennent d’ailleurs la première ZEE du monde avec une superficie de 12 168 352 km2.
À l’inverse des États-Unis, la Chine a ratifié la Convention de Montego Bay en 1996. Pourtant, aujourd’hui, en mer de Chine méridionale, Pékin sape le droit de la mer en faisant prévaloir des droits « historiques ».
En fait, le droit international de la mer est un pilier majeur de la mondialisation et, dans ce cadre, les deux premières puissances mondiales, les États-Unis et la Chine, se font face dans le Pacifique, tout particulièrement en mer de Chine.
Contester les frontières maritimes en mer de Chine méridionale
Contester les frontières maritimes en mer de Chine méridionale
Les délimitations des ZEE sont à la source de nombreux conflits.
- Il existe une tension entre la nationalisation des espaces maritimes et la liberté de circulation des mers. L’origine des conflits est l’appropriation des ressources mais les enjeux sont aussi géopolitiques.
En mer de Chine méridionale, la course aux ressources est exacerbée par l’affirmation de la puissance chinoise et par ses prétentions aux échelles régionale et mondiale. La Chine revendique une extension de sa ZEE.
Les tensions sont donc particulièrement fortes entre la Chine, et la plupart des États riverains, mais aussi entre la Chine et les États-Unis. En effet, il ne faut pas oublier que la Chine a aussi des visées territoriales sur Taïwan, protégée par sa coopération militaire avec les États-Unis.
IMAGE 13 : la ZEE de la Chine et ses revendications
Nous pouvons prendre l’exemple de l’archipel des Spratleys, en mer de Chine méridionale, constitué de 14 petites îles coralliennes peu habitées et d’un grand nombre de récifs dont une centaine restent apparents à marée haute.
Cet archipel fait l’objet de conflits multiples entre les États frontaliers : Chine, Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei et Taïwan.
IMAGE 14 : les revendications maritimes en mer de Chine méridionale
Les îles Spratleys sont revendiquées pour trois raisons principales :
- les ressources halieutiques (ressources animales et végétales) ;
- les ressources en hydrocarbures ;
- et la situation sur la route maritime la plus fréquentée du monde.
Pour imposer sa présence dans cette région, la Chine construit, depuis fin 2013, la « grande muraille de sable », un ensemble de construction d’îles artificielles et d’aménagements (ports et aéroports), sur des récifs déserts. Ces îles permettent à Pékin d’implanter des infrastructures militaires et de surveillance, mais surtout, de consolider des îlots pour qu’ils deviennent des îles… et donc pour permettre à la Chine de réclamer la ZEE environnante.
Les États de la région sont très inquiets face aux prétentions territoriales chinoises, et les États-Unis entendent jouer les gendarmes en s’appuyant sur le droit de la mer, sans vraiment parvenir à obliger la Chine à respecter la décision des instances de l’ONU.
Voyons maintenant un autre conflit, cette fois entre la Chine et le Japon, à propos des îles Senkaku (en japonais) ou Diaoyu (en chinois).
Là aussi, il s’agit d’un archipel, un petit amas de rochers déserts perdus en mer de Chine orientale, situé au nord-est de Taïwan et au sud-ouest du Japon. Il est constitué de cinq îles et de trois rochers. La superficie totale de cet archipel est seulement de 7 km2.
IMAGE 15 : carte des îles Senkaku/Diaoyu
Le conflit trouve ses sources dans l’histoire.
Les îles sont sous contrôle japonais depuis le XIXe siècle, plus précisément depuis la fin de la guerre sino-japonaise en 1895.
En 1951, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le traité de paix de San Francisco place l’archipel Nansei, auquel sont rattachées les îles Senkaku, sous administration américaine par la décision de mise sous tutelle de l’ONU.
En 1972, le traité de paix entre la République de Chine et le Japon règle officiellement les différends territoriaux entre les deux pays, mais les îles Senkaku ne sont pas mentionnées explicitement dans ce traité. Pourtant, la signature de l’accord sur la restitution d’Okinawa entre les États-Unis et le Japon rétablit l’autorité administrative du Japon sur l’archipel Nansei. À cet archipel sont rattachées les îles Senkaku, bien qu’elles ne soient pas mentionnées de manière explicite dans cet accord.
- C’est à ce moment, au début des années 1970, que ces îles suscitent la convoitise de la Chine. À la même période, un rapport officiel mentionnant la présence potentielle de ressources en hydrocarbures et de richesses halieutiques est publié. Dès que cet aspect économique est entré en jeu, des revendications venant de Taïwan et de la République populaire de Chine ont commencé à se faire entendre.
Ce conflit insulaire s’est intensifié ces dernières années et cristallise les tensions entre les deux grandes puissances asiatiques, à savoir la Chine et le Japon, avec de nombreuses provocations de la part de Pékin.
Mais le conflit ne peut pas être réduit uniquement à sa dimension territoriale, ni même à sa dimension économique, qui est néanmoins importante, car la Chine a besoin de sécuriser ses approvisionnements en matières premières et ressources alimentaires. Au-delà du contrôle des ressources et de la maîtrise des routes maritimes, ce conflit a pour but d’assurer le leadership chinois sur la région et aussi sur le monde : la Chine veut à la fois se ménager une zone d’influence et sécuriser son espace maritime.
Concrètement, les passages chinois sont fréquents dans la zone bordant les îles disputées dans le cadre d’une diplomatie navale agressive qui s’appuie sur une militarisation croissante. Les tensions engendrées au sujet de la souveraineté des îles incitent les deux pays, Chine et Japon, à affirmer un nationalisme qui répond aux exigences de politique intérieure de leur pays. Pour la Chine, le conflit des îles Senkaku/Diaoyu est un sujet fédérateur qui permet de détourner l’attention sur la chute relative de la croissance économique et les contestations de la politique du Parti Communiste Chinois (PCC). Pour le Japon, le conflit est également un moteur pour faire émerger un intérêt national et atténuer la crise économique durable et l’accident de Fukushima.
Couverture du magazine The Economist, 22 septembre 2012.
Pourtant, le conflit de ce début du XXIe siècle ne dégénère pas en guerre. Il y aurait trop à perdre sur le plan économique, alors que les liens commerciaux entre la Chine et le Japon sont si fort. Et bien sûr, si les États-Unis soutiennent le Japon, ils ont également intérêt à limiter l’émergence de la Chine tout en évitant un risque d’affrontement direct.
Conclusion :
Si la diplomatie semble être le moyen de faire respecter les frontières terrestres, elle n’est pas toujours efficace en ce qui concerne l’intégration des frontières maritimes.
En effet, la concertation internationale n’empêche pas la persistance de disputes sur l’application du droit de la mer à plusieurs échelles : au niveau du leadership mondial, mais aussi aux échelles régionale ou locale. Le droit de la mer a pour ambition de dépasser les divisions politiques du monde mais il se heurte à des difficultés d’application notamment dans les mers de Chine.