Enjeux et défis du vieillissement de la population : l’exemple du Japon
Introduction :
Le Japon est un pays développé, membre du G7 (groupe des 7 pays les plus industrialisés). Sa population de 126 millions d’habitants en fait le dixième pays le plus peuplé au monde. Cependant, comme beaucoup des pays les plus industrialisés, le Japon fait face aujourd’hui à un défi démographique majeur. Un déséquilibre fort entre taux de fécondité et taux de mortalité entraîne un vieillissement de la population qui pose de nombreux défis actuels et à venir. La population active est en baisse constante, quand la part de personnes âgées ne cesse de croître.
Nous verrons dans une première partie quelles sont les dynamiques démographiques du Japon contemporain et les causes du vieillissement de la population japonaise. Dans un second temps, nous étudierons les réponses politiques et sociales mises en place pour faire face à ce vieillissement.
Dynamiques démographiques du Japon contemporain
Dynamiques démographiques du Japon contemporain
Évolutions démographiques depuis l’après-guerres
Évolutions démographiques depuis l’après-guerres
Le Japon compte aujourd’hui 126 millions d’habitants. À ce titre, il occupe la place de dixième pays le plus peuplé au monde.
Le Japon a connu un fort accroissement naturel après la Seconde Guerre mondiale, en raison d’un taux de mortalité en baisse constante.
Accroissement naturel :
L’accroissement naturel correspond à la différence entre un taux de natalité plus élevé que le taux de mortalité.
Les progrès médicaux sont considérables dans le pays. Couplés à une hygiène de vie généralement favorable et l’accès à une alimentation variée pour presque tout le monde, la mortalité infantile et la mortalité en général sont en baisse. Le Japon devient rapidement le pays ayant la meilleure espérance de vie au monde.
Taux de natalité :
Le taux de natalité est le nombre de naissance en un an pour 1 000 habitants. Il s’exprime donc en ‰.
Taux de mortalité :
Le taux de mortalité est le nombre de décès en un an pour 1 000 habitants. Il s’exprime donc en ‰.
Cependant, la fécondité ou indice de fécondité a baissé rapidement dans le pays. Elle est de moins de 4 enfants par femme en 1950 alors qu’elle dépassait 5 avant la guerre. Cette baisse correspond en partie à une volonté politique : l’État japonais a peur du surpeuplement.
En effet, le pays est un archipel présentant des problématiques en termes d’installation :
- c’est un territoire insulaire, donc « fini » ;
- la présence de montagnes dans le centre des îles est peu propice à l’installation humaine.
Indice de fécondité :
L’indice de fécondité est le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer (généralement entre 15 et 55 ans).
En conséquence, le taux de natalité baisse de façon continue depuis l’après-guerre. Un taux de natalité en baisse et une espérance de vie élevée explique le défi démographique auquel est confronté le Japon : le vieillissement de sa population.
Vieillissement (de la population) :
Le vieillissement de la population désigne l’accroissement de la part du nombre de personnes âgées au sein d’une population totale.
- Dans les années 1990 au Japon, il y avait déjà plus de personnes âgées de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 15 ans.
- En 2005, une personne sur 5 avait plus de 65 ans.
- Cette proportion passe à plus d’une personne sur 4 en 2016.
- Selon les projections démographiques, les plus de 65 ans devraient représenter 40 % de la population en 2040. Ces mêmes projections estiment que les moins de 15 ans représenteraient moins de 10 % de la population après 2030.
- On peut voir l’évolution de la démographie et la part des plus de 65 ans dans la démographie japonaise dans le graphique ci-dessous.
Ce graphique montre que le pourcentage des plus de 65 ans est passé de 6,3 % en 1965 à 26,6 % en 2015 et ne cesse d’augmenter depuis.
On estime que le Japon comptera 100 millions d’habitants en 2050 alors que le pays comptait 128 millions de personnes en 2004.
Ces chiffres impactent la puissance du Japon sur la scène internationale. Cette crise démographique à venir a de quoi inquiéter. Ainsi, alors que le Japon représentait près de 3 % de la population mondiale en 1979 ; ce pourcentage est descendu à moins de 2 % en 2016 et devrait diminuer à moins de 1 % d’ici 2050.
Ce constat d’un fort vieillissement de la population japonaise nous pousse naturellement à nous intéresser aux causes de cette évolution démographique d’envergure.
Les causes du vieillissement
Les causes du vieillissement
Le vieillissement d’une population peut généralement s’expliquer par deux facteurs :
- Une meilleure espérance de vie induite par un meilleur accès aux soins et par les progrès de la science médicale, et une alimentation plus variée. Au Japon, l’espérance de vie à la naissance est de 80 ans pour les hommes et 87 ans pour les femmes en 2016. C’est le niveau le plus élevé du monde.
- Une baisse des naissances : depuis 2005, le taux de natalité est plus bas que le taux de mortalité au Japon.
Cette baisse des naissances s’explique en grande partie par le désintérêt des Japonaises pour le mariage depuis les années 1970. Rappelons que la société japonaise reste pourtant très traditionnelle : il est souvent inenvisageable d’avoir des enfants en dehors du mariage.
Les mariages traditionnels, qui étaient des mariages arrangés par les familles, se font beaucoup plus rares aujourd’hui. Cependant, les mariages d’amour, issus du choix personnel des individus, restent également peu nombreux.
En effet, le rôle de chaque époux dans le mariage reste au Japon très marqué : or, les jeunes femmes ayant eu accès aux études rechignent à quitter le monde de l’emploi pour « servir » leur époux. Ainsi, entre 1995 et 2005, la proportion de femmes célibataires âgées de 30 à 40 ans est passée de 13,9 % à 26,6 %. En outre, certains hommes refusent de s’unir à une femme plus diplômée qu’eux.
Une autre cause du vieillissement de la population est le faible apport migratoire (peu d’immigrés), sur lequel nous reviendrons.
Ce vieillissement de la population, correspondant à une part toujours plus élevée des personnes âgées dans la population, est un défi pour l’État et la société japonaise.
Les conséquences du vieillissement de la population
Les conséquences du vieillissement de la population
Le premier défi auquel est confronté le Japon face au vieillissement de sa population est la prise en charge et le coût de la gérontocroissance.
Gérontocroissance :
La gérontocroissance désigne l’augmentation du nombre de personnes âgées.
Traditionnellement, la population japonaise faisait peu appel à l’État pour la prise en charge des personnes âgées : généralement la famille se chargeait de l’accueil et des soins. Le Japon traditionnel fonctionnait donc sur le mode de la cohabitation intergénérationnelle (tout le monde vit dans la même maison, enfants, parents, grand-parents).
Depuis les années 1990, ce fonctionnement est remis en cause pour plusieurs raisons :
- la société japonaise évolue et la cohabitation entre générations perd du terrain ;
- les Japonais actifs sont souvent enfants uniques, ou n’ont qu’un frère ou une sœur ; dès lors, le poids financier du soin aux parents âgés n’est pas réparti comme il pouvait l’être quand les fratries étaient plus nombreuses ;
- le taux de pauvreté au Japon dépasse 16,1 % en 2012 et pose la question de la capacité des ménages à assumer le coût des soins exigés par leurs parents âgés.
- L’État doit donc mettre en place des politiques sociales (aides financières aux familles) en direction de la fraction la plus âgée de sa population. Cependant, ce coût ne peut aller qu’en augmentant. Qui plus est, la question du financement par l’impôt se pose dès lors que la part de la population active est de plus en plus faible au sein de la population totale.
Population active :
La population active d’un pays est l'ensemble des personnes en âge de travailler, disponibles sur le marché du travail. Cette catégorie comprend les personnes qui ont un emploi et celles qui sont au chômage.
La gérontocroissance entraîne donc un défi économique. La population âgée, non-active, augmentant de façon continue, la population active va mécaniquement baisser et entraîner ainsi une insuffisance de main-d’œuvre :
Actuellement de 82 millions, on estime que la population active sera de 69 millions en 2030. Cela entraînerait une baisse de production de richesses de 16 % pour le Japon.
Dès lors, quelles sont les réponses politiques et sociales du Japon pour faire face à ce choc démographique majeur ?
Les réponses politiques et sociales pour faire face au vieillissement
Les réponses politiques et sociales pour faire face au vieillissement
Le maintien dans l’emploi des personnes âgées
Le maintien dans l’emploi des personnes âgées
L’une des réponses de l’État japonais au manque d’actifs face au vieillissement est le maintien dans l’emploi des personnes âgées. D’après une étude diligentée par l’État en 2017, 8 millions de personnes âgées de plus de 65 ans ont un emploi au Japon. Cela représente une proportion de 10 % de la population active totale. Ce chiffre est en constante augmentation.
L’État a donc pris des mesures afin de maintenir dans l’emploi les personnes âgées en capacité de le faire : recul de l’âge de départ à la retraite de 60 à 65 ans d’ici 2025 et autorisation pour les fonctionnaires de conserver leur emploi jusqu’à 80 ans.
Les entreprises tentent également d’accompagner ce mouvement général. Par exemple, cela peut se traduire par le biais de formations spécifiques destinées aux seniors dans le domaine informatique.
Cependant, cette solution présente des limites importantes. Le vieillissement est tel qu’un maintien dans l’emploi au-delà de 65 ans ne saurait suffire à absorber le coût de la gérontocroissance. De plus, bien que l’espérance de vie soit élevée au Japon, cette solution n’apporte pas de réponse concernant les personnes âgées malades ou dépendantes.
Or, l’immigration est un des leviers que peuvent utiliser les États confrontés à une baisse de leur population active.
Une immigration très limitée
Une immigration très limitée
Le Japon est très attractif dans la région de l’Asie orientale en raison de son niveau de vie et de son régime politique démocratique. Cependant, traditionnellement, le Japon est un pays ayant une politique migratoire extrêmement restrictive. L’immigration a été refusée tout au long de son histoire par souci de maintenir une homogénéité culturelle (garder une unité et une identité uniquement japonaise).
Une des rares exceptions est l’appel à une main-d’œuvre coréenne dans la première moitié du XXe siècle pour accompagner l’industrialisation du Japon.
La nationalité japonaise est très difficile à obtenir, c’est pourquoi la quasi-totalité des immigrés gardent leur nationalité d’origine.
Cependant, face au défi démographique, le Japon a fait le choix de s’ouvrir à une certaine immigration. Cette ouverture reste pourtant très limitée.
Jusqu’aux années 1980, les étrangers représentent moins de 0,6 % de la population. En 2006, la population du pays se composait d’1,5 % d’étrangers. Parmi ces étrangers, beaucoup sont des Coréens ; d’autres sont des immigrants américains ou européens généralement temporaires, présents au Japon pour des raisons professionnelles. En outre, l’ouverture à l’immigration se fait au cas par cas et avec des conditions drastiques.
En 2007, le METI (ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie japonais) a délivré un visa à 1 000 nourrices des Philippines. Les conditions d’entrée sur le territoire étaient conditionnées à la détention d’un diplôme d’infirmière et au suivi d’un stage linguistique de 6 mois. Par ailleurs, les nourrices étaient tenues de passer un diplôme d’infirmière local au bout de trois ans si elles souhaitaient proroger leur visa.
Enfin, face au vieillissement, l’État peut opter pour une politique nataliste, c'est-à-dire l’incitation des populations à faire des enfants.
Vers une politique nataliste ?
Vers une politique nataliste ?
Politique nataliste :
Une politique nataliste vise à inciter la population à avoir des enfants, par le biais de mesures sociales et financières (allocations familiales, développement des modes de garde, etc.).
Comme nous l’avons déjà dit, le Japon fait face à une vague de désintérêt pour le mariage de la part des plus jeunes. Ainsi, le contexte social japonais rend difficile la mise en place d’une politique nataliste.
L’État souhaite malgré tout prendre des mesures afin d’encourager la natalité dans l’archipel. En 1999, le gouvernement a lancé le plan « Nouvel ange », qui comprend six objectifs :
- Remettre en cause la division rigide des rôles masculins et féminins.
- Aménager l’emploi pour mieux permettre aux femmes d’avoir et d’élever des enfants.
- Améliorer les conditions sanitaires et sociales permettant aux femmes d’avoir et d’élever des enfants dans un climat serein et sécuritaire.
- Créer des services d’accueil des enfants jeunes à hauteur des besoins des familles.
- Promouvoir une éducation qui encourage le rêve d’avoir des enfants et de les élever sans anxiété.
- Améliorer le logement et l’environnement pour mieux accueillir les enfants.
Depuis, d’autres mesures ont vu le jour, comme la « Next Generation Law » (loi pour la nouvelle génération) pour la période 2005-2015. Pour favoriser l’émancipation des jeunes, un plan de mesures visant à accélérer leur entrée dans la vie active a été mis en place en 2005.
Cependant, ces différentes orientations à l’initiative du gouvernement ne semblent pas suivies d’effet. Les chiffres de la nuptialité (mariage) et de la fécondité restent très bas, avec 1,6 enfants par femme en 2016.
Conclusion :
En somme, la société japonaise doit faire face à un défi démographique inédit. La contraction de sa population dans les projections jusqu’en 2050 inquiète sur le plan social mais aussi économique. Comment financer la gérontocroissance ? Comment maintenir la compétitivité du pays malgré la baisse de la population active ? Les réponses actuelles sont multiples mais insuffisantes. Une plus grande ouverture à l’immigration ainsi qu’un changement des mentalités sur la question des naissances pourraient limiter les conséquences de ce vieillissement majeur de la population japonaise.