Échanger : pourquoi, comment ?

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Introduction :

Depuis la fin des années 1950, les échanges commerciaux mondiaux se sont multipliés dans des proportions inégalées jusqu’alors. Face à ce fait économique indiscutable, deux stratégies s’opposent. Celle du libre-échange tout d’abord, qui incite à ouvrir encore plus ses frontières et à développer davantage les échanges commerciaux entre les États. Celle du protectionnisme ensuite, qui vise à rétablir des contrôles entre chaque État pour mieux maîtriser l’intégralité de ses sources de croissance.

Ce cours analyse les effets de ces deux stratégies, du point de vue des producteur·rice·s et de celui des consommateur·rice·s.

Dans un premier temps, nous étudierons les avantages et inconvénients des échanges internationaux. À partir des inconvénients, nous verrons les réponses que proposent les pouvoirs publics pour mieux maîtriser ces échanges, pour finalement tenter d’établir si ces réponses sont réellement efficaces.

Avantages et inconvénients des échanges internationaux

Des avantages pour les consommateur·rice·s comme pour les producteur·rice·s

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Définition

Libre-échange :

Le libre-échange est une théorie économique qui a été développée par Adam Smith puis David Ricardo. D’après cette théorie, toutes les entraves à la libre-circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes entre les pays, doivent être supprimées.

L’argument pour favoriser la libre-circulation est qu’elle aurait des avantages pour les consommateur·rice·s et les producteur·rice·s.

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À retenir

Du point de vue des consommateur·rice·s, l’ouverture des frontières à la concurrence internationale accroît significativement l’offre de biens et de services.

En effet, les produits créés à l’étranger sont plus accessibles, augmentant donc l’offre à la consommation.

Ceci est valable pour les produits de base, par exemple alimentaires, avec la possibilité d’acheter des produits ou des spécialités qui n’existent pas ou qui sont difficilement cultivables chez nous. C’est aussi le cas pour les biens d’équipement ou de loisir comme les voitures, en achetant des marques allemandes, japonaises ou américaines.

Les produits peuvent être moins coûteux quand ils sont produits à l’étranger. Ils concurrencent alors directement les biens et les services produits par les entreprises nationales.

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À retenir

Pour s’adapter, rester compétitives et maintenir leurs parts de marché, ces entreprises nationales vont devoir aligner leurs prix sur les tarifs des produits importés : l’ouverture internationale alimente ainsi la baisse des prix nationaux.

Dans l’ensemble, c’est le pouvoir d’achat des ménages qui s’en trouve renforcé. Avec l’argent économisé sur ces achats, ils pourront conforter leur épargne ou reporter leur consommation sur de nouveaux biens et services, ce qui contribuera à améliorer leur niveau de vie.

Ces avantages tirés des échanges internationaux profitent aussi directement aux producteur·rice·s. En accédant aux marchés étrangers, il·elle·s s’ouvrent aux consommateur·rice·s d’autres pays. La taille de leurs marchés s’accroît et il·elle·s doivent donc produire plus. Cette augmentation des quantités produites permet de réduire significativement le coût unitaire de chaque produit. C’est ce que l’on appelle les économies d’échelle.

coût unitaire production économie d’échelle Graphique établissant le coût unitaire en fonction du nombre d’unités produites

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À retenir

  • Le coût d’une production est composé d’une part de ce que l’on appelle des coûts fixes, qui ne varient pas (comme un loyer, le prix d’entretien des machines, les assurances, le chauffage) d’autre part de coûts variables, qui eux varient en fonction de la quantité produite (comme les salaires, l’électricité).
  • Quand l’entreprise augmente sa production, elle réduit proportionnellement la part du coût fixe unitaire, par produit. Si une entreprise produit 100 unités de biens ou de services pendant un mois, si le coût de son loyer est par exemple de 1 000 € par mois, alors le coût fixe unitaire issu de ce loyer sera de 1 000 divisé par 100, soit 10 € par produit. En revanche, si elle produit 1 000 unités de biens ou de services, ce coût fixe unitaire ne sera plus que de 1 €. Le coût unitaire est donc fonction décroissante de la production : ce sont les économies d’échelle.

Grâce à ces économies proportionnellement réalisées, l’entreprise sera en capacité :

  • soit de réduire ses prix de vente, ce qui va accroître sa compétitivité ;
  • soit de développer une nouvelle stratégie de recherche-développement (pour améliorer la qualité des produits ou en proposer de nouveaux), ce qui augmente sa capacité d’innovation.

En augmentant la taille des marchés, le libre-échange entraîne donc d’une part une augmentation de la concurrence, une baisse des prix, la hausse du pouvoir d’achat et de la demande, et d’autre part des économies d’échelle, davantage d’innovations, des baisses de prix et de nouvelles mises sur le marché, ce qui alimente à nouveau cette demande. Que ce soit du point de vue des consommateur·rice·s ou de celui des producteur·rice·s, on peut affirmer que le libre-échange est générateur de croissance.

libre-échange croissance

Pour autant, on constate que malgré le développement du libre-échange ces dernières années, la croissance n’est pas toujours au rendez-vous.

Les pays du Nord par exemple, qui ont largement ouvert leurs frontières depuis les années 1960, connaissent des hausses de leur PIB assez limitées.
Essayons de comprendre pourquoi ce lien entre libre-échange et croissance n’est pas systématique.

Des risques qui demeurent

En s’ouvrant sur les marchés internationaux, l’économie d’un pays devient dépendante de celle des autres.

Si, par exemple, une crise survient en Espagne, les entreprises françaises qui intègrent les marchés espagnols dans leurs stratégies de développement seront elles aussi impactées.
Un libre-échange poussé accroît donc la fragilité des économies des pays, qui transmettent l’une à l’autre leurs propres déséquilibres.

Pour les pays en développement, le risque est encore plus grand : l’implantation d’entreprises étrangères sur le territoire national met souvent les entreprises traditionnelles en difficulté. Incapables de s’aligner sur ces productions étrangères, d’investir dans des technologies avancées et donc de pratiquer des prix concurrentiels, elles finissent tout simplement par disparaître.
C’est l’une des principales critiques adressées par le tiers-monde au libre-échange : il favorise avant tout les pays riches du « nord ».

Les théories de la dégradation des termes de l’échange prétendent que les retombées d’une insertion dans le commerce international sont profondément inégales. Alors que les produits vendus par les pays du Nord voient leur prix, leur qualité et leur technicité augmenter, les pays en développement fournissent eux des produits dont les prix ne cessent de diminuer.

En s’implantant massivement dans des pays pauvres qui bénéficient de ressources naturelles inexploitées (gaz, pétrole, minerai), des entreprises étrangères spécialisées dans leur exploitation peuvent accéder à des sources de bénéfices sans en faire profiter les populations locales.
À outrance, c’est bien d’un risque de pillage des ressources dont il est question.

De leur côté, les pays développés peuvent eux aussi être impactés par une application absolue des règles du libre-échange.
À partir du moment où une entreprise peut vendre ou produire dans n’importe quel pays, il devient plus rationnel pour elle de délocaliser ses unités de production, pour les implanter là où les législations de droit du travail, de fiscalité ou de prix de l’immobilier sont plus avantageuses.

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Exemple

Prenons l’exemple de Renault, fabricant français d’automobiles.
Historiquement, ses sites de productions étaient implantés en France métropolitaine : Douai ou Maubeuge par exemple.

Depuis plusieurs années, Renault a décidé d’ouvrir de nouveaux sites au Maroc, en Turquie ou en Roumanie. La carte ci-dessous illustre le phénomène et en donne la raison : les coûts de production.

délocalisation Renault production

Alors qu’en 2018, le coût horaire moyen de la main-d’œuvre en France s’établit à 35,8 €, alors qu’il est de seulement 6,8 € en Roumanie, et même plus bas en Turquie et au Maroc ! En raison d’absence de barrières à l’échange, il devient donc plus intéressant de produire dans des pays proposant des coûts de production bien inférieurs.

  • La conséquence est la destruction directe d’emplois nationaux.

La mondialisation non régulée fait planer un risque sur les modèles sociaux des pays les plus développés.
En mettant en concurrence les niveaux de salaires, de protection sociale ou la fiscalité, on s’expose à une égalisation des prix de tous les facteurs de production sur le plan international. Pour éviter de voir ses entreprises délocaliser, un pays pourrait être amené à réduire le niveau du salaire minimum ou des cotisations patronales. En raison de la concurrence des pays en développement, le nivellement risque de s’effectuer par le bas.

Malgré des effets positifs sur la croissance, le libre-échange trop poussé peut ainsi avoir des conséquences néfastes pour les économies nationales. Il n’assure pas un développement harmonieux à tous ceux qui y prennent part.
Face à ces menaces, les gouvernements sont souvent tentés de rétablir certaines barrières pour entraver les échanges internationaux et préserver leur économie. C’est une forme de retour au protectionnisme qui s’opère.

La réponse des pouvoirs publics : les politiques protectionnistes

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Définition

Protectionnisme :

Le protectionnisme est une politique interventionniste d’un État visant à protéger ses producteur·rice·s contre la concurrence des productions étrangères.
Les politiques protectionnistes s’appuient sur différents types d’outils pour répondre aux effets néfastes du libre-échange. Ces outils produisent eux aussi des effets très contrastés sur le développement économique et la croissance mondiale.

Les outils du protectionnisme

Avant toute chose, il est important de faire la distinction entre protectionnisme et autarcie.
L’autarcie peut être vue comme la forme extrême du protectionnisme, une situation où un pays décide d’assurer lui-même l’intégralité de la production dont il a besoin.

Pour lutter contre les effets pervers du libre-échange, il existe trois outils protectionnistes :

  • les barrières tarifaires sont par exemple les droits de douane qu’impose un pays à l’entrée d’une marchandise sur son territoire. Les accords commerciaux internationaux ont aujourd’hui fortement diminué ces barrières tarifaires, notamment sous l’action de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
  • les barrières non tarifaires sont constituées par toutes les normes et les labellisations qui limitent l’accès des produits étrangers au marché national. Il peut s’agir par exemple de normes techniques pour les homologations (le fameux NF) ou de normes sanitaires pour la viande. Depuis les années 1970, le nombre de barrières non tarifaires s’est multiplié, en particulier dans les pays développés.
  • la variation du taux de change est une stratégie qui vise à fausser indirectement le jeu de la concurrence internationale. Le taux de change est la valeur d’une monnaie dans une autre monnaie. Par exemple la valeur d’un euro en dollar, d’un dollar en yen.
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À retenir

En faisant baisser son taux de change, la banque centrale peut favoriser ses entreprises nationales en leur permettant d’accroître leurs exportations.

La variation du taux de change

Imaginons un taux de change à 1,5 entre le yen japonais et le dollar US.

Cela signifie qu’un yen est égal à 1,5 dollar et inversement qu’un dollar est égal à 0,667 yen. Si une entreprise japonaise vend aux États-Unis une production de 100 yens, elle la vendra à 150 dollars.

Imaginons maintenant que la Banque du Japon décide de passer ce taux à 1,2. Pour la même production, d’une valeur de 100 yens, elle ne la vendra plus aux États-Unis 150 dollars mais 120 dollars. L’entreprise japonaise obtiendra toujours la même valeur en yens à l’issue de sa vente, mais pour le client nord-américain, il deviendra plus intéressant d’acheter une production venue du Japon une fois le taux abaissé. En réduisant son taux de change, le pays renforce la compétitivité de ses entreprises exportatrices qui peuvent conquérir de nouveaux marchés à l’international, et ainsi générer de la croissance chez eux.

taux change croissance compétitivité marchés

À l’inverse, si le Japon décide de développer ses importations, pour permettre par exemple aux entreprises japonaises d’acheter moins cher les produits américains dont elles ont besoin, il pourra réévaluer à la hausse son taux de change. Avec un taux de change à 1,2 une production d’une valeur de 100 dollars était vendue 83,3 yens au Japon.

Avec un taux élevé à 1,5 elle ne coûtera plus que 66,7 yens.

  • Les Japonais pourront acheter moins cher une quantité identique de produits américains, et la société américaine percevra toujours la même somme en dollars.
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À retenir

Mécaniquement, en augmentant son taux de change, un pays contribue donc à réduire le prix des produits à l’import. Il maîtrise ainsi son inflation et stimule sa consommation de produits importés, générant ainsi de la croissance.

taux change croissance inflation

Cette stratégie a tout de même des conséquences néfastes.
Dans le cas d’une hausse du taux de change, les entreprises intérieures japonaises de notre exemple se retrouvent défavorisées par rapport aux entreprises étrangères puisque leur production coûtera plus cher à l’export.

Les variations du taux de change dépendent donc de la structure des échanges économiques de chaque pays. En fonction des exportations ou importations de ses entreprises, un arbitrage devra s’effectuer entre hausse et baisse du taux de change.
Dans tous les cas, il s’agit d’un outil à manier avec d’infimes précautions. Un pays qui ferait varier ses taux de change trop souvent découragerait toute entreprise nationale ou étrangère à s’engager durablement dans une relation d’échanges.

Pour se prémunir des effets néfastes du libre-échange, les États disposent ainsi de plusieurs outils protectionnistes très concrets.

Les effets d’une politique protectionniste

Deux arguments sont régulièrement invoqués pour justifier la mise en œuvre de mesures protectionnistes :

  • L’argument du protectionnisme éducateur ou des industries naissantes : il a été développé par Friedrich List, un économiste allemand pour qui le libre-échange ne pouvait favoriser que les pays les plus avancés. Selon lui, il est impossible pour des pays en développement d’atteindre le niveau des pays développés lorsque leurs entreprises sont concurrencées sur leur territoire par des entreprises étrangères. Il suggère donc de protéger ces entreprises nationales en mettant en place des mesures protectionnistes, au moins le temps qu’elles atteignent un niveau suffisant pour développer un avantage comparatif et être concurrentielles. Il s’agit d’un protectionniste provisoire dans le temps, qui peut se traduire par des aides directes en direction d’un secteur d’activité spécifique.
  • L’argument des politiques commerciales stratégiques : un État, en raison de stratégies géopolitiques ou industrielles, peut choisir de privilégier certaines catégories d’entreprises pour leur permettre d’accéder à un grand nombre de marchés à l’international sans être concurrencées localement. En accordant des crédits à taux privilégiés à ces entreprises, il fait baisser artificiellement le prix des produits à l’export. Il peut aussi leur proposer des allègements fiscaux, des dégrèvements de charges sociales, des subventions… Autant de moyens directs qui positionnent les entreprises nationales dans une situation privilégiée par rapport aux autres.

Ces stratégies peuvent être pertinentes dans le cas de marchés fragiles où le nombre de places est limité, comme dans le secteur de l’aviation.
Cependant, la régulation des échanges par des mesures de protectionnisme ne garantit pas la stabilité d’une croissance économique. En effet, la croissance est un phénomène multifactoriel dépendant entre autres d’un État de droit, d’une éducation et d’une formation élevée. L’Algérie, par exemple, avait choisi de protéger son secteur des hydrocarbures, pensant que son développement accéléré allait entraîner progressivement tous les autres secteurs d’activités. Ce fut un échec, dû entre autres à des dysfonctionnements économiques, politiques et sociétaux.

A contrario, des pays comme les NPI d’Asie (Nouveaux pays industrialisés d’Asie) ont développé des stratégies de développement basées quasi exclusivement sur les exportations. Ils sont, eux, parvenus à accroître significativement leur croissance et leur niveau de vie. En accueillant des investissements étrangers, ils se sont spécialisés dans des filières complètes, comme le textile, se chargeant aussi bien de la production, de la conception que de la fabrication. La croissance a été rapide, mais au prix de lourds dégâts environnementaux et sociaux.

En résumé, en restreignant trop l’ouverture internationale, un État peut restreindre aussi les débouchés que certaines entreprises étrangères pourraient avoir sur son territoire. Il pourrait freiner le développement de ses propres entreprises en limitant l’accès aux économies d’échelle vues précédemment.
Un protectionnisme poussé limite la consommation des agents et les capacités de productions des entreprises : il n’est donc pas toujours synonyme d’emplois.

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À retenir

Si le protectionnisme présente plusieurs réponses aux conséquences néfastes du libre-échange, trop poussé, il n’est pas lui non plus créateur de richesses et de développement équilibré.

Conclusion :

Le libre-échange bénéficie tant aux consommateur·rice·s, en leur permettant d’accéder à davantage de produits et à moindre prix, qu’aux producteur·rice·s, qui sont incité·e·s à innover et connaissent des économies d’échelle.
Il a cependant des effets néfastes, comme les délocalisations, les faillites, l’interdépendance des économies ou de nouvelles contraintes sociales. Face à ces risques, les États disposent de plusieurs outils « protectionnistes » pour influencer les règles du marché, comme des barrières tarifaires, des barrières non tarifaires et des variations du taux de change.

Le protectionnisme peut être éducateur ou stratégique. Néanmoins, une mise en œuvre poussée limiterait le commerce et la consommation. Les outils que propose le protectionnisme étant partiellement efficaces, il semble donc plus pertinent d’essayer d’encadrer mieux et davantage le libre-échange, plutôt que de se priver de ses retombées.