Crédit image : Juan Ribalta, avant 1628
Guillén de Castro est né à Valence en 1569 dans une famille noble. Après une carrière militaire qui le conduit jusqu’en Italie, il choisit de s’installer à Madrid où il participe à la vie littéraire et artistique. C’est le théâtre qui l’attire plus particulièrement, notamment sous l’influence de Lope de Vega, dont il est l’ami.
Bien qu’il ait été reconnu de son temps pour son talent dramatique et qu’il fut fait chevalier de l’ordre de Santiago en 1623, il meurt en 1631 dans la plus grande pauvreté.
Les Enfances du Cid. Première comédie - (1605-1615) Les Enfances du Cid. Deuxième comédie - (1605-1615) Don Quichotte de la Manche - (1610-1615) Narcisse - (1612-1615)
L’œuvre théâtrale de Guillén de Castro fut reconnue et célébrée par ses contemporains. Cervantès admirait notamment son sens du pathétique, et Corneille s’inspira de Les Enfances du Cid pour écrire Le Cid. Cette pièce a connu un si grand succès qu’elle a occulté le reste de son œuvre. Castro se distingue par la subtilité avec laquelle il campe ses personnages, à une époque où les dramaturge ont très souvent recours à des types caricaturaux. Son univers se nourrit de la culture castillane dont il reprend certaines ballades traditionnelles ; il est également influencé par Cervantès dont il s’est directement inspiré pour sa pièce Don Quichotte de la Manche.
« LE COMTE D'ORGAZ :
N'est-ce pas folie de ne point voir qu'en fin de compte je rapiécerai son honneur pour un lambeau arraché au mien ? Et après cela, nous nous retrouverions, lui avec un honneur rapiécé, moi avec un honneur perdu. Et cette pièce d'une autre couleur sera pour lui un plus grand préjudice, car l'honneur ne se peut restaurer que par un morceau de même étoffe. »
Les Enfances du Cid. Première comédie , 1605-1615
« RODRIGUE :
Exauce mon légitime espoir : tue-moi !
CHIMÈNE :
Laisse-moi !
RODRIGUE :
Attends… Songe bien que c'est en m'épargnant que tu exécutes ta vengeance, et que me tuer n'en serait pas une !
CHIMÈNE :
Et c'est pourquoi je choisis ce moyen.
RODRIGUE :
Je perds le sens ! Tu te montres si cruelle… Tu me hais donc ?
CHIMÈNE :
Je ne peux te haïr, toi qui est le maître de mon destin.
RODRIGUE :
À quoi bon alors tant de rigueur ?
CHIMÈNE :
Je ne suis qu'une femme, mais mon honneur exige que je fasse contre toi tout ce que je pourrai… tout en souhaitant ne rien pouvoir.
RODRIGUE :
Hélas ! Chimène ! Qui eût dit…
CHIMÈNE :
Hélas ! Rodrigue ! Qui eût cru… »
Les Enfances du Cid. Première comédie , 1605-1615
« MARTÍN GONZÁLEZ :
Ainsi, Rodrigue, tu es assez audacieux non seulement pour ne pas trembler devant moi, mais pour te battre, et qui plus est contre moi ? Penses-tu exercer ta force non pas contre des harnois et des boucliers, mais contre des poitrines nues, contre des hommes à demi femmes, contre les Maures aux cimeterres de clinquant, aux rondades de papier et aux bras de coton ? Ne vois-tu pas que tu perdras d'un coup tout le courage qui t'anime, si je laisse seulement tomber sur toi un gantelet ? Va donc vaincre là-bas tes moricauds et fuis où ma rigueur ne pourra pas t'atteindre !
RODRIGUE :
Les chiens qui aboient n'ont jamais de crocs vaillants ! »
Les Enfances du Cid. Première comédie , 1605-1615
« LE LÉPREUX :
Qu'un de mes frères en Jésus-Christ me tende la main pour sortir d'ici !…
LE BERGER :
Pas moi ! Sa main est lépreuse est répugnante.
PREMIER SOLDAT :
Je ne m'y risque pas.
LE LÉPREUX :
Écoutez un peu, au nom du Christ !
SECOND SOLDAT :
Ni moi non plus !
RODRIGUE :
Moi si, car c'est une œuvre de miséricorde. Et même je te baiserai la main. »
Les Enfances du Cid. Première comédie , 1605-1615