Quelques années après avoir publié L’Olive, du Bellay quitte la France pour accompagner son cousin le cardinal Jean du Bellay à la cour pontifical de Rome. Il est alors confronté aux intrigues de la cour et ne peut pas autant qu’il le voudrait profiter des plaisirs culturels de la ville. Rome est en effet le lieu emblématique de la culture antique, qui nourrit l’imaginaire de du Bellay. Les Regrets, écrit lors de son séjour romain, témoigne de cette mélancolie et de la nostalgie de sa terre natale.
Le sonnet : Avec Les Regrets, du Bellay pousse beaucoup plus loin le travail entamé dans L’Olive. S’il continue à explorer le genre du sonnet et qu’il ne tourne pas le dos à l’inspiration antique et pétrarquiste, il en modifie l’interprétation. Le sonnet n’est plus ici le genre destiné à la poésie amoureuse mais permet d’exprimer toute la finesse des sentiments intérieurs du poète. Il devient modulable et embrasse les tonalités très différentes de l’élégie, de la satire et de l’éloge. L’alexandrin : Le recours à l’alexandrin est également une innovation qui marquera durablement la métrique de la poésie française. L’instauration d’une nouvelle métrique correspond à l’originalité du projet de du Bellay, qu’il explicite au début du recueil. Il ne s’agit plus d’imiter les anciens ou de puiser dans une matière quelque peu figée, dont le thème amoureux de L’Olive est emblématique. L’enjeu est, au contraire, d’écrire en rimes comme on écrirait en prose, de raconter un quotidien et les mouvements d’une âme.
Les Regrets comporte 191 sonnets en alexandrin, métrique qui représente une nouveauté. Du Bellay y abandonne l’inspiration amoureuse au profit d’une évocation de son pays natal et d’une description de sa mélancolie. Il y critique aussi la corruption de la Rome moderne.
On distingue trois tonalités différentes : un moment élégiaque (jusqu’au sonnet 49), un moment consacré à la satire (du sonnet 50 au sonnet 156) et enfin, un moment tourné vers l’éloge (du sonnet 156 au sonnet 191).
L’élégie
L’élégie
Cette partie est celle des regrets proprement dits. Le poète chante sa souffrance de se trouver loin de sa terre natale. Il décrit ses promenades à Rome au cours desquelles la ville se mêle aux souvenirs des lieux aimés dans sa jeunesse. Du Bellay s’identifie à Ulysse, voyageur porté loin de chez lui et qui aspire à retrouver son foyer.
La satire
La satire
Du Bellay fait ici une critique de la vie romaine et notamment de la cour pontificale. Les intrigues et les vanités qu’il y voit le font prendre en dégoût ce milieu.
Mais son retour en France le laisse également désabusé car il n’y trouve pas les vertus dont il se souvenait.
L’éloge
L’éloge
Consolation des désillusions du poète devenu adulte, l’admiration et l’amitié occupent cette dernière partie. Du Bellay y fait l’éloge d’amis, de poètes et de grandes figures de son époque. Cet exercice d’admiration reste malgré tout l’expression de son insatisfaction puisqu’il ne fait que souligner la médiocrité de la plupart des hommes.
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison,
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? »« Et je pensais aussi ce que pensait Ulysse,
Qu’il n’était rien plus doux que voir encore un jour
Fumer sa cheminée, et après long séjour
Se retrouver au sein de sa terre nourrice.
Je me réjouissais d’être échappé au vice,
Aux Circés d’Italie, aux sirènes d’amour,
Et d’avoir rapporté en France à mon retour
L’honneur que l’on s’acquiert d’un fidèle service.
Las, mais après l’ennui de si longue saison,
Mille soucis mordants je trouve en ma maison,
Qui me rongent le cœur sans espoir d’allégeance. »« Vu le soin ménager dont travaillé je suis,
Vu l'importun souci qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t'ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante ;
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits »« Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d'un Horace,
Et moins veux-je imiter d'un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d'un Ronsard, pour chanter mes Regrets. »