Le Horla est une nouvelle de Maupassant grâce à laquelle il apparaît comme un précurseur du genre fantastique psychologique. En effet, le texte ne permet jamais d’être certain de l’existence de la créature qui hante le narrateur.
Le récit se présente sous la forme d’un journal intime, dans lequel le narrateur fait allusion à sa folie. Le narrateur est donc peu fiable, et sa lucidité doit être remise en question.
Cette nouvelle, très moderne dans sa forme, influencera des auteurs comme H. P. Lovecraft avec son principe des « écrits retrouvés », où le narrateur raconte sa terreur et sa descente aux enfers sans aucun point de vue objectif, extérieur, sur l’histoire. Ce texte suggère aussi la possibilité d’un monde où l’homme est dominé par des puissances surnaturelles hors de son entendement. Le mot même de « Horla » suggère sous la forme d’un oxymore ce qui est là, et pourtant qui vient d’ailleurs, et ne devrait pas exister. Il est également possible de comprendre cette mystérieuse force à l’œuvre comme une émanation de l’inconscient, l’incarnation de la puissance de l’esprit, qui demeure inconnu à lui-même.
Le narrateur : Gagné peu à peu par la folie, le narrateur tente de conserver sa lucidité en transcrivant son expérience par écrit.
La folie : Réelle ou crainte, la folie est ici le ressort du fantastique. En effet, le narrateur est peut-être atteint d’une maladie mentale dès le départ, ou bien peut-être est-il progressivement rendu fou par son expérience du surnaturel. L’inconscient : Même s’il n’est pas encore nommé ainsi, l’inconscient est ici éprouvé comme une intuition. La nouvelle de Maupassant s’ancre dans son époque, où les recherches sur l’hypnose et les travaux du docteur Charcot sur l’hystérie suggèrent que l’esprit contient une part d’inconnu à laquelle la conscience n’a pas accès.
La nouvelle commence à la date du 8 mai, par une description sereine du paysage normand et de l’état d’esprit du narrateur, tandis qu’il contemple un navire brésilien depuis son jardin. Quelques jours plus tard, le narrateur se sent envahi par une mélancolie et une angoisse inexpliquées. Il évoque déjà « d’inconnaissables puissances » pour expliquer ses variations d’humeur. Dans l’entrée suivante, le 16 mai, le narrateur décrit la dégradation de son état physique et mental. La fièvre et l’angoisse l’ont envahi. Le 25 mai, après avoir consulté un médecin qui ne lui trouve aucun problème particulier, le narrateur relate la paranoïa qui s’installe dans sa vie.
« Vers dix heures, je monte dans ma chambre. À peine entré, je donne deux tours de clef, et je pousse les verrous ; j’ai peur… de quoi ?… Je ne redoutais rien jusqu’ici… j’ouvre mes armoires, je regarde sous mon lit ; j’écoute… j’écoute… quoi ?… »
Il décrit ensuite le cauchemar, comme une créature assise sur sa poitrine, qui l’étouffe. Au 2 juin, les traitements proposés par le médecin ne fonctionnent pas, et le narrateur se sent de plus en plus confus et désorienté. Il décide de partir en voyage et à son retour le 2 juillet, il se croit guéri. Il raconte sa visite du Mont-Saint-Michel et les légendes locales qu’un moine lui rapporte, et lui fournissent l’occasion d’une réflexion sur la nature de la réalité.
Deux jours plus tard, le narrateur se rend à l’évidence. Il n’est pas guéri, les cauchemars reviennent, la créature qui l’assaille est de plus en plus distincte et physique :
« Cette nuit, j’ai senti quelqu’un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait fait une sangsue. »
Une nuit, il s’aperçoit que la cruche, pleine lorsqu’il va se coucher, est vide à son réveil. Il doute, entrevoit sa propre folie : qui d’autre que lui-même aurait pu boire cette eau ? Le narrateur commence alors diverses expériences en laissant des boissons et de la nourriture sur la table de nuit. Seules les boissons disparaissent. Après s’être enduit de mine de plomb et avoir enveloppé les carafes de linges, il constate au matin que les carafes sont vides, mais que les linges ne sont pas salis.
Le 12 juillet, le narrateur se sent calmé après un séjour à Paris qui lui remet les idées en place.
Le 16 juillet, il dîne avec des connaissances et rencontre un médecin pratiquant l’hypnose et la suggestion. Devant la perplexité des convives, le médecin hypnotise la cousine du narrateur et lui fait une suggestion. Le lendemain, la cousine fait exactement ce que le médecin lui avait demandé. Le narrateur en est extrêmement troublé.
Le 4 août, les domestiques commencent à murmurer sur des verres cassés pendant la nuit. Deux jours plus tard, le narrateur voit enfin quelque chose, en plein jour.
« Comme je m’arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d’une de ces roses se plier, comme si une main invisible l’eût tordue, puis se casser comme si cette main l’eût cueillie ! Puis la fleur s’éleva, suivant la courbe qu’aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l’air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux. »
Bouleversé, le narrateur est désormais convaincu de l’existence de la créature, tout en s’interrogeant sur sa santé mentale et sur la nature de la folie. Est-il possible d’être fou tout en étant parfaitement lucide ?
Désormais, le narrateur ressent constamment la présence de la créature, sans qu’elle ne se manifeste visuellement et physiquement. Sa volonté fait plier celle du narrateur. Il vit une sorte de possession.
« Je n’ai plus aucune force, aucun courage, aucune domination sur moi, aucun pouvoir même de mettre en mouvement ma volonté. Je ne peux plus vouloir ; mais quelqu’un veut pour moi ; et j’obéis.
14 août. – Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! »
Son état lui fait penser à celui de sa cousine, quand elle exécutait les ordres donnés sous hypnose par le médecin.
Le 16 août, le narrateur parvient à échapper à l’emprise de la créature et se rend à la bibliothèque pour emprunter un livre sur le surnaturel. Le monde lui paraît de plus en plus étranger, inconnaissable et effrayant.
« Nous sommes si infirmes, si désarmés, si ignorants, si petits, nous autres, sur ce grain de boue qui tourne délayé dans une goutte d’eau. »
Le narrateur espère trouver un moyen de vaincre la créature, de la faire fuir.
Le lendemain, il lit dans un journal un article sur une étrange folie collective qui touche les habitants de São Paulo. Le narrateur se souvient alors du navire brésilien qu’il a remarqué au mois de mai, et comprend qu’il transportait la créature responsable de ses troubles.
Le narrateur sombre dans un délire enfiévré, persuadé qu’une force inconnue est à l’œuvre, supérieure à l’homme. Cette créature lui donne son nom : le Horla.
La folie du narrateur culmine lorsqu’il s’examine dans un miroir et voit son image affaiblie et déformée par la présence de la créature devant lui. Il décide de tuer le Horla.
Le 10 septembre, le narrateur raconte comment il a réussi à enfermer la créature, qui en profite pour mettre le feu à la maison.
Le narrateur est cependant persuadé que la créature n’est pas morte. La nouvelle se conclut sur l’impitoyable conclusion qu’en tire le narrateur : puisque la créature ne peut pas mourir, il ne lui reste qu’une seule issue : le suicide.
« D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l’air, l’air invisible est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m’éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. – Pourquoi ? – Je descends le long de l’eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait chez moi. – Pourquoi ? – Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? Sait-on ? »
12 mai« Comme il est profond; ce mystère de l’Invisible ! Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau… »
12 mai« Certes, la solitude est dangereuse pour les intelligences qui travaillent. Il nous faut autour de nous, des hommes qui pensent et qui parlent. Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantômes. »
12 juillet« […] on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans la glace ! Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas dedans… et j’étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n’osais plus avancer, je n’osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. »
19 août