Gide n’est pas un inconnu lorsque L’Immoraliste paraît : son roman Les Nourritures terrestres, publié en 1897, a déjà été remarqué. À bien des égards, L’Immoraliste peut être considéré comme une suite de ce roman. On y retrouve ainsi le personnage ambigu de Ménalque.
Mais d’un livre à l’autre, Gide a déplacé l’enjeu philosophique. Alors que Les Nourritures terrestres faisaient l’apologie de la liberté individuelle et du plaisir, L’Immoraliste en est, au contraire, la critique. Ses lecteurs contemporains sont cependant passés à côté de cette intention et, proposant une interprétation contraire à celle de l’auteur, ont le plus souvent assimilé Gide au personnage de Michel. Il est vrai que ce roman a des aspects autobiographiques : un mariage éthéré, une passion pour l’Afrique du Nord, le goût pour la philosophie…
Gide conclura ce cycle avec La Porte étroite en 1909, qui constituait pour lui le pendant de L’Immoraliste en décrivant l’excès inverse, celui de la sainteté et du sacrifice.
Michel : C’est le narrateur. Jeune historien dont l’enfance et la jeunesse ont été marquées par une éducation protestante, il ne témoigne d’intérêt que pour l’étude jusqu’à ce qu’une maladie le révèle à la vie et à la sensualité. Il s’est marié pour obéir à son père mais il n’éprouve pas d’amour pour sa femme avec laquelle il se montre d’un grand égoïsme. Marceline : C’est la femme de Michel. Elle aime son mari auquel elle est très dévouée. Il lui faudra du temps pour comprendre les changements qui s’opèrent en lui. Lorsqu’elle en prend conscience, l’amertume précipite sa mort. Ménalque : Ce personnage apparaît déjà dans Les Nourritures terrestres. C’est à la fois un sage, connaisseur de la vie et de la nature, et un tentateur, qui prêche l’individualisme et le plaisir. Charles : Jeune homme travaillant dans la propriété de Michel, c’est un esprit pragmatique et raisonnable qui pense que les tâches doivent être effectuées avec sérieux. Alcide : Demi-frère de Charles, il est plus frivole que Charles et aime braconner dans les forêts dont son père est pourtant garde-chasse. Moktir : C’est un enfant au début du roman. Bel enfant de caractère moins ouvert que les autres, il se montre rusé et dissimulateur. Dans la troisième partie du roman, c’est un jeune adulte qui a gardé le goût des plaisirs.
La morale : L’Immoraliste peut être lu comme une réflexion sur la place et le rôle de la morale. La morale rigide et puritaine que Michel a connue dans son enfance en a fait un être privé de vie et de liberté. Mais lorsqu’il se débarrasse de cette morale et qu’il devient l’immoraliste évoqué par le titre, il laisse place à un personnage égoïste et individualiste, qui cause consciemment la mort de sa femme. Gide s’est défendu d’avoir voulu faire l’apologie de ce comportement. Son intention est au contraire critique, comme l’indique la méticulosité avec laquelle il décrit les méandres psychologiques de son personnage, à la fois hypocrite et vaniteux. L’individualisme : Michel représente, tout comme Ménalque, l’individualisme dans ce qu’il a de pire, c’est-à-dire dans l’acceptation du sacrifice des autres. Le personnage de Marceline en est l’antithèse par son dévouement. Sa fadeur rend cependant le message de Gide peu convaincant. La liberté : Le grand thème de ce livre est peut-être surtout celui de la liberté, définie comme ouverture à la vie dans sa dimension sensuelle et animale. Michel comprend que la liberté se trouve hors de l’ordre social et moral, dans l’acceptation de ses pulsions. L’enjeu est alors de savoir quel prix chacun est prêt à payer pour cette liberté.
Première partie
Première partie
Chapitre 1
Chapitre 1
Le récit s’ouvre sur une lettre dont l’auteur, inconnu, raconte comment il a été appelé, avec deux autres amis, auprès de Michel en Algérie. Michel leur fait alors la confession qui va constituer le roman.
Jeune historien sorti de l’École des chartes, il épouse Marceline à la mort de son père pour répondre aux dernières volontés de celui-ci. Michel n’éprouve, quant à lui, pas de passion pour sa femme.
Le jeune couple part en voyage de noce et s’embarque pour Tunis. En Afrique du Nord, Michel est atteint par la tuberculose. Michel pense qu’il a peu de chance de guérir et se résigne à la mort, mais Marceline fait tout pour le soigner et l’emmène à Biskra, en Algérie.
Chapitre 2
Chapitre 2
Grâce aux soins dévoués de Marceline, Michel guérit peu à peu. Pendant cette longue guérison puis convalescence, Michel développe une nouvelle philosophie entièrement tournée vers le désir de vivre.
Chapitre 3
Chapitre 3
Michel s’intéresse désormais à son corps, ce qui est nouveau pour lui, et s’ouvre à la sensualité. Il contemple avec admiration les enfants plein de santé et de vie. Ses sens se développent.
Chapitre 4
Chapitre 4
Michel découvre un oasis idyllique peuplé de bergers jouant de la flûte.
Il se prend d’affection pour un jeune garçon, Moktir, après avoir vu celui-ci lui dérober une paire de ciseaux.
Chapitre 5
Chapitre 5
Michel décide de se consacrer davantage à Marceline, qu’il a jusque-là délaissée.
Le couple s’apprête à quitter Biskra avec l’arrivée du printemps.
Chapitre 6
Chapitre 6
Le couple est maintenant en Italie.
De retour en Europe, Michel réalise qu’il est profondément changé. L’histoire l’intéresse désormais moins que le présent.
Chapitre 7
Chapitre 7
Michel fait raser sa barbe pour devenir pleinement le nouvel être qu’il sent en lui.
Comme il craint que Marceline ne désapprouve sa transformation intérieure, il essaie de la lui cacher, ce qui provoque en lui à la fois culpabilité et plaisir.
Chapitre 8
Chapitre 8
Michel sauve héroïquement Marceline d’un accident de voiture, faisant la preuve de son courage physique. À la suite de cet incident, il consomme pour la première fois son mariage.
Chapitre 9
Chapitre 9
Le couple est maintenant parfaitement heureux, sous le soleil de Sorrente en Italie. Mais Michel s’ennuie et voudrait retravailler.
Ils rentrent en France lorsque Michel apprend qu’une chaire est vacante au Collège de France. Le couple s’installe à La Morinière, une propriété en Normandie dont Michel a hérité de sa mère.
Deuxième partie
Deuxième partie
Chapitre 1
Chapitre 1
Le couple arrive en Normandie en juillet et Marceline est enceinte.
Michel prépare ses cours pour la rentrée.
Il fait la connaissance de Charles, qui lui enseigne comment diriger l’exploitation de ses fermes.
À l’automne, Michel et Marceline retournent à Paris.
Chapitre 2
Chapitre 2
Michel s’ennuie à Paris. Son premier cours n’est pas compris. Mais Ménalque, homme mystérieux et solitaire, l’a apprécié.
Ménalque raconte à Michel qu’il s’est trouvé par hasard à Biskra après lui et qu’apprenant sa maladie, il s’est renseigné. Il a parlé au petit Moktir : l’enfant savait que Michel l’avait vu voler les ciseaux.
Ménalque, qui doit partir en mission, passe une dernière soirée avec Michel. Il lui expose sa philosophie de la vie, l’importance du moment présent et du nomadisme. Michel, qui reconnaît là ses propres pensées, est dépité.
Au même moment, Marceline, qui était malade, fait une fausse couche. Elle est très affaiblie.
Chapitre 3
Chapitre 3
Le couple retourne à La Morinière, où Marceline pourra se reposer.
Michel court les champs et les forêts. Il apprend les secrets sordides d’un paysan du coin. Il se lie également avec un jeune homme, Alcide, avec lequel il braconne sur ses propres terres.
Puis il renonce à ce jeu et décide de vendre la propriété.
Troisième partie
Troisième partie
Michel et Marceline partent pour un second voyage de noce pendant lequel Michel espère aimer à nouveau sa femme.
En Suisse, Marceline est très affaiblie et on lui diagnostique une tuberculose. On lui conseille l’air des montagnes.
Mais Michel s’ennuie et veut retourner en Italie où il entraîne sa femme dans une errance fatigante. La chaleur épuise Marceline.
La nuit, Michel sort en cachette et se dissipe avec des vagabonds.
Poussé par Michel, le couple retourne à Biskra. Michel délaisse alors totalement sa femme et cherche à revoir les enfants qu’il avait connus. Ils ont grandi, se sont mariés pour certains. Moktir est le seul qui soit resté tel qu’il était.
Il entraîne Marceline et Moktir à Touggourt alors que la jeune femme est de plus en plus épuisée. Michel est conscient qu’il est en train de la tuer. Marceline finit par mourir à Touggourt, refusant le chapelet que Michel lui tend.
Michel reste alors prisonnier d’une vie d’oisiveté et de débauche. Il fait appel à ses amis pour qu’ils l’en arrachent.
« Il me semblait avoir jusqu’à ce jour si peu senti pour tant penser, que je m’étonnais à la fin de ceci : ma sensation devenait aussi forte qu’une pensée. »« J’en venais à ne plus goûter en autrui que les manifestations les plus sauvages, à déplorer qu’une contrainte quelconque les réprimât. Pour un peu je n’eusse vu dans l’honnêteté que restrictions, conventions ou peur. »« C’est à soi-même que chacun prétend le moins ressembler. Chacun se propose un patron, puis l’imite ; même il ne choisit pas le patron qu’il imite ; il accepte un patron tout choisi. Il y a pourtant, je le crois, d’autres choses à lire, dans l’homme. On n’ose pas. On n’ose pas tourner la page. Lois de l’imitation ; je les appelle : lois de la peur. On a peur de se trouver seul : et l’on ne se trouve pas du tout. Cette agoraphobie morale m’est odieuse ; c’est la pire des lâchetés. Pourtant c’est toujours seul qu’on invente. Mais qui cherche ici d’inventer ? Ce que l’on sent en soi de différent, c’est précisément ce que l’on possède de rare, ce qui fait à chacun sa valeur ; et c’est là ce que l’on tâche de supprimer. On imite. Et l’on prétend aimer la vie. »« Je vois bien, me dit-elle un jour, – je comprends bien votre doctrine – car c’est une doctrine à présent. Elle est belle, peut-être, – puis elle ajouta plus bas, tristement : mais elle supprime les faibles.
- C’est ce qu’il faut, répondis-je aussitôt malgré moi.
Alors il me parut sentir, sous l’effroi de ma brutale parole, cet être délicat se replier et frissonner. »