Électre fut représentée pour la première fois au théâtre Louis-Jouvet par la troupe de l’Athénée, le jeudi 13 mai 1937, sous la direction du metteur en scène Louis Jouvet, qui a également interprété le rôle du Mendiant.
Pour Giraudoux, le metteur en scène a une place capitale. Il vécut cette collaboration avec son ami Louis Jouvet et sa troupe comme une véritable réussite, où chacun sut tenir son rang et remplir son rôle dans le respect du texte.
Giraudoux aimait beaucoup son Électre. Il la préférait à La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), qui lui avait apporté une gloire internationale. En se réappropriant le mythe antique d’Électre, qui avait été porté à la scène notamment par Eschyle (Les Choépores, vers 458 avant J.-C.) et Sophocle (Électre, vers 415 avant J.-C.), Jean Giraudoux a su séduire le public moderne.
Si Giraudoux est globalement fidèle à l’intrigue principale, son originalité réside dans l’invention de personnages inédits, tels que le Mendiant ou les époux Théocathoclès, mais surtout dans le fait qu’Électre ignore tout de l’assassinat de son père Agamemnon. Dans cette pièce, elle incarne alors la quête d’une vérité destructrice, ainsi que la justice et la vérité en marche.
Après sa création en mai 1937, la pièce fut jouée 80 fois jusqu’en juillet, et resta à l’affiche jusqu’en novembre après 178 représentations. La pièce fut également le premier spectacle officiel de l’Exposition internationale de 1937.
Électre : Fille de Clytemnestre et d’Agamemnon, c’est une héroïne tragique qui combat pour la justice. Elle prétend se souvenir que sa mère a abandonné son frère alors qu’elle n’avait que quinze mois. Une fois son frère Oreste retrouvé, elle recherche la vérité sur la mort de son père. Elle mène l’interrogatoire et démasque les coupables. Pour que vengeance soit faite, elle souhaite leur châtiment. Clytemnestre : Fille de Zeus et de Léda. Sa sœur Hélène a épousé Ménélas, le frère d’Agamemnon. Elle est l’épouse d’Agamemnon et la mère d’Électre et d’Oreste, mais aussi, selon les mythes, de Chrysothémis et d’Iphigénie, qui a été sacrifiée pour que les vaisseaux grecs partent sous un vent favorable à la conquête de Troie. Clytemnestre a été mariée contre son gré à Agamemnon qu’elle haïssait bien avant qu’il ne sacrifie leur fille Iphigénie. Elle et son amant Égisthe l’ont tué, et ils cachent leur relation depuis sept ans. Après le meurtre d’Agamemnon, elle a chassé son fils Oreste hors de la cité. Agathe : Épouse du Président, auquel elle est souvent infidèle. Elle s’arrange pour substituer l’Étranger (qui n’est autre qu’Oreste) au Jardinier (dont elle est parente) qui doit épouser Électre. La femme Narsès : Femme du peuple, elle porte le nom de son mari, qui est l’homme le plus bête du monde (narkè en grec signifie engourdissement, torpeur). D’une grande laideur, elle est escortée par les misérables et les mendiants. Elle aidera Électre à accoucher de la justice. Les Euménides - Les Petites Euménides : D’après l’étymologie, ces divinités sont « les bienveillantes ». Elles sont les Érinnyes, des Furies, filles de la Nuit et de Cronos, qui poursuivent les criminels et les punissent sans pitié. Au début de la pièce, elles sont de petites filles, mais elles se révèlent progressivement comme de véritables monstres symboles du Destin : elles suscitent et précipitent la catastrophe, la tragédie. Le mendiant : Nul ne sait vraiment qui est ce personnage : un dieu, un homme ? Il apparaît dans la pièce comme un prophète inspiré qui commente l’action. Égisthe : Amant de Clytemnestre, il l’a séduite pendant l’absence d’Agamemnon occupé au siège de Troie. Dès son retour, il fait tuer ce dernier. Il exerce ensuite la régence à Argos pendant la pièce. En mariant Électre à un Jardinier, il espère détourner le destin de la famille Atrides. Le président : Le Président Théocathoclès est un cousin éloigné du Jardinier. Dans cette pièce, il est un juge cocufié à plusieurs reprises par Agathe. Oreste : Oreste est le fils de Clytemnestre et d’Agamemnon, frère cadet d’Électre. Oreste a été exilé en bas âge par sa mère Clytemnestre. Il revient à Argos en se faisant passer pour un étranger. Il ne semble pas opposé à l’idée d’un compromis au nom de l’idéal du bonheur familial, mais Électre, animée par la vengeance, lui oppose son devoir de châtier les meurtriers de leur père. Le jardinier : Il a été choisi par Égisthe pour épouser Électre dans l’espoir de détourner le mauvais sort du palais d’Argos. Mais le mariage n’aura pas lieu. Il est alors rejeté de l’action, et c’est pourquoi lui revient l’entracte dans lequel il commente son sort. Le jeune homme : Il est l’amant d’Agathe, qui apparaît au début du second acte. Le capitaine : Il est aux ordres d’Égisthe. Il vient lui rappeler la menace des Corinthiens. Le garçon d’honneur : null Les majordomes : null Un mendiant : null
La vérité : Électre exige et recherche la Vérité, la vérité de son histoire familiale. Mais la pièce révèle la vérité sur chacun des personnages : l’Étranger est Oreste, Égisthe et Clytemnestre sont amants et ont assassiné Agamemnon, Agathe trompe le Président notamment avec Égisthe… La justice : La découverte de la vérité pousse Électre à vouloir obtenir justice par le châtiment des coupables. Face au dilemme entre venger son père ou sauver la ville, Électre n’éprouve pas de doute, elle ne vit que pour que justice soit faite. La vengeance : Électre veut venger l’assassinat de son père en incitant Oreste à tuer les deux amants, et n’hésite pas à sacrifier le bonheur public pour la vengeance. L’amour fraternel : Électre reporte l’amour du père sur celui du frère exilé pendant plus de vingt ans, et dont elle se souvenait. Les retrouvailles d’Électre et Oreste donnent lieu à des moments de pur bonheur fraternel. La passion amoureuse empêchée : Clytemnestre et Égisthe cachent leur relation depuis sept ans car Électre ne veut pas que sa mère se remarie. Clytemnestre finit par le lui avouer : « Depuis dix ans j’aime Égisthe. Depuis dix ans je remets ce mariage par égard pour toi, Électre, et pour le souvenir de ton père. » (II, 7). Mais le destin empêchera les amants criminels de vivre leur amour. Le destin : Comme l’annonce la présence des Euménides, le mauvais sort de la famille des Atrides se poursuit. Les personnages sont les jouets du destin et de la fatalité tragique.
s’étend sur environ douze heures : d’une fin d’après-midi (acte I) à l’aube d’une nouvelle journée (acte II).
Acte I
Acte I
Scène 1
Scène 1
Guidé par les Euménides, un étranger arrive à Argos au palais de celui qui fut le roi Agamemnon. Il s’agit d’Oreste. Il rencontre le jardinier qui va épouser Électre, selon les souhaits d’Égisthe.
Scène 2
Scène 2
Après la visite commentée du palais des Atrides, Oreste recueille l’avis du Président Théocathoclès sur Électre. Ce dernier et Agathe, sa femme, sont parents du futur époux et sont inquiets de voir entrer dans la famille cette « femme à histoires ».
Scène 3
Scène 3
Égisthe entre sur scène accompagné d’un mendiant et balaye toute objection en affirmant qu’Électre doit se marier avec celui qu’il a choisi. Le Mendiant affirme, non sans ambiguïtés, qu’Électre va se déclarer.
Scène 4
Scène 4
Électre et Clytemnestre se querellent vivement. Électre accusant sa mère d’avoir laissé tomber Oreste, son frère, qui a été envoyé hors de sa cité.
Scène 5
Scène 5
Agathe s’arrange pour substituer l’Étranger au Jardinier auprès d’Électre.
Scène 6
Scène 6
L’Étranger se découvre alors à Électre. Il s’agit d’Oreste, son frère, revenu discrètement dans sa patrie après un exil de près de vingt ans.
Scène 7
Scène 7
Clytemnestre s’étonne de la ressemblance entre celui qu’elle croit être le Jardinier et sa fille. Électre la somme de partir et de les laisser seul à seul.
Scène 8
Scène 8
Ces retrouvailles inespérées, qu’Électre a tant de fois rêvées, l’encouragent à rechercher la vérité sur la mort de leur père et sur les raisons profondes de la haine qu’elle nourrit pour sa mère Clytemnestre. Une haine qui s’exprime avec tant de force qu’Oreste l’interroge :
« ORESTE :
Pourquoi hais-tu à ce point notre mère, Électre.
ÉLECTRE :
Ne parle pas d’elle, surtout pas d’elle. Imaginons une minute, pour notre bonheur, que nous ayons été enfantés sans mère. Ne parle pas. »
Électre se délecte du bonheur d’avoir retrouvé son frère.
Scène 9
Scène 9
Clytemnestre veut savoir qui est cet étranger avec Électre et se dit même prête à accepter leur mariage, mais Électre ne veut pas l’écouter. Égisthe arrive brusquement pour annoncer le retour d’Oreste à Argos, ce qui est une véritable menace pour la cité.
Scène 10
Scène 10
Oreste demande une nouvelle fois à Électre de lui expliquer les raisons de sa haine pour Clytemnestre. Et celle-ci de lui répondre qu’elle n’a pas fini de mener son enquête : « Je ne connais pas mon secret encore. Je n’ai que le début du fil. Ne t’inquiète pas. Tout va suivre… »
Scène 11
Scène 11
Clytemnestre reconnaît Oreste. Ils échangent quelques mots, mais Électre les interrompt vite pour empêcher qu’une quelconque complicité puisse se nouer.
Scène 12
Scène 12
Oreste et Électre sont endormis dans les bras l’un de l’autre. Pendant ce temps, les Euménides rejouent, sur le mode parodique, les meurtres de la famille des Atrides, c’est-à-dire le meurtre d’Agamemnon par Égisthe et Clytemnestre.
Scène 13
Scène 13
Le Mendiant, qui pressent le pire, prend la parole devant Oreste et Électre. Blotti contre sa sœur, Oreste savoure le bonheur de l’amour fraternel.
Entracte
Entracte
Devant le rideau de la scène, le Jardinier se présente aux spectateurs et prend la parole hors du jeu dramatique. Il s’adresse au public comme le faisait le protagoniste des comédies grecques. Dans un monologue, il exprime l’amertume de l’amoureux éconduit qui n’épousera finalement pas Électre. Il explique trouver sa seule consolation dans son jardin et dans le silence de la nuit. C’est le « lamento du Jardinier ».
Ce monologue a une fonction dramatique essentielle en ce qu’il permet la transition entre les deux actes. Le rideau étant tombé sur la scène, comme la nuit sur le jour, ce lamento prépare aussi l’ellipse d’une nuit décisive qui sépare le projet de ce mariage avorté et la révélation de la vérité.
Acte II
Acte II
Le second acte commence peu avant le jour.
Scène 1
Scène 1
Électre se réveille, elle a appris dans son terrible rêve qu’Égisthe et Clytemnestre sont amants et qu’ils ont tué Agamemnon.
Scène 2
Scène 2
Agathe et un jeune homme se quittent au petit matin après avoir passé la nuit ensemble. Ce n’est pas la première fois qu’Agathe trompe le Président.
Scène 3
Scène 3
Lorsque Oreste se réveille à son tour, les Euménides lui conseillent de faire table rase du passé et de penser à un avenir heureux. Mais Électre, qui sait maintenant la vérité, ne veut pas qu’il les écoute. Une première illumination lui vient à l’esprit lorsqu’elle voit Agathe avec son amant : « Notre mère a un amant » ; suivie d’une seconde : « Notre père a été tué ».
Scène 4
Scène 4
Clytemnestre rencontre ses deux enfants. Oreste lui demande si elle a un amant et Électre veut connaître son nom. Oreste veut encore croire en l’innocence de sa mère.
Scène 5
Scène 5
Oreste quitte les deux femmes à la demande d’Électre, qui harcèle sa mère avec des questions.
Scène 6
Scène 6
Agathe est poursuivie par son mari qui a découvert l’adultère. Elle avoue trahir son mari avec nombre de jeunes gens et avec Égisthe. À ces mots, Clytemnestre enrage et se trahit. Électre comprend aussitôt qu’Égisthe est son amant et comment a péri son père.
Scène 7
Scène 7
Égisthe paraît et demande à Électre son pardon et son soutien. Le Capitaine intervient pour rappeler à Égisthe l’urgence de la situation : la menace des envahisseurs que sont les Corinthiens. Égisthe explique qu’il lui suffirait d’épouser la reine et de paraître au balcon pour que la garde se ressaisisse. Égisthe, qui a eu une illumination, et en qui le roi d’Argos s’est révélé, fait à Électre le serment de sauver Argos.
Scène 8
Scène 8
Mais au nom de la justice et de la pureté, Électre refuse d’entendre ce discours. Elle lui demande d’avouer le meurtre d’Agamemnon. Égisthe promet alors de remettre Oreste sur le trône. Clytemnestre, devant l’intransigeance de sa fille, laisse éclater sa rancœur : elle avoue qu’elle haïssait Agamemnon qui ne lui inspirait que du dégoût.
Scène 9
Scène 9
Arrivent la femme Narsès et sa cohorte, qui viennent délivrer Oreste arrêté par Égisthe. Le Mendiant prend la parole pour exposer de manière détaillée le déroulement du meurtre d’Agamemnon. Ce crime appelle la vengeance. Électre arme le bras d’Oreste, qui va châtier les coupables. Le Mendiant fait alors le récit de la punition des coupables.
Scène 10
Scène 10
Les Corinthiens ont donné l’assaut. La cité d’Argos brûle. Les Euménides affirment à Électre qu’elle vivra désormais dans le remord. Mais celle-ci assume le désastre qu’elle a provoqué, même si elle ne reverra jamais son frère qui la maudit. Elle est toutefois persuadée que sa cité renaîtra un jour. Ce sera à nouveau l’« aurore ».
« La fraternité est ce qui distingue les humains. Les animaux ne connaissent que l’amour… les chats, les perruches, et caetera ; ils n’ont de fraternité que de pelage. Pour trouver des frères, ils sont obligés d’aimer les hommes, de faire la retape aux hommes. »
Acte I, scène 13 « C’est cela que c’est, la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté, c’est-à-dire en somme de l’innocence. Je ne sais pas si vous êtes comme moi ; mais moi, dans la Tragédie, la pharaonne qui se suicide me dit espoir, le maréchal qui trahit me dit foi, le duc qui assassine me dit tendresse. C’est une entreprise d’amour, la cruauté… pardon, je veux dire la Tragédie. »
Entracte
« ÉGISTHE :
Il est des vérités qui peuvent tuer un peuple, Électre.
ÉLECTRE :
Il est des regards de peuple mort qui pour toujours étincellent. Plût au Ciel que ce fût le sort d’Argos ! Mais, depuis la mort de mon père, depuis que le bonheur de notre ville est fondé sur l’injustice et le forfait, depuis que chacun, par lâcheté, s’y est fait le complice du meurtre et du mensonge, elle peut chanter, danser et vaincre, le ciel peut éclater sur elle, c’est une cave où les yeux sont inutiles. Les enfants qui naissent sucent le sein en aveugles. »
Acte II, scène 8
« LA FEMME NARSÈS :
[…] Comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
ÉLECTRE :
Demande au mendiant. Il le sait.
LE MENDIANT :
Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore. »
Acte II, scène 10