Alors en pleine effervescence intellectuelle, Nietzsche mène ses derniers travaux avant l’effondrement de sa santé. Le titre du Crépuscule des idoles reprend celui d’un opéra de Wagner, Le Crépuscule des dieux. On retrouve dans ce livre des idées développées précédemment, mais le ton en se fait plus radical et plus violent.
Le titre annonce l’objectif de Nietzsche, qui est d’amener les idoles à leur fin, l’idole par excellence étant la vérité. Les idoles passant dans l’ombre du crépuscule, les hommes pourront enfin se tenir à la lumière du soleil. Le projet est donc celui d’une transmutation de toutes les valeurs, c’est-à-dire d’abord d’une évaluation des valeurs, et ensuite de leur inversion. Il s’agit de « philosopher avec un marteau », c’est-à-dire démolir les vieilles idoles. Mais le marteau est aussi celui du médecin, un outil d’auscultation. Pour Nietzsche en effet, le monde de l’homme est malade.
Socrate est le premier symptôme de cette maladie de l’homme. Nietzsche voit en Socrate un homme décadent, refusant d’assumer la dimension tragique de la vie, ses passions, ses sens et son corps, et qui a conduit la philosophie à se réfugier dans un monde purement intellectuel, celui de la raison. La philosophie est devenue métaphysique, c’est-à-dire qu’elle s’est tournée vers un monde des vérités universelles et s’est détournée du monde réel. Le monde réel est un monde d’apparences et d’illusions, un monde sensible, mais les philosophes ont préféré lui substituer un monde intelligible et rationnel.
Ces nouvelles valeurs d’universalité et de rationalité introduites par Socrate ont rendu l’homme malade car elles l’ont conduit à mutiler sa vie même. En effet, refuser les passions et le sensible, refuser la dimension destructrice et douloureuse de la vie, c’est refuser la vie-même. Cette pathologie se traduit par la morale, qui se réfère à des idéaux et à des concepts qui sont illusoires, tels que ceux de volonté et de libre arbitre. La morale, qui prolonge la mutilation de l’homme, achève de le rendre malade. Nietzsche cherche alors ce qui peut sauver le monde et rendre l’humanité meilleure. Il faut avant tout sortir de cette logique de la peur, du jugement et de la culpabilité. À la morale, qui prétend améliorer l’homme mais le fait au contraire dégénérer, Nietzsche oppose une philosophie de la vie et de la création.
« La morale n’est qu’une interprétation – ou plus exactement une fausse interprétation – de certains phénomènes ».