Celui qui n’avait jamais vu la mer est une nouvelle parue pour la première fois dans le recueil Mondo et autres nouvelles en 1978, qui contient 8 histoires, puis rééditée sous la forme d’un bref roman. Elle est le cinquième texte du recueil.
Le Clézio, auteur franco-mauricien né en 1940 est influencé, à partir des années 70, par ses origines et ses voyages en Amérique Centrale et du Sud (Mexique, Panama, etc.). Il adopte alors une écriture plus personnelle, qui fait la part belle au rêve et à l’imagination.
Daniel : Jeune adolescent timide, il parle peu et a peu de camarades. Les camarades, les professeurs, les parents : Ils jouent un rôle secondaire dans l’histoire et représentent la société à laquelle Daniel veut échapper. La mer : Véritable personnage, elle est personnifiée et semble interagir avec Daniel.
La mer : La mer est très présente, elle est un personnage à part entière.
Au début de la nouvelle, elle est un fantasme du jeune garçon qui ne la connaît qu’à travers le récit qu’il en a lu de Sindbad le marin, son livre préféré qu’il connaît presque par cœur. Elle l’attire au point que, lassé par les gens qui en parlent autour de lui, Daniel s’enfuit pour la découvrir.
La découverte de la mer est une véritable fusion, écrite presque comme une rencontre amoureuse ou un coup de foudre : « Elle est belle ! » Elle séduit le jeune homme, l’intrigue, se dévoile à lui, comme le ferait une jeune femme. Elle lui montre ses secrets à marée basse et devient intrigante et ténébreuse quand la marée remonte.
Le jeune homme se sent en harmonie et vit au rythme des marées, oubliant presque de se nourrir. Il parvient à la comprendre et à communiquer avec elle alors qu’il n’a jamais eu de vrai camarade dans son lycée.
Un voyage initiatique : Dès le titre, on est plongé dans l’intrigue et le voyage : « Celui qui » insuffle une part de mystère sur l’identité du héros qui a une quête à accomplir : « voir la mer ». Cette formulation énigmatique et assez longue pour un titre confère au texte une part de légende.
Le voyage est initié par le rêve : la lecture de Sindbad. Mais le jeune héros doit se lancer lui-même et faire son propre cheminement, d’où la fugue. Il fait sa propre expérience et découvre l’élément marin et ses richesses. C’est l’expérience qui ouvre son esprit. La mer et ses couleurs : « étendue bleue, puis grise, verte, presque noire, bancs de sable ocre, ourlets blancs des vagues », ses sons : « un bruit très doux, très lent, puis violent », ses odeurs : « l’odeur des profondeurs […] et l’odeur puissante de l’eau salée ».
Cette découverte de la mer l’amène à de nouvelles connaissances, jusqu’à la communion et la plénitude : « il n’avait jamais connu un tel bonheur. Il s’endormit comme cela, dans la paix étale ».
Daniel est un adolescent timide, issu d’une famille très pauvre. Il a peu d’amis, parle peu.
Sa passion, c’est la mer. Mais il ne trouve personne avec qui en parler vraiment. Il l’a découverte dans son livre rouge qu’il garde précieusement : Sindbad le marin. Il aurait d’ailleurs voulu s’appeler Sindbad. Ceux qui parlent de la mer ne parle que de tourisme, de plage, mais pas de la mer pour elle-même.
Il ne l’a jamais vue et un jour de septembre, il décide de partir la découvrir, sans rien dire à personne.
Ses camarades sont intrigués de son départ : ils imaginent ce qu’il a pu faire, où il a pu aller, ils rêvent de son aventure.
Ses professeurs et ses parents sont inquiets et le font rechercher. En vain. On finit même par laisser tomber les recherches et oublier…
De son côté, Daniel découvre enfin la mer après un bout de voyage en train, puis à pied. On note plusieurs étapes successives dans la découverte et la vie avec la mer : son arrivée et sa joie de la découvrir, les bords de la mer, la plage à marée haute et la fuite face au potentiel danger ; puis la découverte des secrets de la mer, qui se retire grâce à la marée basse, les animaux, les aspérités et les roches, la vie qui existe sous cette mer ; de nouveau la marée haute et la fuite et de nouveau le plaisir renouvelé par la marée basse et d’autres secrets à découvrir. La marée basse symbolise pour lui l’amitié, la plénitude, la sérénité et le bonheur.
Pour les enfants de l’internat du lycée où il était, Daniel devient un mythe, l’objet des rêves d’évasion.
Présentation du personnage (incipit) :
« Il s’appelait Daniel, mais il aurait bien aimé s’appeler Sindbad, parce qu’il avait lu ses aventures dans un gros livre relié en rouge qu’il portait toujours avec lui, en classe et dans le dortoir. En fait, je crois qu’il n’avait jamais lu que ce livre-là. » Daniel :
« Les choses de la terre l’ennuyaient, les magasins, les voitures, la musique, les films et naturellement les cours du lycée. Il ne disait rien, il ne bâillait même pas pour montrer son ennui. Mais il restait sur place, assis sur un banc, ou bien sur les marches de l’escalier, devant le préau, à regarder dans le vide. » Le rêve de voir la mer :
« Même quand on parlait de la mer, ça ne l’intéressait pas longtemps. Il écoutait un moment, il demandait deux ou trois choses, puis il s’apercevait que ce n’était pas vraiment de la mer qu’on parlait, mais des bains, de la pêche sous-marine, des plages et des coups de soleil. Alors il s’en allait, il retournait s’asseoir sur son banc ou sur ses marches d’escalier, à regarder dans le vide. Ce n’était pas de cette mer-là qu’il voulait entendre parler. C’était d’une autre mer, on ne savait pas laquelle, mais d’une autre mer. » La rencontre avec la mer :
« Puis, il est arrivé au sommet de la dune, et d’un seul coup, il l’a vue.
Elle était là, partout, devant lui, immense, gonflée comme la pente d’une montagne, brillant de sa couleur bleue, profonde, toute proche, avec ses vagues hautes qui avançaient vers lui.
‟La mer ! La mer !” pensait Daniel, mais il n’osa rien dire à voix haute. Il restait sans pouvoir bouger, les doigts un peu écartés, et il n’arrivait pas à réaliser qu’il avait dormi à côté d’elle. Il entendait le bruit lent des vagues qui se mouvaient sur la plage. Il n’y avait plus de vent, tout à coup, et le soleil luisait sur la mer, allumait un feu sur chaque crête de vague. Le sable de la plage était couleur de cendres, lisse, traversé de ruisseaux et couvert de larges flaques qui reflétaient le ciel.
Au fond de lui-même, Daniel a répété le beau nom plusieurs fois, comme cela, ‟La mer, la mer, la mer… ” la tête pleine de bruit et de vertige. »