Tracer des frontières : approche géopolitique
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Introduction :
Les femmes et les hommes qui ont eu la chance d’observer la Terre depuis l’espace sont unanimes sur le sujet : vue depuis leur station spatiale, la Terre offre un visage bien différent des planisphères ou autres cartes du monde que nous avons l’habitude d’utiliser au quotidien. Depuis l’immensité de l’espace, c’est un visage sans frontières qu’offre la Terre. Et pour cause, la frontière naturelle, qui séparerait des États selon des limites géographiques manifestes (fleuve, montagnes, etc.), n’existe pas : c’est un concept inventé par l’être humain.
Toute frontière est ainsi un acte politique inscrit dans l’espace :
« Les frontières internationales sont un périmètre de la souveraineté des États qui composent le système international et l’un des paramètres de l’identité des nations. »
(Michel Foucher, géographe)
La frontière, qui apparaît indispensable dans notre organisation en États distincts, est toujours décidée par les êtres humains, et sa représentation artificielle par la cartographie est relativement récente.
Que ce soit par la guerre ou la négociation, la frontière est souvent issue d’un rapport de force. Tracer une ligne, cela signifie en effet « séparer », « distinguer » : cela permet parfois d’empêcher ou de régler des conflits, mais cela peut aussi en entraîner de nouveaux. L’histoire des frontières se confond avec l’histoire des rapports de domination. Justement, la géopolitique étudie les luttes d’influence entre acteurs à diverses échelles. L’approche géopolitique du tracé des frontières est donc incontournable.
Alors quels sont les enjeux géopolitiques du tracé des frontières ?
Nous verrons dans un premier temps que les frontières sont un moyen de protéger son territoire, et cela dès l’Antiquité. Nous étudierons ensuite les frontières comme moyen de se partager des territoires à l’époque de la colonisation au XIXe siècle. Enfin, nous nous pencherons sur la frontière servant à séparer deux systèmes politiques de nos jours.
Des frontières pour se protéger : le limes rhénan au temps de l’Empire romain
Des frontières pour se protéger : le limes rhénan au temps de l’Empire romain
L’Empire romain, dans son extension territoriale, fut l’un des plus grands empires que l’histoire ait connu.
Les limites extrêmes du territoire de l’Empire ont évolué au fil de son extension. Ces zones de délimitation mouvantes sont ce que l’on appelle le limes romain.
- Le limes romain représente ici la ligne frontière de l’Empire romain à son apogée, au IIe siècle de notre ère. Le limes s’étendait alors sur 5 000 km depuis la côte atlantique, au nord de la Grande-Bretagne, jusqu’à la mer Rouge et l’Afrique du Nord, en passant la mer Noire à l’Est, et la péninsule ibérique à l’Ouest.
Pour protéger l’Empire romain des incursions « barbares », c’est-à-dire des peuples vivant hors du territoire de l’Empire, des fortifications sont construites à plusieurs endroits, dans les marches, ces territoires frontaliers assez flous.
Qu’est-ce que le limes ?
Qu’est-ce que le limes ?
Limes :
Le limes est un mot latin qui signifie « route » ou « passage », comme une voie qui mènerait vers des territoires nouvellement conquis ou à conquérir.
Les voies romaines permettent, en effet, l’approvisionnement mais aussi l’expansion de l’Empire.
Le limes apparaît alors comme une frontière dynamique, une ligne de contact entre l’Empire et les peuples non soumis. Elle est appelée à avancer ou à reculer dans une stratégie militaire de mouvement. Au IIe siècle, le limes prend donc le sens d’une ligne de front. Il ne faut pas oublier que la volonté des Romains est d’étendre leur aire d’influence et, une fois la conquête effectuée, d’établir la pax romana en romanisant les peuples qui y vivent. Dans l’esprit des Romains de l’époque, l’Empire n’a pas de véritable limite et peut être étendu à volonté, la frontière ne représentant qu’une limite mouvante entre ce qui est romain et ce qui ne l’est pas encore.
Mais cette définition reste encore bien éloignée de l’idée de fortification comme barrière défensive. Pour mieux comprendre ce qu’est le limes, nous allons nous intéresser au limes rhénan, en commençant par le localiser et étudier sa conception.
Localisation et conception du limes rhénan
Localisation et conception du limes rhénan
Le limes en tant que ligne défensive fortifiée existe à plusieurs endroits, aux confins de l’Empire romain.
L’un des exemples les plus célèbres est le mur d’Hadrien. Au nord de l’actuelle Angleterre, ce mur qui s’étend sur 120 kilomètres et mesure plus de 6 mètres de haut sépare les territoires sous domination romaine des terres occupées par les Pictes.
Mais il existe aussi un limes fortifié en Germanie : on l’appelle le limes rhénan, et c’est celui-ci que nous allons observer de plus près.
Le limes rhénan sépare l’Empire romain de la Germanie et couvre une distance de 550 kilomètres entre le Rhin et le Danube.
IMAGE 2 : Carte du limes rhénan entre Rhin et Danube
- Le limes rhénan s’appuie donc sur des fleuves, une séparation en apparence naturelle, mais il est souvent matérialisé par une palissade ou un mur de pierre précédés d’un fossé.
À intervalle régulier se trouvent des forteresses de légionnaires (castra), des forts (castella), ainsi que de tours (turris) et des zones d’observation (stationes). La présence militaire est visible avec de nombreux camps de légionnaires et des tours de guet.
Taunus, près du fort de Zugmantel : reconstitution d’une palissade et d’une tour de garde, ©Oliver Abels
Le limes est une zone de surveillance d’où l’on défend, mais aussi d’où l’on lance des campagnes militaires. Dans sa fonction militaire, le limes s’apparente alors au « chemin de patrouille ».
Par ailleurs, d’un point de vue plus symbolique, le limes délimite le « dedans » et le « dehors » : d’un côté l’Empire romain , considéré par les Romains comme le monde « civisé », et de l’autre, le monde « barbare ».
Le limes avait donc une fonction protectrice, mais nous allons voir qu’il avait aussi une fonction d’échanges.
Prospérité du limes rhénan
Prospérité du limes rhénan
Le limes rhénan est une zone prospère.
La présence de l’armée en Rhénanie entraîne d’importants aménagements, notamment la construction de voies romaines pavées reliant les confins de l’Empire à Rome. Grâce aux fleuves et aux routes, les échanges commerciaux sont nombreux et taxés à l’avantage des Romains.
L’exploitation des champs Décumates, au sud de l’actuelle Allemagne, permet la mise en valeur agricole dans un espace pacifié et protégé : le limes empêche les pillages dans la zone contrôlée par les Romains.
Enfin, la présence de la légion romaine crée un gigantesque marché. En effet, les soldats touchent une solde relativement élevée, ce qui en fait des privilégiés. Ils comptent au nombre des rares salariés de l’Antiquité. Leur présence attire notamment des commerçants à la recherche de clients.
Le limes rhénan, tout en protégeant l’Empire des Germains, favorise donc la prospérité et la diffusion de la culture romaine.
Il revêt ainsi une fonction économique importante, puisqu’il devient une zone de flux, d’échanges.
Par ailleurs, une sorte de droit de passage est progressivement instauré, ancêtre des droits de douanes.
À partir du IIIe siècle, Le limes est fragilisé et détruit par les invasions. Les Alamans, en 258, occupent l’espace compris entre le Rhin et le Danube. Sous Valentinien Ier, vers 375, de nouvelles fortifications sont construites, mais en 406, les Vandales, les Alains et les Suèves passent la frontière et le limes rhénan disparaît… mais il reste dans les mémoires. Les Allemands, au Moyen Âge, ont appelé les vestiges du limes rhénan, le « mur du Diable ».
Même si les frontières dans l’Antiquité sont encore souvent floues, imprécises, on voit se dessiner avec le limes romain la création d’un espace de délimitation permettant les échanges avec l’« extérieur », mais aussi l’expression d’une certaine affirmation d’autorité (défense du territoire et des peuples soumis à Rome).
Le tracé des frontières se précise avec la constitution et le renforcement des États modernes.
Des frontières pour se partager des territoires : la conférence de Berlin et le partage de l’Afrique
Des frontières pour se partager des territoires : la conférence de Berlin et le partage de l’Afrique
Avant de voir comment la frontière est aussi un moyen de se partager des territoires, notamment avec l’exemple de la conférence de Berlin à la fin du XIXe siècle, il est important de constater que l’émergence de l’État moderne nécessite la reconnaissance d’un territoire précis, sur lequel le pouvoir peut s’exercer par l’usage de lois et le prélèvement des impôts. Le territoire doit ainsi être unifié et les limites et frontières internes s’effacent donc au profit d’un territoire dont les frontières extérieures doivent être bien délimitées.
C’est à la fin de la guerre de Trente Ans (1618-1648), à l’issue des traités de Westphalie, que la souveraineté de l’État s’impose en tant que traceur et garant de la protection de ses frontières sur le principe suivant : tout État dispose de l’autorité exclusive sur son territoire et la population qui s’y trouve.
Les traités de Westphalie définissent pour la première fois les relations entre États dans le respect de la souveraineté de chacun.
Au XIXe siècle, la cartographie devient plus fine et les frontières se précisent donc pour ressembler aux frontières telles que nous les connaissons.
Mais il reste des régions du monde qui sont considérés par les Occidentaux comme n’appartenant à aucun État. C’est ce principe de terra nullius (« territoire sans maître ») qui sous-tend les visées coloniales et impérialistes des puissances occidentales sur le continent africain. La frontière devient alors une marque d’appropriation, de possession de territoires.
La conférence de Berlin, symbole du partage de l’Afrique
La conférence de Berlin, symbole du partage de l’Afrique
« À chacun sa part », caricature de Draner parue dans L’Illustration le 3 janvier 1885
- Ce dessin de presse français représente le chancelier Otto von Bismarck en train de découper le « gâteau » africain. Les frontières correspondent alors aux parts du gâteau. Mais que s’est-il vraiment passé à la conférence de Berlin ?
Tout d’abord, à l’initiative de l’Allemagne et de la France, les principales puissances européennes, ainsi que l’Empire ottoman et les États-Unis se réunissent autour de la table. Aucun Africain n’est invité et aucun chef d’État ou diplomate présent n’est jamais allé sur le continent africain. Les principaux objectifs de la conférence sont les suivants :
- assurer la liberté de navigation et de commerce, notamment dans la région du Congo et du Niger ;
- interdire la traite des esclaves ;
- faire valoir ses droits sur un territoire par une occupation réelle.
Au bout du compte, l’objectif est d’éviter les rivalités entre puissances coloniales, de faciliter l’exploration et l’exploitation du continent africain en limitant les risques de conflits.
À la conférence, les frontières ne sont pas encore précisément délimitées mais un cadre juridique est créé rendant inévitable un tracé à l’européenne. La conférence de Berlin pose ainsi les règles de la colonisation et de la répartition des territoires.
La « course aux colonies » peut commencer.
Les modalités du partage de l’Afrique
Les modalités du partage de l’Afrique
À partir de cette conférence, les frontières sont fixées selon le principe de la primauté d’installation à partir du littoral : les Européens installés sur la côte reculent donc les limites de leur territoire d’exploitation jusqu’à ce qu’ils rencontrent une zone d’influence voisine. L’ambition affichée est ainsi de créer des unités de territoires sous la domination d’une seule et même puissance coloniale. Les résistances africaines à la colonisation sont nombreuses.
Par exemple, avant d’être fait prisonnier en 1886, le chef de guerre Samory Touré affronte à plusieurs reprises les Français en Afrique de l’Ouest.
Entre puissances européennes, les tensions sont également vives.
Ainsi, les Britanniques ont pour ambition de maîtriser un axe Nord/Sud du Caire au Cap, alors que les Français souhaitent constituer un axe Ouest/Est de Dakar à Djibouti.
IMAGE 5 : Carte de l’axe des ambitions française et britannique
À Fachoda, au sud du Soudan, une expédition française, la mission Marchand, arrive en juillet 1898. Les troupes anglaises de Lord Kitchener interviennent pour déloger les Français. Devant le risque de guerre, la France cède et, en mars 1899, un accord délimite les frontières entre les deux empires coloniaux.
Les frontières issues du partage de l’Afrique
Les frontières issues du partage de l’Afrique
À première vue, de nombreuses frontières sur le continent africain semblent tracées à la règle.
Ce sont des « frontières lignes » qui reflètent l’arbitraire colonial et la division des groupes ethniques sans vraiment prendre en compte la réalité du terrain. D’ailleurs, à l’issue des indépendances, dans les années 1960, les différends frontaliers se multiplient.
Mais l’historiographie récente, notamment les travaux de l’historienne Camille Lefebvre sur le Niger (et plus largement sur les pays du Sahel), met en garde contre une vision simplificatrice qui entraînerait une remise en cause totale du tracé actuel des frontières. En effet, la notion de frontière existait bien avant l’arrivée des Européens. L’idée d’une Afrique sans frontière est un mythe forgé par les colonisateurs eux-mêmes pour montrer qu’ils avaient tout à construire. En fait, le découpage arbitraire des territoires ne doit pas être généralisé.
Par exemple, la frontière entre le Nigéria britannique et le Niger français reprend exactement les limites du sultanat de Sokoto, une entité politique qui préexistait à la colonisation. Les colons ont ici essayé de s’entendre avec les autorités préexistantes pour tracer des frontières qui ne sont donc pas une production coloniale unilatérale, ni une simple reprise des découpages précoloniaux, mais une coproduction.
Ainsi, la position officielle de l’Union Africaine est celle de l’intangibilité des frontières dans un souci de paix, de stabilité et de consolidation des États africains.
Intangibilité des frontières :
Le principe d’intangibilité de la frontière a pour vocation la stabilité de la frontière et son inviolabilité.
Il s’agit de rendre impossible la remise en cause des frontières existantes afin de protéger l’intégrité territoriale des États.
Si le tracé des frontières a permis aux Européens, à la fin du XIXe siècle de se partager le monde en construisant des empires coloniaux, les frontières peuvent aussi être un moyen de séparer les peuples qui ont un différend idéologique.
Des frontières pour séparer deux systèmes politiques : la frontière entre les deux Corées
Des frontières pour séparer deux systèmes politiques : la frontière entre les deux Corées
Au cours de la guerre froide, on voit se développer une autre fonction de la frontière : celle d’une séparation idéologique.
Le « Rideau de fer », qui sépare le bloc soviétique du bloc occidental en Europe, en est un bon exemple, tout comme le mur de Berlin. Ces deux frontières ont aujourd’hui disparu, mais la frontière des deux Corées, elle, perdure. Depuis la chute du mur de Berlin, c’est la dernière frontière, vestige d’une période révolue, celle de la guerre froide.
Nous parlons de « frontière » entre les deux Corées, mais celle-ci est d’un genre unique : en réalité, ni le Sud ni le Nord ne la considère comme une frontière en tant que telle. En effet, tant Séoul que Pyongyang refusent la séparation de la péninsule et revendique l’intégralité du territoire. Il n’y a pas de reconnaissance mutuelle.
Une cicatrice de la guerre froide
Une cicatrice de la guerre froide
En 1945, après la capitulation du Japon qui avait colonisé la Corée, la péninsule coréenne est divisée en deux zones d’influence par les États-Unis, qui utilisent le 38e parallèle comme limite afin de contenir l’arrivée des troupes soviétiques. En conséquence, les États-Unis ont leur zone d’influence au sud du 38e parallèle et l’URSS au nord.
Cette limite sépare durablement deux entités politiques qui s’opposent : chacune cherche à gouverner un territoire dont une partie échappe à son contrôle et est dirigée par un gouvernement concurrent. L’idée d’une unification par la force conduit à la guerre de Corée de 1950 à 1953… une guerre fratricide appuyée par les forces américaines et chinoises et soutenue plus indirectement par les soviétiques. Le conflit a été particulièrement meurtrier avec plus de trois millions de Coréens morts durant les combats.
L’armistice de Panmunjom établit le statu quo. Aucune ébauche de réunification n’est esquissée. La ligne de séparation militaire, qui traverse le 38e parallèle, fait office de séparation entre deux entités politiques coréens concurrentes et devient particulièrement étanche.
Une DMZ (Demilitarized Military Zone ou zone coréenne démilitarisée) est créée. Il s’agit d’une véritable ligne de démarcation, parmi les plus hermétique au monde.
Bien que son tracé puisse sembler figé dans le temps, cette frontière idéologique symbolique vit au rythme des relations géopolitiques entre les deux Corées (tensions, communication, échanges, observation…).
Elle est sous haute surveillance avec 131 postes de garde au sud et 337 au nord.
- La DMZ a une longueur de 238 km sur une largeur de 4 km. Quatre tunnels ont été construits par la Corée du Nord : ils ont été découverts par les forces armées sud-coréennes entre 1974 et 1990 et ont été considérées comme des tunnels d’agression.
De son côté, la Corée du Sud a construit un mur, qui empêche physiquement le franchissement de la DMZ sur une partie du tracé.
Au centre de la DMZ se trouve une zone de sécurité commune (Joint Security Area), dans laquelle se font face soldats de l’ONU – en fait essentiellement des soldats américains – et soldats nord-coréens.
Des tentatives de rapprochement limitées
Des tentatives de rapprochement limitées
Il ne faut pas oublier qu’au cours de ses 4 000 ans d’histoire, la Corée a été unie bien plus longtemps qu’elle n’a été séparée. Par son homogénéité ethnique – celle du peuple Joseon – et culturelle – une langue coréenne commune par exemple – on peut se demander si, à défaut d’avancée concrète vers une réunification, il n’existe pas une interface, c’est-à-dire une zone de contact et d’échanges, entre les deux Corées.
On peut parler par exemple de la préfecture autonome coréenne de Yanbian, en Chine, surnommée la « troisième Corée », où Nord-Coréens et Sud-Coréens peuvent parfois se croiser, se rencontrer ou échanger. Autant d’interactions qui seraient sévèrement punies au nord comme au sud de la péninsule.
Il faut bien dire que les tentatives de rapprochement entre Séoul et Pyongyang, à travers les échanges, sont modestes. En effet, les évolutions idéologiques et sociales ont éloigné les deux Corées. Néanmoins, ces tentatives de rapprochement ne sont pas inexistantes. Par exemple, lors des JO d’hiver de Pyeongchang en 2018, une équipe féminine de hockey sur glace coréenne unifiée a pu concourir. Par ailleurs, le dernier président sud-coréen, Moon Jae-in, œuvre en faveur de l’apaisement des tensions entre les deux Corées.
Néanmoins, les difficultés d’intégration des réfugiés nord-coréens vivant au Sud témoignent des limites de ce rapprochement. Les réfugiés nord-coréens ont peu de compétences professionnelles adaptées à l’économie sud-coréenne et sont cantonnés dans des métiers précaires. Ils souffrent souvent de troubles psychologiques et vivent la plupart du temps dans une situation de grand isolement, en ayant peu de relations avec la population sud-coréenne. Souvent, ces réfugiés sont soupçonnés d’espionnage à la solde de la Corée du Nord comme le raconte le documentaire de Jero Yun Madame B., Histoire d’une Nord-Coréenne.
Les obstacles à la réunification proviennent surtout d’une situation régionale géopolitique tendue.
Une région aux relations interétatiques tendues
Une région aux relations interétatiques tendues
En effet, la péninsule coréenne se trouve au cœur de nombreuses rivalités entre la Chine, la Russie, les États-Unis et le Japon.
La Chine est un partenaire économique privilégié de la Corée du Nord. Si le leader actuel de Corée du Nord, Kim Jong-un, prône la résilience et l’indépendance économique, les échanges de marchandises et de capitaux se sont relativement développés, notamment de 2002 à 2015. La Chine souhaite maintenir ce lien privilégié avec la Corée du Nord pour garantir une certaine stabilité dans sa périphérie immédiate, même si Pyongyang soupçonne souvent Pékin de tenter de mettre en place une stratégie d’influence.
À l’opposé, le sentiment d’insécurité japonais se renforce. Le Japon considère que la Corée du Nord est une menace militaire et nucléaire. Les relations bilatérales entre les deux États ne se sont pas normalisées depuis la colonisation japonaise de la péninsule ; et même les relations avec la Corée du Sud restent tendues.
Les enlèvements avérés de Japonais par les services de renseignement nord-coréens dans les années 1970 et 1980 ont renforcé le sentiment de défiance du Japon.
Les États-Unis, quant à eux, ont établi des forces militaires en Corée du Sud. Officiellement, les soldats américains sont là pour protéger la Corée du Sud dans l’hypothèse d’un conflit. Dans une perspective plus officieuse, les tensions entre les deux Corées permettent aux États-Unis d’être très présents dans cette région du monde et dans le voisinage de la Chine. En juin 2018, la rencontre entre le président des États-Unis Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-un semble être un tournant dans la reprise du dialogue. La Corée du Nord envisage le démantèlement d’une partie de ses complexes liés au nucléaire militaire à condition que les sanctions de l’ONU qui pèsent sur les exportations nord-coréennes soient levées. Mais cette proposition sera rejetée par les États-Unis.
Donald Trump et Kim Jong-un se rencontre dans la DMZ le 30 juin 2019
La Russie, qui partage une frontière directe avec la Corée du Nord, soutient une diminution des tensions et un règlement du conflit par la négociation avec la Corée du Nord. En effet, un règlement pacifique du conflit permettrait un meilleur développement économique de l’extrême-Est russe, voisin de la Corée du Nord, et du prometteur marché sud-coréen.
Conclusion :
Nous venons d’étudier des frontières qui révèlent des rapports de domination et des conflits d’intérêt.
Il s’agit d’une constante dans le temps long de l’histoire comme le montrent les trois exemples étudiés. Très différentes, ces trois frontières ne sont pas comparables, mais elles ont en commun de traduire des choix politiques et de délimiter des sphères d’influence.
Ces frontières témoignent d’une mémoire douloureuse mais une volonté politique peut toujours les transformer en espaces de proximité et d’échanges.
Les frontières sont ainsi des entités mouvantes : elles s’effacent, se déplacent, se créent, s’estompent ou se renforcent au gré notamment des différents rapports de force entre les États.