S’engager dans la démocratie au XXIe siècle
Introduction :
Alors que le modèle démocratique montre certaines limites et subit une remise en question du fonctionnement de ses institutions, un renouveau démocratique semble néanmoins fleurir du côté de l’engagement citoyen. Cet engagement se diversifie dans sa forme, mais également dans les nouvelles idées qu’il défend.
À partir de ce constat, on peut alors s’interroger sur les nouveaux enjeux de la démocratie à l’horizon 2020, ainsi que sur les nouvelles manières de contribuer au débat démocratique.
Nous nous intéresserons d’abord au monde syndical, puis au monde associatif avant de conclure sur l’exemple de l’enjeu écologique.
Le monde syndical
Le monde syndical
État du monde syndical en France
État du monde syndical en France
En France, trois centrales syndicales se partagent l’essentiel des adhérents :
- la CGT (Confédération générale du travail), qui est aussi la plus ancienne ;
- la CFDT (Confédération française démocratique du travail) ;
- et FO (Force ouvrière).
Un syndicat est un regroupement de plusieurs personnes défendant une profession ou un secteur de l’activité économique.
Il s’agit d’une forme d’engagement relativement ancienne : la liberté syndicale a été établie par la loi Waldeck-Rousseau en 1884. Parmi les trois syndicats précédemment cités, la CGT existe depuis 1895, la CFDT existe depuis 1919 et FO existe depuis 1947.
Mais si ces trois centrales syndicales dominent en France, il existe également une multitude de syndicats qui sont davantage actifs dans un corps de métier spécifique, comme la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).
Il existe également des syndicats qui représentent le patronat : le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) et la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises).
En 2019, 8 % des salariés français sont syndiqués, ce qui est deux fois moins qu’en Allemagne et trois fois moins qu’en Angleterre. Paradoxalement, 93 % des salariés français sont en réalité couverts par des accords collectifs négociés par les syndicats.
- Par ailleurs, en dépit de leur faible représentativité, les syndicats sont systématiquement conviés par les différents gouvernements lors de négociations économiques ou sociales.
En dépit d’un affaissement des chiffres d’adhésion, les syndicats français demeurent une force très présente dans la vie sociale et le débat démocratique.
En France, la précarisation de l’emploi (recours au temps partiel et aux CDD notamment) n’incite pas les employés à se syndiquer, notamment par peur du non-renouvellement de leur contrat par exemple.
Les délocalisations massives d’usines, spécifiquement dans l’automobile et le textile, ont contribué à faire baisser les chiffres des employés syndiqués, alors que ces deux secteurs de l’économie ont longtemps été des bastions du syndicalisme français.
La part croissante du secteur tertiaire de l’économie (services, commerces) a aussi multiplié le nombre de petites entreprises (restaurants, boutiques de prêt-à-porter, services à la personne) qui ne sont pas toujours des structures adaptées à une implantation des syndicats.
- En revanche, les personnes syndiquées participent davantage à la vie politique : en 2017, elles étaient 83 % à se déplacer à tous les scrutins politiques, contre 71 % des salariés. Les personnes syndiquées déclarent également s’impliquer davantage dans la vie associative.
Rassemblement syndical (CGT BTP) sur un chantier pour dénoncer un excès de sous-traitance qui nivelle par le bas le droit des salariés, Paris, 2015
Le syndicalisme français a évolué : naguère concentré dans de grandes usines où il pouvait mobiliser en nombre, il a subi de plein fouet la globalisation qui a fortement délocalisé l’industrie française. Il se retrouve aujourd’hui face à un monde de l’emploi plus fragile. Mais il n’en reste pas moins très impliqué politiquement.
Agir dans le cadre d’un syndicat
Agir dans le cadre d’un syndicat
Les représentants des syndicats sont élus, comme par exemple les délégués syndicaux dans une entreprise.
Les adhérents, eux, peuvent s’impliquer dans le syndicat avec un degré d’engagement varié, pour participer à la défense de valeurs et intérêts. Pour cela, ils doivent verser une cotisation qui permet au syndicat de financer son fonctionnement. En contrepartie, ils bénéficient de certaines ressources et d’un soutien dans des démarches spécifiques (accès à la formation, assistance juridique, etc.).
Les missions des syndicats sont variées : ils négocient des accords d’entreprise, des conventions collectives (droit du travail qui s’applique à un secteur particulier) et ils négocient avec l’État. Dans les entreprises, ils représentent les salariés en cas de conflit avec l’employeur.
Les syndicats peuvent mener des actions fortes, avec des pétitions, des manifestations ou des grèves.
Voici deux exemples de combats menés par les syndicats qui permettent de mettre en évidence les enjeux et la vision de la société qu’ils incarnent.
Deux grandes réformes proposées par le gouvernement en 2019 soulèvent la colère des syndicats français : il s’agit de la réforme de la SNCF et de la réforme des retraites. Au-delà des exemples, ces deux réformes sont des symboles.
- Dans le cas de la réforme de la SNCF, les syndicats défendent un service public et son mode de fonctionnement, alors que d’autres services publics ont déjà été plus ou moins privatisés ou vidés de leur substance depuis les années 1980. C’est le cas des PTT (Poste, Télégraphes et Télécommunications) scindés en deux entités : La Poste et Orange France Télécom. Les autoroutes ont également été privatisées, de même qu’une partie de l’énergie.
- Les syndicats souhaitent donc préserver un service public qui garantit une qualité et une égalité de service partout sur le territoire.
Privatisation
Action, par un gouvernement, de céder au secteur privé tout ou partie d’une entreprise publique, dans le but de faire des économies (l’actionnaire privé apporte les fonds à l’entreprise publique) ou de moderniser l’entreprise en question avec l’apport de moyens financiers et humains supplémentaires.
À l’inverse, l’action par un gouvernement de racheter une entreprise privée s’appelle la nationalisation.
- Dans le cas de la réforme des retraites, c’est plutôt la préservation d’un modèle social français, mis en place en 1945 par le Conseil national de la Résistance, que les syndicats entendent préserver. Leur but est de faire comprendre l’importance d’une retraite équitable pour tous tout en préservant l’état de santé des salariés au moment de leur départ en retraite.
Les syndicats ont donc des enjeux majeurs à défendre, maintenant comme dans les années à venir.
Mais il existe d’autres façons de s’engager pour la démocratie au XXIe siècle, comme le montre le monde associatif.
Le monde associatif
Le monde associatif
Diversité du mouvement associatif en France
Diversité du mouvement associatif en France
En France, le mouvement associatif est régi par la loi de 1901 sur la liberté d’association . Celle-ci prévoit que les associations à but non-lucratif ne peuvent pas partager les bénéfices des campagnes de récoltes de dons ni les recettes des ventes au profit de ces associations. Ces associations récoltent donc des dons qu’elles utilisent au bénéfice des causes qu’elles défendent.
La France a une longue tradition de mouvements associatifs : que ce soit en faveur des sans-abris suite à l’appel de l’abbé Pierre lors de l’hiver 1954, de la liberté sexuelle des femmes dans les années 1960 et 1970 (association Choisir la cause des femmes pour la dépénalisation de l’avortement), de l’engagement anti-raciste dans les années 1980 (SOS Racisme, le MRAP notamment), ou encore aujourd’hui en faveur des victimes des violences et agressions sexuelles ou de l’écologie par exemple.
- Les associations participent à créer un lien social important dans une société où la perte des repères sociaux est de plus en plus importante.
Elles prospectent, tractent, mobilisent grâce à des newsletters envoyées par e-mail pour conserver une motivation intacte parmi leurs adhérents ou leurs sympathisants.
Elles comptent sur le bénévolat et des événements ponctuels (signatures de pétitions, ateliers ou manifestations) pour lutter ainsi contre l’isolement et l’individualisme.
- En comptant sur l’engagement citoyen et en reproduisant un schéma d’organisation qui se veut le plus démocratique possible, les associations sont des acteurs sociaux importants dans une démocratie.
Grâce à la loi de 1901, le monde associatif français se développe et permet de servir d’amortisseur social entre le gouvernement, d’une part, et le monde citoyen, d’autre part.
C’est une forme d’engagement qui s’adapte à chaque fois aux grands combats de son époque et qui permet d’apporter une protection supplémentaire aux citoyens.
- Les associations sont des acteurs importants du débat démocratique qu’elles contribuent à faire vivre.
Amortisseur social :
En politique et en sociologie, l’amortisseur social est un groupe d’individus (la famille, les associations, notamment) qui protège l’individu de sa propre fragilité vis-à-vis de problèmes dont la source est extérieure : perte d’un emploi, déclassement social, rejet à cause d’une orientation sexuelle, etc.
S’engager en démocratie au XXIe siècle, c’est donc aussi permettre aux citoyens de se mobiliser au sein d’un milieu associatif actif et pluriel en France.
En lien avec les associations, qui en sont parfois à l’origine, intéressons-nous plus précisément aux pétitions, qui connaissent un engouement particulier.
Bénévole de l’association « Lire et faire lire » en pleine séance de lecture auprès des enfants de maternelle, en 2009 à Paris
La montée en puissance des pétitions
La montée en puissance des pétitions
Avec la montée en puissance des réseaux sociaux, on observe une intensification des mobilisations populaires pour des causes qui tiennent à cœur aux citoyens.
À ce titre, les pétitions en ligne (exemple : site Internet « change.org ») prennent une grande importance dans la société civile, puisque leur création, leur diffusion au plus grand nombre et leur signature ne se font qu’en quelques clics.
- Par la présence de pétitions en ligne, de newsletters ou d’animations sur les réseaux sociaux, Internet a permis d’offrir une meilleure visibilité aux associations et aux mouvements d’engagement citoyen.
Dans la droite ligne des pétitions en ligne, qui concernent des sujets aussi vastes et divers que le féminisme, l’écologie ou la justice économique et sociale, les mots-dièses (hashtags) sur les réseaux sociaux, dont Twitter en première ligne, permettent de donner une importante visibilité à des sujets qui, il y a quelques années, auraient mis des mois à sensibiliser les médias et l’opinion publique.
Mot-dièse (ou hashtag) :
Mot-clé précédé d’un signe dièse qui permet à l’intelligence artificielle des réseaux sociaux de les repérer et de mesurer ainsi le trafic et l’exposition d’un thème, au sens large.
S’il s’agit là d’une forme beaucoup plus relative d’engagement (il s’agit souvent plus d’une expression de soutien que d’un engagement au sens fort), les hashtags peuvent mobiliser l’opinion et permettent aussi aux médias de repérer les sujets qui pourraient mériter un éclairage et une analyse plus poussés.
Les hashtags #BalanceTonPorc et #MeToo ont permis de mettre en avant le problème récurrent des agressions et des violences sexuelles.
Cette visibilité soudaine a enfin permis aux victimes de s’exprimer, participant à un mouvement général de libération de la parole.
Internet, dans sa dimension technologique et immédiate, a permis de devenir l’« agora » du XXIe siècle (nouveau lieu de débat démocratique), favorisant l’expression et les mobilisations citoyennes, militantes et associatives.
Voyons à présent un domaine particulier de l’engagement démocratique, qui mérite d’être abordé en étude de cas : il s’agit du grand combat écologique.
Étude de cas : la mobilisation pour le climat
Étude de cas : la mobilisation pour le climat
Le climat : une thématique d’urgence pour les démocraties
Le climat : une thématique d’urgence pour les démocraties
Le climat est un sujet de préoccupation important à l’échelle mondiale.
Par ses rapports, le GIEC alerte sur la situation d’urgence.
Créé en 1988, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est un groupe de scientifiques, regroupant notamment des géophysiciens et des climatologues, ouvert à tous les pays membres de l’ONU.
À l’heure actuelle, il compte ainsi 185 pays membres. Il dépend à la fois de l’Organisation mondiale de la météorologie et du Programme des Nations unies pour l’environnement.
La France compte deux scientifiques membres du GIEC : le climatologue et glaciologue Jean Jouzel ainsi que la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte.
- Le rôle du GIEC est de rendre des rapports sur ses travaux à intervalles réguliers (une fois par an en général) et d’apporter du matériau scientifique lors des COP (Conference of Parties, Conférence d’États signataires) consacrées au climat.
Les alertes du GIEC sont sérieuses : il agit comme un lanceur d’alerte institutionnel afin de veiller à ce que les grandes puissances et les pays qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre prennent ce problème à bras le corps.
Mais ces alertes semblent se heurter au constat d’une inaction politique et économique quant à la question du changement climatique, ou du moins, à un manque d’efficacité des mesures prises.
- Face à l’urgence et à l’inaction, les citoyens se mobilisent et s’engagent de plus en plus pour faire pression sur les gouvernements : ils sont toujours plus nombreux à signer des pétitions, à s’exprimer via les réseaux sociaux, à manifester.
La mobilisation citoyenne : un engagement fort de la part de la jeunesse
La mobilisation citoyenne : un engagement fort de la part de la jeunesse
Cette mobilisation des citoyens en faveur de mesures concrètes contre le réchauffement climatique est particulièrement forte auprès des jeunes.
Depuis l’été 2018, la jeune Suédoise Greta Thunberg est devenue une cheffe de file de la mobilisation en faveur de la défense du climat. En décidant de lancer une **« grève scolaire pour le climat » chaque vendredi dans son établissement scolaire, elle a créé un immense mouvement de sympathie et est devenue l’égérie d’une nouvelle génération, celle des enfants nés au XXIe siècle, et qui se sentent particulièrement concernés par le changement climatique. Par son engagement de tous les instants, Greta Thunberg est désormais invitée à toutes les grandes conférences internationales sur le climat.
Lors des COP, les mobilisations citoyennes sont ainsi toujours plus nombreuses, exhortant les États à s’engager davantage dans la préservation de l’environnement ou, a minima, de respecter les accords de Paris signés lors de la COP 21 (2015).
Marche citoyenne pour le climat, Grenoble
- Le mouvement des lycéens se propage dans le monde entier. Il oblige les politiques à une prise de conscience permanente et les médias à une mise en avant de l’enjeu écologique.
En France, en 2019, la prise de parole de Greta Thunberg a été reprise par de nombreux lycéens, obligeant le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer à se positionner en faveur d’une plus grande prise de parole sur l’écologie pendant le temps scolaire.
Un engagement citoyen qui permet de faire vivre la démocratie
Un engagement citoyen qui permet de faire vivre la démocratie
Le changement induit par la prise de conscience de l’enjeu écologique sur la vie politique et démocratique est sensible.
En 2014, Éric Piolle est ainsi devenu le premier maire écologiste d’une ville de plus de 100 000 habitants en France, à savoir Grenoble.
D’une manière générale, le XXIe siècle a marqué une prise de conscience politique de l’écologie dans les grandes villes, en cherchant sans cesse à améliorer la qualité de l’air dans des espaces jusqu’ici fortement pollués car ils concentrent l’essentiel de la vie économique.
Autre temps fort de la mobilisation citoyenne en faveur du climat et pour une action concrète : l’« affaire du siècle ». Initiée par des ONG et appuyée par plusieurs personnalités de la société civile (dont le youtubeur Max Bird ou encore l’actrice Juliette Binoche), il s’agit d’intenter un procès contre l’État pour inaction climatique et environnementale. Si la démarche a surtout une dimension symbolique, elle est totalement inédite et constitue une forme de désaveu. Elle a pour but d’obliger les politiques à regarder la réalité en face sans constamment se défausser sur d’autres problématiques qui seraient plus urgentes.
En somme, avec l’implication croissante de personnalités publiques, les manifestations de la jeunesse et l’action symbolique d’un procès contre l’État, l’étau citoyen se resserre autour des pouvoirs publics pour prendre des mesures le plus vite possible en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.
L’évolution à la hausse, lente mais remarquée, du vote en faveur des écologistes depuis les dernières élections européennes montre qu’il s’agit d’une tendance de fond qui ne devrait plus s’inverser désormais.
Conclusion :
Le modèle syndical français, qui peine à mobiliser les salariés, doit pourtant faire face à des défis économiques et sociaux majeurs, à savoir la défense du service public et la préservation du modèle social français.
L’engagement citoyen, en dépit d’un syndicalisme en berne, constitue le socle de la démocratie en France, encore aujourd’hui. En effet, grâce au tissu associatif ou à la mobilisation citoyenne, l’engagement citoyen permet de mettre en lumière des thématiques qui ne sont pas forcément mise en valeur par le pouvoir politique.
La démocratie est revigorée par l’engagement du peuple sur des questions variées. Le monde associatif français bénéficie d’un certain dynamisme qui lui permet notamment de servir d’amortisseur social lors des grands combats sociaux.