Liberté ou contrôle de l'information : l’information au XXe siècle entre contrôle étatique et liberté
Introduction :
La liberté de l’information désigne le droit d’être informé. C’est l’un des principes fondamentaux de la démocratie. Toutefois, avec l’arrivée des nouveaux médias que sont la radio et la télévision, cette liberté est remise en cause. Entre censure et propagande, l’information est une donnée précieuse.
Ainsi, nous étudierons dans ce cours la place de la liberté de l’information face à l’explosion médiatique du XXe siècle.
Pour cela, nous nous intéresserons aux limites de la liberté de l’information pendant les deux guerres mondiales. Ensuite, nous nous concentrerons sur le contrôle étatique des nouveaux médias, avant leur émancipation dans les années 1980. Enfin, nous nous pencherons sur le traitement de l’information à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, et les nouvelles techniques pour la maîtriser.
La liberté de l’information mise à l’épreuve par les guerres
La liberté de l’information mise à l’épreuve par les guerres
La liberté de la presse remise en cause pendant les deux guerres mondiales
La liberté de la presse remise en cause pendant les deux guerres mondiales
Les périodes de guerre au XXe siècle font de l’information un enjeu essentiel.
- La Première Guerre mondiale va être novatrice dans le contrôle de l’information avec la censure et la propagande.
- Dès la mobilisation le 2 août 1914, un arsenal juridique est mis en place par les autorités militaires afin de contrôler l’information. Des sanctions sont prévues par la loi du 5 août 1914 qui vise à punir les indiscrétions de la presse durant la guerre.
- Ces sanctions sont graduelles allant de la saisie à la suspension, en passant par des poursuites contre les journalistes devant un conseil de guerre.
- La proclamation de l’état de siège donne aux autorités militaires un droit de suspension ou d’interdiction des journaux. La censure relève du bureau de la presse du ministère de la Guerre à Paris et la mise en œuvre des directives de ce même ministère est assurée par plus de 300 commissions locales de contrôle (en tout plus de 5 000 censeurs).
- La censure affecte les articles et illustrations rejetés par l’autorité militaire. Elle s’exprime au crayon rouge sur la « morasse », qui est la dernière épreuve sur le marbre. Les paragraphes censurés doivent alors être supprimés par les typographes. Cette opération conduit à la présence de blancs dans le journal.
- Les autorités militaires ne se limitent pas à la censure. Très rapidement, elles apportent elles-mêmes de l’information. Le service de l’information de l’armée est créé dès le mois d’octobre 1914 ; il publie trois communiqués quotidiens. Ces derniers peuvent soutenir une propagande visant à maintenir le moral des soldats et de l’arrière, à condamner l’infériorité morale des « boches » (soldats allemands) et à galvaniser l’héroïsme des poilus.
- De rares publications, alors la proie des censeurs, dénoncent le « bourrage de crâne ». Le Canard enchaîné est l’une d’elles : il ne publiera que cinq numéros en 1915 puis plus rien avant juillet 1916.
« Bourrage de crâne » :
Expression apparue dans l’argot parisien à la fin du XIXe siècle qui se répand pendant la Première Guerre mondiale pour désigner la propagande outrancière et souvent mensongère de la plupart des journaux.
La censure et la propagande seront également le lot de la presse durant la Seconde Guerre mondiale. Cette situation sera cependant aggravée par l’Occupation. À la suite de l’armistice, la presse ne survit que pour se mettre au service de la propagande de l’occupant allemand et de Vichy. La Propaganda-Ableitung est en charge de la censure et de la propagande en zone occupée. La presse est complètement contrôlée.
Propaganda-Ableitung :
Organisme allemand, situé à Paris sous l’Occupation, chargé de veiller à la censure et à la propagande. Toute la presse est sous son contrôle. Il dispose aussi d’un puissant moyen de pression : la répartition du papier.
Le retour à la liberté de l’information après la Libération
Le retour à la liberté de l’information après la Libération
À la Libération, dans l’esprit de la Résistance, l’objectif est de rénover et de réhabiliter une presse qui s’est compromise avec l’occupant et Vichy. En 1944, des ordonnances ont pour objectif :
- d’épurer la presse ;
- d’empêcher la concentration des organes de presse ;
- et d’accorder des moyens matériels suffisants à la presse pour qu’elle puisse se soustraire du pouvoir de l’argent.
L’intervention de l’État en faveur de la presse, guidée par le souhait de garantir son pluralisme, prend différentes formes : soutien à la distribution, régulation du prix, de la pagination, importation et répartition du papier, etc.
- Cette aide a évidemment des incidences sur la liberté de la presse.
Le statut de l’AFP, qui remplace l’agence Havas, illustre les risques de l’encadrement de la presse par l’État. En effet, ce dernier lui accorde une subvention indirecte sous la forme d’abonnements publics qui constituent 40 % de son chiffre d’affaires alors qu’une loi datant de 1957 garantit son indépendance rédactionnelle.
AFP (Agence France Presse) :
Agence de presse mondiale et généraliste d'origine française chargée de collecter, vérifier, recouper et diffuser l'information, sous une forme neutre, fiable et utilisable directement par tous types de médias (radios, télévision, presse écrite, sites Internet) mais aussi par de grandes entreprises et des administrations.
Utilisées comme prétextes, les guerres d’Indochine et d’Algérie voient le retour d’une censure partielle. La saisie des journaux et les techniques d’encadrement des reporters dans les zones de combat lui sont toutefois préférées. Ce phénomène de contrôle des médias est présent aussi dans les conflits récents comme lors de la guerre du Vietnam ou lors des deux guerres d’Iraq.
Les nouveaux médias (radio et télévision) au cœur du contrôle étatique au XXe siècle
Les nouveaux médias (radio et télévision) au cœur du contrôle étatique au XXe siècle
La radio et la télévision, outils privilégiés du contrôle étatique jusqu’aux années 1980
La radio et la télévision, outils privilégiés du contrôle étatique jusqu’aux années 1980
Le développement de la radio dans les années 1930, puis de la télévision dans les années 1950/1960, modifie le périmètre d’exercice de la liberté de la presse et pose le problème d’un contrôle de l’information par l’État. L’information devient un enjeu.
Ces nouveaux médias sont perçus comme l’arme fatale capable d’emporter l’adhésion des populations si l’on sait les manier avec efficacité.
L’information télévisée et radio reste pendant longtemps contrôlée par le pouvoir. Dans les pays ayant proclamé le monopole de l’État, comme la France, ceci se traduit par un contrôle en amont des contenus des informations.
Après la Libération, les actualités radiophoniques puis télévisées deviennent un véritable service public de l’information. Pour Charles De Gaulle, de retour au pouvoir en 1958, ce monopole contrebalance la liberté de la presse écrite. L’ORTF doit incarner « la voix de la France » et les informations demeurent sous la tutelle du ministère de l’Information. L’éclatement de l’ORTF en 1974 relâche le contrôle de l’État mais ne le fait pas disparaître et la mise en concurrence de 3 chaînes de télévision publiques correspond à la conception du président Valéry Giscard d’Estaing de la fonction du petit écran : il a plus vocation à distraire qu’à informer.
Dans les pays où la radio et la télévision ne sont pas soumis au contrôle de l’État comme les États-Unis, les grands réseaux audiovisuels privés se plient d’eux-mêmes à la ligne d’information définie par la Maison Blanche, que ce soit pendant la guerre froide ou bien la guerre du Vietnam.
L’émancipation des médias dans les années 1980 : une modification en profondeur de la relation à l’information du politique
L’émancipation des médias dans les années 1980 : une modification en profondeur de la relation à l’information du politique
La gauche, revenue au pouvoir avec l’élection de François Mitterrand en 1981, choisit symboliquement de promulguer une loi libérant l’audiovisuel en 1982. Elle met fin au monopole de l’État.
- Les radios privées fleurissent et, après Canal + en 1984, les chaînes de télévision privées se multiplient.
En 1984, le gouvernement Mauroy dépose un projet de loi visant à limiter la concentration des entreprises de presse et à garantir le pluralisme et le droit à l’information. Le Conseil Constitutionnel valide cette loi et constitutionnalise le droit du lecteur à l’information. Il reconnaît en cela la valeur supérieure du pluralisme de l’information nécessaire pour que les citoyens puissent être pleinement éclairés.
En France, comme ailleurs, on assiste à une démultiplication de l’offre rendue possible par le câble, puis le satellite, et par le poids croissant de l’audience.
Dans ce cadre concurrentiel, l’information, notamment télévisée, parce qu’elle repose sur l’image, a tendance à privilégier le spectaculaire, le sensationnel, autrement dit à faire appel à l’émotion du téléspectateur plutôt qu’à sa réflexion. L’élément central de la communication et de l’information politiques n’est plus le débat d’idées mais bien la capacité à créer l’événement par des « petites phrases ».
Comment est traitée l’information à la fin du XXe siècle et au début du XXIe ?
Comment est traitée l’information à la fin du XXe siècle et au début du XXIe ?
Si le contrôle direct de l’information par l’État n’est plus une réelle menace dans nos démocraties, d’autres techniques de maîtrise de l’information, plus insidieuses, se développent afin d’influencer les médias.
Le 21 avril 2002 ou l’emprise du fait divers dans l’information
Le 21 avril 2002 ou l’emprise du fait divers dans l’information
Le 21 avril 2002, la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle provoque un choc politique de grande ampleur. Parmi les nombreuses explications apportées, le rôle des médias télévisés est fortement souligné par les chercheurs. Le traitement médiatique très dense de l’insécurité a, selon les chercheurs, conduit les électeurs à juger les candidats au regard de leur compétence spécifique dans ce domaine.
De fait, selon une étude de la Sofres, entre le 7 janvier 2002 et le second tour de l’élection présidentielle, le 4 mai 2002, TF1 (la première chaîne en termes d’audience) consacre sept heures et vingt-huit minutes au thème de l’insécurité, soit près de huit fois plus que le temps consacré à l’emploi sur la même période.
- La télévision a ainsi donné une représentation déformée de la réalité à partir des journaux télévisés.
L’infotainment et le storytelling, les nouvelles techniques de maîtrise de l’information
L’infotainment et le storytelling, les nouvelles techniques de maîtrise de l’information
Dans le domaine de l’information, la fin du XXe siècle est caractérisée par l’avènement de l’infotainment, l’information de divertissement qui repose sur le débat, le commentaire politique et surtout l’image.
Infotainment :
Tendance à traiter l’ensemble des programmes et des informations avec les procédés du divertissement. Cette méthode a pour but de rendre les informations plus facilement accessibles à un nombre élevé de personnes et donc de rendre le média concerné plus visible, plus vendu, plus vu.
Les chaînes d’information en continu, dont CNN (Cable News Network, née en 1980) est la précurseuse, sont le symbole de cette information qui délivre un flux continu de nouvelles et de faits bruts au détriment du recul nécessaire au tri, à la hiérarchisation et à la contextualisation de l’information.
Avec le storytelling, les médias, et notamment la télévision, apparaissent comme le relais d’événements conçus par d’autres.
Storytelling :
Technique de communication qui repose sur une structure narrative du discours ressemblant à une histoire, un conte, un récit. Cette méthode est notamment employée dans le domaine politique, mais est très controversée à cause de son pouvoir de suggestion.
L’information politique est construite par des communicants, les spin doctors, et vise à maîtriser les flux d’informations par des « histoires » sans cesse renouvelées au profit de l’homme politique.
« Spin doctor » :
Conseiller en communication et en marketing politique agissant pour le compte d'une personnalité politique, le plus souvent lors de campagnes électorales.
Le film de fiction Des hommes d'influence (avec Robert de Niro et Dustin Hoffman) illustre le storytelling en politique. Les deux protagonistes du film tourné en 1998, un spin doctor et un producteur de cinéma, inventent une guerre en manipulant les médias et la racontent aux téléspectateurs pour détourner l'attention des électeurs d'un scandale sexuel qui menace la réélection du président des États-Unis d'Amérique.
Conclusion :
La liberté de l’information est un enjeu important pour toutes les sociétés, notamment en période de guerre. En France, les nouveaux médias apparus au XXe siècle permettent une certaine manipulation de l’information. Pendant les conflits, les autorités avaient recours à la censure – totale ou partielle – et à la propagande. De nos jours, que ce soit par le biais de l’infotainment ou du storytelling, le public est influencé de manière insidieuse. Les émotions sont plus facilement contrôlées, et la réflexion davantage laissée de côté : les médias proposent des informations en continu, en direct, ce qui ne permet pas d’avoir du recul sur les faits et de partager une information structurée et réfléchie.