Le langage

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Introduction :

Une des questions fondamentales qui se pose à propos du langage est celle de son origine. Si l’on observe les animaux dans leur cadre naturel, ceux-ci utilisent une forme de communication, constituée de quelques signaux. Elle est liée à la transmission de données entre congénères (par exemple avertir de la présence d’un prédateur). Ici, il s’agit plus d’une fonction vitale que d’un véritable langage : on dit qu’elle est naturelle à la différence du langage qui, lui, est culturel.

  • Quelle est l’origine du langage ?
  • Pourquoi est-il apparu chez l’Homme ?

Outre cette question de l’origine et de la fonction du langage, se pose la question de sa structure. Le langage se déploie en différentes langues, multiples, chacune très complexe et très particulière. Cependant, ces langues ont un point commun : elles utilisent un système de signes. Le premier à avoir théorisé le langage et le concept de signe est Ferdinand de Saussure, linguiste du XIXe siècle. Enfin le langage pose le problème de la référence des expressions linguistiques. Si l’on accepte que le langage est quelque chose de conventionnel, il reste à comprendre comment se fait le lien entre les mots et la réalité. C’est ainsi que Frege introduit une distinction essentielle pour comprendre comment un mot fait référence à la réalité : la différence entre le sens et la dénotation.

L’origine du langage selon Rousseau

Dans son œuvre inachevée, Essai sur l’origine des langues, Rousseau écrit à propos de l’origine du langage humain : « La parole, étant la première institution sociale, ne doit sa forme qu’à des causes naturelles. »
C’est par la parole que les êtres humains ont pu se réunir et s’organiser pour la première fois.

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Définition

Parole :

La parole est une expression orale individuelle. Elle s’oppose au langage qui est un fait social, tandis que la parole est un fait individuel.

Pour Rousseau, les premiers humains se reconnaissent comme êtres sensibles : un humain voit son semblable souffrir et sent naturellement sa douleur. L’individu qui s’est cassé une jambe, par exemple, gémit, pleure, crie. Cela provoque naturellement l’empathie, c’est-à-dire le fait de ressentir la douleur de quelqu’un d’autre.

  • Il ne s’agit pas encore de langage mais d’une première forme d’expression chez l’Homme.

Le langage, pour Rousseau, est une manière d’exprimer ses sentiments. C’est la condition nécessaire à la création du lien social car, naturellement l’être humain vaque à ses occupations et n’a pas besoin d’autrui pour répondre à ses besoins. Il serait donc absurde de penser qu’il invente le langage pour répondre à ses besoins alors qu’il peut très bien y répondre tout seul.

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À retenir

Les besoins éloignent tandis que le langage rapproche. C’est pour exprimer ses sentiments que le langage est né, et non pour répondre à un besoin rationnel. Ainsi, par le langage, l’Homme crée du lien et commence à « faire société ». C’est pourquoi, selon Rousseau, le langage précède originairement la société : il est en ce sens « la première institution sociale ».

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Attention

La question de l’origine comme fondement est à distinguer de la question de l’origine historique du langage.

  • Rousseau ne s’interroge pas sur l’histoire du langage, mais sur son fondement.

Si la question de l’origine du langage reste assez floue encore aujourd’hui, la linguistique a permis d’en apprendre un peu plus sur son fonctionnement.

La langue comme système de signes

Ferdinand de Saussure est un linguiste suisse de la fin du XIXe siècle et le père fondateur de la linguistique moderne. Il fait partie du mouvement structuraliste et s’intéresse donc tout particulièrement à la structure du langage, au travers notamment de la notion de signe.
Le signe est en quelque sorte la brique élémentaire du langage. Il est composé de deux parties qui forment un tout, un peu comme les deux faces d’une même pièce :

  • le signifié : le concept ;
  • le signifiant : l’image acoustique.

Le signifié et le signifiant sont complémentaires : le signifié serait inaudible sans le signifiant, et le signifiant serait vide de sens sans le signifié. Par exemple, lorsque je dis « chien », ou « dog » en anglais, j’utilise une série de sons qu’on appelle phonèmes : il s’agit du signifiant. Mais en plus de ce son (ou image acoustique), j’exprime un concept : celui de chien. Il s’agit du signifié.

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Astuce

Pour bien retenir la différence entre le signifié et le signifiant, Jacques Lacan (psychanalyste et héritier de Freud) utilise une formule bien connue : « le mot chien n’aboie pas ».

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À retenir

  • Le phonème est un son utilisé pour former des signifiants.
  • Le signifiant est l’image acoustique d’un mot constitué de phonèmes (des sons).
  • Le signifié est le concept.
  • Le signe est constitué d’un signifiant et d’un signifié.

Ferdinand de Saussure fait partie d’un courant de pensé appelé le nominalisme. Selon le nominalisme, les concepts sont des constructions humaines. Autrement dit, ils sont arbitraires (ils auraient pu ne pas exister ou être différents de ce qu’ils sont), et ne sont donc pas naturellement rattachés aux choses auxquelles ils font référence.
Ce courant de pensée s’oppose à l’essentialisme, courant de pensée selon lequel les choses portent en elles une essence idéelle : une idée. Autrement dit les idées (ou les concepts) sont dans le monde, pas dans le langage.

Or, si les concepts ne sont pas rattachés directement à la réalité à laquelle ils font référence, comment cette référence s’établit-elle ?

Le problème de la référence

Référence naturelle ou conventionnelle ?

Dans le dialogue de Platon intitulé le Cratyle, le personnage d’Hermogène défend une approche conventionnaliste du langage. Autrement dit, le langage est selon lui une convention. Cratyle, Hermogène et Socrate discutent de l’origine et de la nature du langage, en particulier du langage oral. Le dialogue entre ces trois penseurs porte précisément sur la question suivante : qu’est-ce qui fonde la justesse d’un mot ?
La thèse de Cratyle, à laquelle Hermogène s’oppose, est la suivante : le mot est une reproduction de la chose que le mot désigne.
Selon Cratyle les mots ont une origine naturelle car leur forme rappelle la chose qu’ils nomment – par exemple, la sonorité d’un mot est la copie d’un son naturel, comme pour les onomatopées (« boum », « toc toc », « splash », « cocorico »).
Mais Hermogène contredit Cratyle :

  • il n’est pas possible de réduire le langage à une langue particulière ou à des onomatopées ;
  • il est très rare que la prononciation d’un mot ressemble à la chose qu’il désigne.

Ainsi, Hermogène dit : « Je suis certain que la rectitude d’une dénomination n’est pas autre chose que la reconnaissance d’une convention ».

Depuis Platon, le problème de la référence a occupé de nombreux philosophes (en particulier au cours du XXe siècle) et fait encore débat aujourd’hui. La question est la suivante : comment s’opère le lien entre le langage et la réalité ?

Sens et dénotation

La question du lien entre langage et réalité se pose notamment dans les sciences. En effet, la science doit décrire au mieux la réalité du monde extérieur. Pour que cette description soit possible, il faut d’abord donner un nom aux choses (par exemple : cet objet feuillu avec un tronc, c’est un arbre).

  • Comment le nom fait-il référence à la réalité extérieure ?

Selon Frege, mathématicien et logicien allemand du XIXe-XXe siècle, il faut distinguer deux éléments dans la signification d’un nom ou d’un groupe nominal : le sens et la dénotation.

  • La dénotation d’un nom est ce que désigne le nom.
  • Exemple : pour le groupe nominal « l’arbre en face de chez moi », il dénote et donc fait référence à l’arbre en face de chez moi.
  • Le sens d’un nom est la manière dont le nom désigne quelque chose.
  • Exemple : pour le groupe nominal « l’arbre en face de chez moi », la dénotation – soit la référence – à cet arbre que je désigne n’est possible que si la personne à qui je parle sait où j’habite et comprend donc le sens de l’énoncé.

Pour mieux comprendre cette distinction, voici une version revisitée d’un exemple de Frege tiré de son article « Sens et dénotation » publié en 1892. Plutôt que de parler d’« étoile du matin » et d’« étoile du soir » comme le fait Frege, nous prendrons un exemple plus parlant : Superman et Clark Kent.

« La pensée contenue dans la proposition : [“Superman a des superpouvoirs”] est différente de la pensée contenue dans : [“Clark Kent a des superpouvoirs”]. Si quelqu’un ignorait que [Superman est Clark Kent], il pourrait tenir l’une de ces pensées pour vraie [à savoir que Superman a des superpouvoirs] et l’autre pour fausse [à savoir que Clark Kent a des superpouvoirs]. La pensée ne peut donc pas être la dénotation de la proposition ; bien plutôt faut-il y voir le sens de la proposition. »

Gottlob Frege, « Sens et dénotation », 1892.

Dans cet exemple, « Clark Kent » et « Superman » ont la même dénotation. Cela signifie qu’ils font référence à la même personne, mais ont un sens différent : Clark Kent est un journaliste qui travaille au Daily Planet, tandis que Superman est un super-héros doué de superpouvoirs.
En effet si je dis « Clark Kent est superman », l’énoncé est informatif : j’apprends quelque chose. Mais si je dis « Clark Kent est Clark Kent », je n’apprends rien : l’énoncé est tautologique. « Clark Kent » et « Superman » ne sont donc pas interchangeables, parce qu’ils n’ont pas le même sens.

Cette distinction est importante en particulier pour déterminer les conditions de vérités d’un énoncé. Pour ce faire, Frege utilise la logique propositionnelle qui consiste à traduire un énoncé du langage naturel comme « Clark Kent est Superman », en langage formel. Si $A=$ Clark Kent et $B=$ Superman, alors « $A=B$ » signifie « Clark Kent est identique à Superman », autrement dit « Clark Kent est Superman ».

  • À quelle condition cet énoncé est-il vrai ?
  • Il est vrai si, et seulement si, Clark Kent et Superman sont en fait une seule et même personne.

Le projet de Frege est de pouvoir traduire tous les énoncés scientifiques édictés en langage naturel (exemple : « l’énergie d’un objet est égale à sa masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré »), dans un langage logique (exemple : « $e=mc^{2}$ »).
Ce langage, plus rigoureux, permettrait d’énoncer clairement les théories scientifiques et leurs conditions de vérité afin de vérifier si elles sont vraies ou fausses. Son plus grand projet fût par ailleurs de tenter de traduire les mathématiques en langage logique, mais ce fut aussi son plus grand échec !

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À retenir

  • Le sens n’est pas la dénotation, il est la manière dont la dénotation est donnée.
  • Un énoncé tautologique est un énoncé vrai par définition : il ne nous apprend rien sur le monde.
  • Un énoncé du langage naturel (celui qu’on utilise tous les jours) comme « Clark Kent est Superman » peut être traduit en langage logique comme « $A = B$ », ce qui permet de déterminer les conditions de vérité d’un énoncé.

Conclusion :

Le langage est une chose complexe parce qu’il est impossible d’en parler sans l’utiliser. On l’utilise depuis si longtemps qu’il est très difficile d’en déterminer l’origine historique. Cependant, il est possible, comme le fait Rousseau, de s’interroger sur son fondement. Vraisemblablement, selon le philosophe des Lumières, il s’agit de la première institution sociale.
Mais selon Ferdinand de Saussure, qui est nominaliste, le langage est arbitraire tout comme les signes et les concepts. Ces signes font le lien entre une image acoustique (le signifiant) et un concept (le signifié).
Enfin selon Frege, pour comprendre comment le signe fait référence à une chose, il faut faire la différence entre la dénotation (ce que désigne le mot), et le sens (la manière dont le mot désigne une chose). Ainsi, c’est par le sens que le mot fait référence à la chose.
Dans ce cours nous n’avons pas pu aborder toutes les questions liées au langage, loin de là ! Cependant s’il est une chose à retenir à propos du langage, c’est qu’il est encore aujourd’hui au cœur de nombreux débats philosophiques. La linguistique est un champ de recherche récent et difficile d’accès à cause de son caractère très technique. Cependant, le langage façonne notre rapport à la réalité. Par exemple, quand je me balade en forêt, si je n’y connais rien en botanique je ne verrais qu’un ensemble de plantes indistinctes, mais si je connais le nom de chaque plante, je verrais un tout autre paysage. Il est donc important de s’interroger sur la façon dont le langage construit notre vision du monde.