La massification scolaire depuis les années 1950
Introduction :
L’École est une institution majeure qui remplit des fonctions essentielles, pour la société, comme pour les individus. On lui attribue deux grandes missions complémentaires : l’instruction et la socialisation. L’École participe en effet à l’élaboration des savoirs et à la maîtrise des règles sociales, c’est-à-dire le « savoir être », et l’apprentissage d’une culture commune. Elle constitue ainsi, avec la famille, la première instance de socialisation.
À cet égard, l’École républicaine (laïque et gratuite) a pour rôle de former des citoyen·ne·s et d’assurer l’égalité des chances. Mais dans quelle mesure y parvient-elle ? Peut-on parler de « démocratisation scolaire » ?
Nous remonterons d’abord aux origines de la massification scolaire, puis nous observerons les effets de cette massification liée à une augmentation des effectifs et de la durée de scolarisation. Nous montrerons que, malgré ses objectifs d’intégration et de démocratisation, l’École laisse persister des inégalités en son sein.
Qu’est-ce que la massification scolaire ?
Qu’est-ce que la massification scolaire ?
Massification scolaire :
La massification scolaire désigne l’augmentation du nombre d’enfants se rendant à l’école.
Il s ‘agit d’un phénomène exclusivement quantitatif.
Origine de la massification scolaire en France
Origine de la massification scolaire en France
Jules Ferry, président du Conseil des ministres en de 1880 à 1885
En 1881-1882, les lois Ferry généralisent la scolarisation à tous les enfants, filles et garçons : l’École gratuite, laïque et obligatoire est instaurée en France et va être à l’origine d’un phénomène de massification scolaire. L’objectif de cette réforme est alors d’unifier la nation en formant des individus alphabétisés, des citoyen·ne·s responsables et des travailleur·se·s efficaces.
Mais, pour la majorité des élèves de cette époque, la scolarisation s’arrête à la fin des études primaires ; c’est-à-dire après l’obtention du certificat d’étude. La poursuite des études est alors réservée à une élite.
Cependant, les progrès techniques du XXe siècle favorisent l’enrichissement de la population et imposent un allongement de l’instruction. La massification scolaire s’accélère donc et voit le développement de l’enseignement secondaire (général, technique et professionnel) et supérieur (université, STS, IUT, IUP) qui élève le niveau de formation initiale. Entre 1950 et 2010, le nombre d’élèves a augmenté de $30\,\%$ dans le 1er degré, a été multiplié par 3,8 dans le 2d degré et par 10,6 dans le supérieur.
Observation du phénomène de massification scolaire depuis les années 1950
Observation du phénomène de massification scolaire depuis les années 1950
En France, le sursaut de massification scolaire du XXe siècle s’explique en partie par le baby-boom.
En effet, on observe un pic de natalité après la Seconde Guerre mondiale : entre 1946 et 1960, le nombre d’individus âgés de moins de 20 ans a augmenté d’environ $26\,\%$ en 14 ans.
- En parallèle de ce phénomène, on assiste donc à une augmentation du taux de scolarisation.
Taux de scolarisation :
Le taux de scolarisation mesure le rapport entre le nombre d’individus scolarisés et le total des individus de la même tranche d’âge.
$taux\ de\ scolarisation = \dfrac{10-12\ ans\ scolarisé·e·s}{population\ totale\ des\ 10-12\ ans}$
En outre, ce taux de scolarisation est renforcé par des politiques d’allongement de la scolarité : en 1959 par exemple, l’École est rendue obligatoire jusqu’à 16 ans (contre 14 ans avant 1959).
Cette accélération de la massification scolaire, au cours des années 1950-1960, a permis d’accroître le niveau de formation et donc de qualification de la main d’œuvre, répondant ainsi aux besoins engendrés par les mutations économiques de l’époque.
- Tous bacs confondus, la proportion de bacheliers au sein d’une génération est passée de $5,1\,\%$ en 1950, à $73,1\,\%$ en 2013.
On observe ainsi que, depuis les années 1950, le nombre de bachelier·ère·s a considérablement augmenté. Et la poursuite des études dans l’enseignement supérieur s’est développée.
Cette massification a entraîné une hausse des compétences des individus, favorisant leur intégration sur le marché du travail. Cependant, le rôle de l’École ne se cantonne pas à celui de l’instruction.
Quelles ambitions pour l’École ?
Quelles ambitions pour l’École ?
Un rôle d’intégration
Un rôle d’intégration
L’École permet une triple intégration des individus :
- intégration professionnelle ;
- intégration à la collectivité ;
- intégration culturelle (à la Nation).
- Intégration professionnelle
L’obtention d’un diplôme permet, en théorie, une meilleure insertion professionnelle. Comme nous venons de l’évoquer, l’École favorise l’acquisition d’un statut professionnel en permettant à chacun d’obtenir une qualification qui lui assurera, via le travail, une place dans la société.
Or, l’accès à un emploi est une condition d’intégration sociale rendue essentielle par la structuration de nos sociétés : il permet en effet d’obtenir un salaire, et donc de consommer.
En outre, travailler c’est participer à une vie collective régie par des droits et des devoirs, gage d’un renforcement de la cohésion sociale.
- Intégration à la collectivité
Avant même l’insertion dans le monde professionnel, l’École favorise déjà l’apprentissage des codes de la vie en collectivité. En acceptant tous les individus sans distinction de genre, religion, ou culture, elle permet la constitution d’un groupe social hétérogène.
- L’École va donc pousser l’enfant à s’intégrer tout en respectant des règles de conduite.
Notons par ailleurs que, l’École étant obligatoire (jusqu’à 16 ans), l’individu en âge d’être scolarisé qui ne s’y rendrait pas serait considéré comme déviant.
- Intégration culturelle à la Nation comme unité politique
L’École cherche à former des citoyen·ne·s en transmettant à tous les valeurs de la République. Cet apprentissage passe par une uniformisation des systèmes de pensée et un gommage des particularismes considérés comme des freins à la cohésion sociale.
- Le but est ici de constituer, au moyen notamment de l’apprentissage d’une langue et d’une culture communes, une unité sociale.
Ainsi, l’École cherche à jouer un double rôle dans l’instruction et la socialisation des individus, de façon à faciliter leur intégration dans la société.
Outre ce rôle d’intégration, l’École aspire à l’égalité des chances.
La démocratisation scolaire
La démocratisation scolaire
Démocratisation scolaire :
La démocratisation scolaire désigne, au XXe siècle, un accès renforcé à l’enseignement pour une part importante de la population française. Elle est ainsi censée gommer les différences et les inégalités d’origine sociale.
On distingue au sein de ce phénomène :
- la démocratisation « quantitative » ;
- de la démocratisation « qualitative ».
- Démocratisation quantitative
Démocratisation quantitative :
La démocratisation quantitative est l’élargissement de l’accès à des études de plus en plus longues, pour un nombre et une part de plus en plus importante de la jeunesse.
On parle aussi de « diffusion de l’école » ou de « diffusion des diplômes » dans la population. Cette forme de démocratisation a été spectaculaire : $5\,\%$ d’une génération accédait au baccalauréat en 1946, contre un peu plus de $60\,\%$ d’une génération aujourd’hui.
Mais ces données chiffrées ne s’intéressent pas ici aux inégalités sociales de scolarisation.
- Démocratisation qualitative
Démocratisation qualitative :
La démocratisation qualitative est l’affaiblissement du lien entre l’origine sociale d’un élève et son parcours scolaire.
Elle doit donc, théoriquement, se traduire par moins de déterminisme social. Autrement dit, chaque enfant doit avoir une probabilité de réussite scolaire égale à celle de ses camarades, toutes origines sociales confondues.
On mesure l’ampleur d’une démocratisation qualitative par l’évolution des écarts de réussite ou des différences de cursus selon l’origine sociale des élèves.
En ce qui concerne la démocratisation qualitative le constat est plus nuancé que pour la démocratisation quantitative.
Si la massification scolaire a eu un effet mécanique de démocratisation qualitative (aujourd’hui, un·e enfant de cadre n’a que deux fois plus de chances d’accéder au bac qu’un·e enfant d’ouvrier·ère, contre dix fois plus de chances, il y a 20 ans), on constate néanmoins la persistance d’une démocratisation ségrégative, puisque toutes les voies de scolarisation n’accueillent pas dans les mêmes proportions les élèves d’origine sociale différentes.
- Les SEGPA sont composées à $70\,\%$ d’enfants d’ouvrier·ère·s, employé·e·s et chômeur·se·s, contre $1.6\,\%$ d’enfants de cadres.
- $50\,\%$ des élèves de CPGE sont des enfants d’enseignant·e·s.
La massification n’est donc pas un critère suffisant pour parler de démocratisation de l’École.
Conclusion :
Les transformations socioéconomiques françaises des siècles derniers ont entraîné une démocratisation et une massification scolaires. Néanmoins, ces phénomènes ne suffisent pas à dire que la société tend vers une véritable égalité des chances. C’est ce que nous étudierons dans le cours intitulé « Une inégalité des chances persistante ».
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