La consécration du modèle représentatif après les révolutions anglaise, américaine et française
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Introduction :
Les révolutions anglaise, américaine et française mettent en place la conception de la souveraineté du peuple et un nouveau modèle de démocratie : la démocratie représentative.
Cette nouvelle expérience de la démocratie est, comme nous allons le voir, très différente de la démocratie directe athénienne.
Comment ce modèle de démocratie s’impose-t-il progressivement de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle ?
Pour répondre à cette question, nous étudierons, dans un premier temps, le contexte révolutionnaire conduisant à de nouvelles pratiques politiques dans le monde anglo-saxon, c’est-à-dire plus particulièrement en Angleterre et aux États-Unis.
Nous observerons ensuite le glissement de l’idée d’une démocratie directe vers celle de la démocratie représentative en France à travers la pensée de Benjamin Constant dans sa célèbre conférence : De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819).
Une nouvelle conception de la démocratie
Une nouvelle conception de la démocratie
L’établissement d’une monarchie parlementaire en Angleterre
L’établissement d’une monarchie parlementaire en Angleterre
Dès la fin du XVIIe siècle, un régime parlementaire remplace la monarchie absolue en Angleterre.
Régime parlementaire :
Régime qui instaure une séparation souple des pouvoirs :
- le gouvernement (pouvoir exécutif) peut proposer des lois et dissoudre le Parlement ;
- le Parlement (pouvoir législatif) peut contrôler et renverser le gouvernement. Dans un régime parlementaire, le gouvernement est responsable devant le parlement qui représente le peuple.
Dans le cas de la monarchie parlementaire britannique, le roi ou la reine doit se soumettre à la loi.
S’il est initialement rattaché au pouvoir exécutif, c’est en fait le Premier ministre qui a la réalité du pouvoir.
- Le roi n’a progressivement plus qu’un pouvoir symbolique, notamment concernant la représentation du pays sur le plan international.
Deux dates permettent de caractériser la transition démocratique du fonctionnement politique en Angleterre.
- 1679 : l’Habeas Corpus protège les individus de toute arrestation arbitraire. Cette étape permet au régime politique anglais de franchir une étape clé dans la protection des libertés fondamentales.
- 1689 : le Bill of Rights ou Déclaration des Droits, à l’issue de la Glorieuse Révolution, limite les pouvoirs du roi qui ne peut gouverner sans le Parlement. Ce texte pose donc les fondements d’un régime démocratique par la séparation des pouvoirs. Guillaume III et son épouse Marie II deviennent ainsi roi et reine à condition d’accepter la Déclaration des droits.
Le régime parlementaire s’affirme donc en Angleterre et la transition vers davantage de démocratie se traduit aussi, sur le plan législatif, par une importance plus grande donnée à la Chambre des communes, composée de députés élus, par rapport à la Chambre des lords, plus conservatrice et aristocratique (charge héréditaire ou sur désignation du roi).
Mais la monarchie parlementaire britannique a ses limites.
Il n’existe pas de suffrage universel en Angleterre à cette époque (celui-ci ne sera instauré qu’en 1918 pour les hommes et les femmes). Au XVIIIe siècle, seuls 4 % des hommes, les plus riches, ont le droit de vote. Les députés de la chambre des communes sont donc élus au suffrage censitaire.
Suffrage censitaire :
Contrairement au suffrage universel, qui donne le droit de vote à tous les citoyens, le suffrage censitaire donne le droit de vote en fonction du revenu des citoyens.
Seuls les plus riches peuvent voter.
IMAGE 1 : Le système parlementaire anglais à la fin du XVIIIe siècle
Il n’empêche qu’à l’époque l’Angleterre apparaît comme un modèle de liberté et de tolérance pour les philosophes des Lumières.
Les Lumières :
Mouvement intellectuel du XVIIIe siècle qui prône la raison et la rationalité de la pensée dans le respect de la liberté.
Ce mouvement critique l’absolutisme politique et l’obscurantisme religieux.
John Locke, philosophe anglais, montre la voie dans son Traité du gouvernement civil (1690), en démontrant la nécessité pour les hommes libres et égaux de ne pas être soumis à un pouvoir politique sans leur propre consentement.
Voltaire, dans ses Lettres philosophiques (1734), présente l’Angleterre comme une monarchie parlementaire en avance sur son temps, contrairement à la monarchie absolue française.
Montesquieu, dans De l’esprit des lois (1748), s’appuie sur l’exemple anglais pour opposer à la monarchie absolue française les mérites de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, afin d’empêcher tout risque de concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule personne.
À partir de 1776, date de la proclamation de l’indépendance des États-Unis d’Amérique, le modèle américain concurrence le modèle anglais.
L’établissement d’une république fédérale aux États-Unis
L’établissement d’une république fédérale aux États-Unis
La Déclaration d’indépendance des États-Unis est rédigée par Thomas Jefferson et s’inspire des idées de John Locke et des philosophes des Lumières.
- Dans cette Déclaration, le pouvoir des gouvernements « émane du consentement des gouvernés ».
Le texte justifie également l’insurrection des citoyens contre la tyrannie : « Lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations […] marque le dessein de les soumettre au despotisme absolu, il est de leur droit, il est de leur devoir, de rejeter un tel gouvernement. »
Tyrannie :
Une tyrannie désigne un gouvernement qui appartient à un homme qui s’est emparé du pouvoir par la force et qui gouverne seul.
En 1787, les États-Unis adoptent alors une constitution.
Constitution :
Loi fondamentale qui définit le fonctionnement d’un État, l’organisation des différents pouvoirs ainsi que les droits et libertés des citoyens.
La Constitution américaine définit le fonctionnement d’un État fédéral et d’un régime présidentiel avec une stricte séparation des pouvoirs.
État fédéral :
Un État fédéral est formé de territoires (États fédérés) qui disposent d’une certaine autonomie.
Ainsi, le pouvoir fédéral, ou pouvoir central, laisse de larges pouvoirs aux différents États qui la composent.
Régime présidentiel :
Régime politique dans lequel le pouvoir exécutif est entre les mains du chef de l’État, le président.
Séparation stricte des pouvoirs :
Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont indépendants et aucun ne peut empiéter sur les prérogatives des autres.
À partir de 1791, l’État fédéral a pour capitale Washington où sont construits la Maison blanche, destinée au président, et le Capitole, où siège le Congrès.
L’État fédéral est puissant et prend toutes les décisions concernant les affaires étrangères et le commerce extérieur.
Les États fédérés, qui sont au nombre de 13 à l’époque, ont leurs propres lois en politique intérieure.
Le régime présidentiel donne le pouvoir exécutif à un président élu pour 4 ans. Le premier président des États-Unis, George Washington, est élu en 1789, puis réélu en 1792.
IMAGE 2 : La Constitution américaine (1787)
La séparation stricte des pouvoirs se définit ainsi dans la Constitution des États-Unis :
- le président dirige le pouvoir exécutif ;
- le Congrès, composé de deux assemblées élues (le Sénat et la Chambre des représentants), possède le pouvoir législatif ;
- la Cour suprême détient le pouvoir judiciaire en veillant au respect de la Constitution.
- Aucun de ces pouvoirs ne peut empiéter sur les prérogatives des autres.
De nos jours, on peut nuancer le caractère strict de la séparation des pouvoirs dans le régime américain. En effet, aujourd’hui, le Congrès peut engager une procédure de destitution à l’égard du président, et le président dispose d’un droit de véto sur les lois votées par le Congrès. Les pouvoirs, s’ils ne peuvent pas être exercés par un autre et sont donc bien strictement distincts, peuvent néanmoins donc se gêner.
La démocratie représentative américaine de l’époque a ses limites.
Le suffrage est censitaire. Il est réservé aux hommes blancs qui sont propriétaire. Les femmes, les pauvres, les Amérindiens et les Afro-américains n’ont pas le droit de vote.
Dans les années 1830, la politique de déplacement des Améridiens vers l’ouest est en fait une déportation forcée. Quant à l’esclavage, s’il est aboli dans les États du Nord, la Constitution ne l’interdit pas et le nombre d’esclaves augmente dans les plantations des États du Sud.
L’exemple américain est néanmoins vu en France comme un système démocratique et libéral inspirant qui renforce la contestation de la monarchie absolue.
Le développement de la souveraineté nationale en France et la mise en place d’une démocratie représentative
Le développement de la souveraineté nationale en France et la mise en place d’une démocratie représentative
Au XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières combat donc la monarchie absolue en plaçant le peuple (ou du moins une fraction de celui-ci) au centre de l’exercice de la souveraineté. Le principe de la souveraineté nationale est défini selon l’idée que la souveraineté appartient à la Nation.
L’idée est alors la suivante : l’ensemble des citoyens composant la Nation ne pouvant gouverner directement, cela implique la mise en place d’une démocratie représentative.
Démocratie représentative :
Alors que dans la démocratie directe athénienne du Ve siècle avant notre ère, les citoyens exercent directement le pouvoir, dans la démocratie représentative, les citoyens expriment leur volonté par l’intermédiaire des représentants élus, les députés, à qui ils délèguent leurs pouvoirs. Ces représentants votent les lois.
Benjamin Constant, grand défenseur de la démocratie représentative
Benjamin Constant, grand défenseur de la démocratie représentative
Benjamin Constant (1767-1830) est un écrivain, journaliste et homme politique français qui est témoin d’évènements historiques majeurs : la Révolution française, la proclamation de la Première République, la Terreur, l’Empire napoléonien et la Restauration de la monarchie.
IMAGE 3 : frise chronologique sur la vie de Benjamin Constant
Durant la Restauration, la monarchie est constitutionnelle, inspirée de la monarchie anglaise par certains aspects. Par exemple, la Chambre des pairs copie la Chambre des lords.
La constitution est la Charte de 1814 qui apparaît comme un compromis entre le retour à l’ordre monarchique et le maintien de certains principes révolutionnaires. La Charte garantit la liberté individuelle (art. 4) et l’égalité devant la loi des Français (art. 1). Le pouvoir exécutif appartient au roi seul (art. 13). Quant au pouvoir législatif, il est entre les mains de la Chambre des députés et de la Chambre des pairs, mais en regardant bien le schéma ci-dessous, nous pouvons voir que le roi possède également une partir du pouvoir législatif (art. 15). Il a le droit de légiférer par ordonnance sans passer par les Chambres.
- Nous ne pouvons donc pas vraiment parler de régime parlementaire ni de séparation des pouvoirs.
IMAGE 4 : L’organisation du pouvoir sous la Restauration (Charte de 1814)
Dans ce contexte, Benjamin Constant apparaît comme le chef de file de l’opposition libérale à l’Assemblée.
Sous la Restauration, de 1818 jusqu’à sa mort en 1830, il est député du Bas-Rhin. Il est très engagé et défend les valeurs de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen en toutes circonstances et avec beaucoup d’éloquence. Sa réflexion se construit toujours en opposition à la terreur de Robespierre, mais aussi en opposition à toutes les dérives despotiques, comme celles de Napoléon Bonaparte.
Il est très attaché aux libertés individuelles et s’oppose à toute forme autoritaire de gouvernement.
Benjamin Constant occupe la tribune sous le Consulat. Gravure de Jean-Baptiste Alexis Barban, 1870, ©Bibliothèque nationale de France
Dans sa célèbre conférence De la Liberté des Anciens comparée à celle des Modernes prononcée à l’Athénée royale de Paris en 1819, il défend la démocratie représentative en opposant la démocratie directe athénienne au Ve siècle avant notre ère à la démocratie représentative libérale du début du XIXe siècle.
L’opposition entre la « liberté des Anciens » et la « liberté des Modernes »
L’opposition entre la « liberté des Anciens » et la « liberté des Modernes »
Le tableau ci-dessous relève les idées principales de Benjamin Constant opposant ces deux formes de démocratie.
« Liberté des Anciens » | « Liberté des Modernes » | |
Contexte | Athènes au Ve siècle avant notre ère | la France après la proclamation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) |
Forme de démocratie | démocratie directe
$\rightarrow$ vote des citoyens à l’Ecclésia à main levée |
démocratie représentative
$\rightarrow$ vote des députés à l’Assemblée $\rightarrow$ exercice politique réservé à des professionnels |
Liberté | liberté collective
$\rightarrow$ La société exerce une contrainte sur l’individu :
La sphère publique prime sur la sphère privée. |
liberté individuelle
$\rightarrow$ L’individu prime sur le groupe dans le respect des lois :
La sphère privée prime sur la sphère publique. |
Citation | « Perdu dans la multitude, l’individu n’aperçoit presque jamais l’influence qu’il exerce. » | « Plus l’exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse. » |
- Pour Benjamin Constant, l’exercice du pouvoir par des élus est une condition de sauvegarde des libertés individuelles et du développement économique des nations.
En effet, selon lui, outre le fait que les sociétés modernes semblent difficilement compatibles avec l’exercice d’une démocratie pleinement directe en raison notamment d’un nombre de citoyens bien plus important, la démocratie directe telle qu’elle a été expérimentée à Athènes permet certes de participer directement à l’exercice du pouvoir, mais ne garantit qu’une liberté collective (liberté politique). L’individu apparaît assujetti au collectif.
Constant entrevoit alors la démocratie représentative comme un fonctionnement plus adapté aux sociétés modernes dans lesquelles progresse l’idéologie libérale, donnant une place plus grande à l’individu. Il l’envisage comme une évolution de l’héritage de la démocratie directe.
- En déléguant son pouvoir à des représentants, le citoyen dispose de plus de temps pour pouvoir exercer ses droits individuel
- L’exercice de la souveraineté du peuple se trouve également limitée par les libertés et droits de l’individu : « […] la souveraineté du peuple n’est pas illimitée, elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste. »
Mais si Benjamin Constant défend le système représentatif, il en décrit également le contrôle afin que le fonctionnement démocratique et la souveraineté du peuple soient respectés. Cela passe par une « surveillance active et constante » des représentants.
Conclusion :
Le système de la démocratie représentative parvient donc à s’imposer progressivement. Il s’enracine durablement en France avec la Troisième République (1870-1940), qui instaure le suffrage universel (bien que masculin), le secret du vote et qui garantit les premiers droits sociaux et des libertés collectives (liberté de la presse, liberté de réunion…).
Avec le suffrage universel, les citoyens sont beaucoup plus nombreux et doivent être représentés par des élus pour un fonctionnement démocratique plus efficace.
Bien sûr, la démocratie représentative a ses dangers : d’une part, le danger pour les citoyens de se désintéresser de la vie politique parce qu’ils s’associent peu aux prises de décision des élus ; d’autre part, le problème de la confiance à accorder aux élites politiques, qui peuvent être bien éloignées des préoccupations quotidiennes des citoyens.
Ces dangers de la démocratie moderne, Benjamin Constant en a conscience, et encore plus Alexis de Tocqueville qui les analyse et propose des solutions dans De la démocratie en Amérique, dont le premier livre est publié en 1835.
Enfin, la démocratie étant un objet multiforme et mouvant, il est important de souligner que la démocratie représentative et la démocratie directe ne sont pas des conceptions figées et hermétiques l’une à l’autre. Ainsi, si de nos jours la démocratie directe en tant que système généralisé a disparu, il existe des États qui appliquent une démocratie semi-directe, comme c’est le cas notamment de certains cantons suisses qui maintiennent un vote local direct. D’ailleurs, le recours à des mécanismes de démocratie directe (référendum, assemblées citoyennes, etc.) dans le cadre d’un fonctionnement représentatif semble de plus en plus souhaité par les citoyens des démocraties libérales en crise.