L’influence du genre et de l’origine sociale sur les trajectoires professionnelles
Introduction :
Nous avons vu dans un cours précédent que le diplôme est un facteur essentiel d'accès à l'emploi. Ce n'est pas le seul, d'autres critères peuvent accentuer les inégalités face au travail. Il s'agit notamment du sexe, de l'origine géographique et sociale.
Au CP, 15 % des enfants d’ouvriers non qualifiés figurent parmi les 10 % d’élèves les plus faibles aux évaluations, alors que seulement 2,9 % des enfants de cadres supérieurs sont concernés.
De la même manière, on constate que les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons jusqu’à l’université, et pourtant, sur le marché du travail, elles ont souvent des postes moins bien rémunérés ou avec moins de responsabilités.
Comment peut-on expliquer ces différences ?
Nous aborderons dans un premier temps l’impact de l’origine sociale sur la réussite scolaire, et donc à terme sur l’insertion sur le marché du travail, pour ensuite nous intéresser aux différences de genre.
Origine sociale, parcours scolaire et trajectoires professionnelles
Origine sociale, parcours scolaire et trajectoires professionnelles
Constats
Constats
Ce premier graphique met en évidence l’existence d’inégalités dans le choix des filières selon l’origine sociale.
En effet, on peut par exemple noter que les enfants des familles les plus défavorisées se retrouvent majoritairement dans les filières technologiques, et plus particulièrement dans les services (39,1 %).
Les enfants des catégories très favorisées se retrouvent quant à eux dans les séries générales et plus particulièrement en scientifique (42,8 %). Sur 100 lycéens de la filière scientifique, presque 43 sont issus de catégories très favorisées contre seulement 19 pour les catégories défavorisées.
Il en va de même pour le niveau d’étude des élèves, qui varie en fonction de l’origine sociale. Ainsi, si les enfants de cadres supérieurs et les enfants d’ouvriers non qualifiés atteignent majoritairement et dans des proportions semblables la classe de troisième, l’écart se creuse concernant l’obtention du bac (les enfants d’ouvriers non qualifiés sont moitié moins nombreux que les enfants de cadres supérieurs à l’obtenir) et se confirme concernant l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur (environ 75 % d’enfants de cadres supérieurs contre 20 % seulement d’enfants d’ouvriers non qualifiés).
À niveau scolaire équivalent, les élèves de terminale n'envisagent pas les études supérieures de la même façon. Les élèves de milieu social plutôt défavorisé sont plus nombreux à arrêter leurs études à bac + 2, alors que les jeunes d'origine sociale plus favorisée visent un niveau bien supérieur.
Il y a donc bien une différence de réussite scolaire et de parcours de formation selon la catégorie sociale d’origine des parents. Et cette différence va se traduire sur le marché du travail.
Les inégalités face à l’accès à l’emploi semblent en partie la conséquence des inégalités sociales devant l’école et des inégalités d’obtention des diplômes. On peut dire que le capital scolaire détenu par les jeunes à la fin de leurs études initiales reste conditionné par leurs origines sociales. Mais comment peut-on expliquer de tels écarts ?
Explications
Explications
Plutôt que de parler de différences, il faudrait utiliser le concept d’inégalité.
Inégalité :
Différence d’accès à des ressources sociales rares et valorisées.
En effet, l’origine sociale des individus influence leur destinée sociale. Le sociologue Pierre Bourdieu a montré que les individus détenaient trois sortes de capitaux :
- un capital culturel, qui correspond à l’ensemble des savoirs, savoir-être, diplômes, biens culturels détenus ;
- un capital social, constitué du réseau de relations, de connaissances, dont dispose un individu ;
- un capital économique qui correspond aux revenus et au patrimoine détenus. C’est l’ensemble des richesses d’un individu.
Selon la catégorie sociale des parents, la détention de ces capitaux est différente.
- Par exemple, des enfants de cadres ou d’enseignants ont davantage accès à la lecture, vont plus au musée (capital culturel fort), ils ont également des moyens financiers mis à leur disposition pour réussir leurs études (cours particuliers) et donc un capital économique fort. Les parents détiennent aussi des réseaux ou une connaissance du système scolaire plus élevée (capital social fort). Ces enfants ont ainsi plus de chance que les autres de réussir leurs études et d’obtenir des diplômes valorisés sur le marché du travail.
Pour Pierre Bourdieu, certains enfants commencent leur scolarité avec un avantage sur les autres. Cette inégalité ne parvient pas à être réduite, malgré les motivations et capacités individuelles.
Le sociologue Raymond Boudon a quant à lui montré que les choix d’orientation variaient selon le milieu social. Les parents de la catégorie ouvrière ont tendance à surestimer les coûts des poursuites d’études et à sous-estimer les avantages. Ils sont satisfaits si leurs enfants obtiennent un niveau scolaire supérieur au leur. Cela se traduit dans les faits par l’obtention d’un BTS ou DUT, alors que les parents cadres espèrent que leurs enfants feront des écoles de commerce ou d’ingénieur.
Tous ces choix contraints ont des répercussions sur le marché du travail. On observe à ce titre une certaine reproduction sociale.
Les fils et filles de cadres ont ainsi une plus grande probabilité de devenir cadre.
Le tableau suivant montre qu’effectivement, la catégorie sociale du père influe sur la catégorie sociale du fils.
Champ : hommes, actifs occupés ou anciens ayant eu un emploi, âgés de 40 à 59 ans, en mai 2003
Source : Insee
L’égalité des chances à l’école (qui est donc très discutable dans les faits) n’est pas équivalente à l’égalité des chances à l’entrée sur le marché du travail.
Reproduction sociale :
Phénomène sociologique qui conduit à la transmission des positions sociales, des façons d'agir ou de penser, d'une génération à une autre.
Il existe donc bien un lien entre le milieu social d’origine, la réussite scolaire, la poursuite d’études et l’insertion sur le marché du travail.
Les sociologues parlent de reproduction sociale. Ce qui signifie que malgré le principe d’égalité, certains enfants de catégories sociales supérieures ont un avantage avant même d’avoir commencé l’école.
Ces inégalités de départ se poursuivront sur le marché du travail.
D’autre part, les origines géographiques et sociales sont source de discrimination et donc des freins à l'embauche. À qualification identique, le fait d'être issu d'une zone urbaine dite « sensible » réduit de 12 points la probabilité d'obtenir un emploi, le fait d’être une personne immigrée réduit cette même probabilité de 10 points, et celui d’être un descendant d’immigré de 6 points (chiffres Insee entre 2013 et 2015).
Mais l’origine sociale n’est pas le seul élément déterminant dans la réussite scolaire. Le genre, c’est-à-dire la différenciation sexuelle, est également un élément déterminant.
Dans cette seconde partie, nous allons tenter d’établir un état des lieux, puis nous apporterons des éléments explicatifs.
Genre, parcours scolaire et trajectoire professionnelle
Genre, parcours scolaire et trajectoire professionnelle
Constats
Constats
Les filles réussissent mieux à l’école que les garçons en termes de durée moyenne des études, de niveau moyen des diplômes et de taux de réussite aux examens. Pourtant, elles sont sous-représentées dans les filières prestigieuses et elles rencontrent (même si les choses changent) plus de difficulté pour trouver un emploi. Elles travaillent de plus en plus souvent à temps partiel et sont concernées par les emplois précaires.
- Une étude réalisés par l’Éducation nationale en mars 2018 établit qu’en 2016, deux élèves des séries scientifiques sur cinq sont des filles, alors que 84 % des filles ont obtenu leur bac contre 74 % des garçons.
Ce document met en évidence les poursuites d’études des femmes. On constate qu’elles sont majoritairement présentes dans les filières littéraires et sciences humaines (75 %), et surtout dans les filières paramédicales et sociales (plus de 80 %). En revanche, elles sont sous-représentées dans les sciences et Staps (moins de 40 %), comme dans les classes prépas et les IUT (40 %).
Les jeunes femmes s’insèrent massivement dans le secteur des services, secteur où la relation emploi/formation est plus aisée.
Les femmes réussissent donc mieux à l’école et dans le supérieur. Pourtant, elles choisissent davantage des filières moins valorisées sur le marché du travail.
Ces choix d’études supérieurs les conduisent moins souvent vers des postes à responsabilité et sont globalement moins bien rémunérées.
Comment peut-on expliquer ces choix ? Sont-ils volontaires ou sont-ils le résultat d’une socialisation différenciée et de discriminations ?
Explications
Explications
Une socialisation différenciée
La socialisation est un processus complexe qui débute dès la naissance (socialisation primaire) et qui se poursuit tout au long de la vie (socialisation secondaire).
Socialisation :
Par socialisation, on entend le processus au cours duquel un individu apprend à vivre en société, durant lequel il intériorise les normes (règles sociales et juridiques) et les valeurs (idéaux, principes), et par lequel il construit son identité psychologique et sociale.
La notion de socialisation différenciée signifie que le processus de socialisation est soumis à des instances de socialisation multiples. Les normes et les valeurs transmises seront donc différentes selon le genre (entre les filles et les garçons) et le milieu social (entre la classe populaire ou la classe privilégiée par exemple). Lors de la socialisation, les parents, les médias, la société transmettent des normes et des valeurs différentes selon que l’on soit une fille ou un garçon. Cela se traduit par des attentes différentes selon le sexe de l’enfant, ainsi que par des attentes différentes en ce qui concerne les comportements.
- Par exemple, une vision peu moderne de la société veut que la femme doit s’occuper des enfants et l’homme doit faire vivre sa famille.
Le fait que les hommes et les femmes n’intériorisent pas les mêmes normes et valeurs a des conséquences en matière d’inégalités économiques et sociales. Les femmes ayant intériorisé le fait qu’elles doivent s’occuper des tâches domestiques et des enfants auront tendance à choisir des études moins prestigieuses et à moins se consacrer à leur carrière professionnelle, ce qui génère des inégalités au niveau des salaires.
Une forme de discrimination
Dans le cadre de l’école et de l’enseignement supérieur, la discrimination provient en partie des stéréotypes.
Discrimination :
Différence de traitement fondée sur un critère illégitime ( âge, sexe, handicap…)
Stéréotype :
Idée ou opinion toute faite, cliché.
Le stéréotype dominant suppose qu’il existe des intérêts et des aptitudes différentes selon le sexe. Les filles seraient plus dociles, plus tournées vers la communication, alors que les garçons seraient par nature plus doués pour les sciences et plus dissipés.
L’école, malgré sa volonté d’égalité n’arrive pas à corriger ces stéréotypes.
À ce phénomène s’ajoutent les comportements des filles et des garçons.
- Par exemple, quand les garçons se jugent très bons en français, ils sont 10 % à se diriger vers une filière littéraire alors que les filles sont 30 %.
- Pour les filières scientifiques, le constat est identique : s’ils se jugent très bons en mathématiques, les garçons sont 80 % à aller en filière scientifique contre 60 % pour les filles.
Il y a donc du côté des filles une forme d’autocensure.
Elles se dirigeront vers les filières scientifiques si et seulement si elles sont sûres de réussir.
Ces stéréotypes ont des conséquences sur l’orientation.
Pour les filles, les choix de poursuite d’études tiennent compte du rôle attendu au sein de la société. Elles vont donc avoir tendance à réduire leur ambition, en choisissant des postes avec moins de responsabilité, ou en préférant un temps partiel.
Tous ces éléments cumulatifs entrainent des rémunérations moindres.
Il faut par ailleurs noter qu’il existe également des discriminations envers les femmes sur le marché du travail.
Indépendamment de leur socialisation, de leur choix d’études et des métiers effectués, il existe encore aujourd’hui des différences de salaires pour des postes équivalents et une plus grosse difficulté pour les femmes à accéder à des postes de direction. On parle de plafond de verre.
Plafond de verre :
Il s’agit des « freins invisibles » à la promotion des femmes dans les structures hiérarchiques.
Ce plafond de verre constitue un obstacle dans l’évolution des carrières des femmes au sein de l’entreprise et limite leur accès à des postes à responsabilité.
On constate que les femmes sont moins souvent promues que leurs collègues masculins, et ce dans toutes les catégories sociales. D’autre part, elles sont particulièrement pénalisées avant leurs 35 ans, c’est-à-dire pendant la période où elles sont susceptibles d’avoir des enfants.
Les femmes sont en moyenne moins payées que les hommes car elles subissent des discriminations, mais aussi du fait de leur socialisation et de la persistance des stéréotypes, qui les font s’orienter vers des filières moins rémunératrices.
Elles exercent plus souvent en temps partiel et freinent leurs ambitions pour associer travail et famille.
Conclusion :
On a pu observer qu’il existait bien un lien entre le milieu social d’origine, le genre et la réussite scolaire, ainsi que les trajectoires professionnelles. Ces différences de parcours peuvent s’interpréter comme des inégalités, dans la mesure où certains enfants partent avec un avantage sur d’autres, et cela dès l’école maternelle.
Ces inégalités se retrouvent sur le marché du travail en termes de postes, de rémunération et se reproduisent de génération en génération. La loi a pour objectif de réduire les inégalités et discriminations existantes afin de permettre à chaque élève d’avoir les mêmes chances à l’école, et à chaque demandeur d’emploi d’avoir les mêmes chances à l’embauche.