Internet : le réseau des réseaux
Introduction :
Dans ce premier cours, nous allons nous intéresser à Internet.
Internet est le réseau informatique mondial grand public, celui que nous utilisons, en ce moment même, pour communiquer et travailler ce cours ensemble.
Nous allons nous pencher sur son histoire et les principes de son fonctionnement.
Mais, d’abord, il nous faut répondre à une question plus compliquée qu’il n’y paraît : qu’est-ce que c’est, Internet ?
La naissance d’un réseau universel
La naissance d’un réseau universel
Depuis son lancement, en 1983, Internet s’est imposé (en moins de quarante ans !) comme le mode principal de communication entre les humains à l’échelle mondiale. À l’heure actuelle, on estime qu’environ la moitié de la population mondiale dispose d’un accès à Internet, et ce chiffre est en constante augmentation.
- Ce succès s’explique par les caractéristiques techniques d’Internet, mais aussi par la philosophie qui est à l’origine de sa conception et de sa gouvernance.
Une communication décentralisée
Une communication décentralisée
Après l’apparition des premiers ordinateurs électroniques, dans les années 1950, les premiers réseaux de communication entre ordinateurs sont développés dans les années 1960 et 1970, en Europe et aux États-Unis. Ces réseaux sont d’abord de taille très modeste, reliant quelques poignées d’appareils dans quelques universités et laboratoires de recherche grâce à des lignes téléphoniques.
Ce qui fait la force de ces réseaux c’est qu’ils sont décentralisés : contrairement aux réseaux du téléphone, de la radiotélégraphie ou de la télévision, il n’existe pas de centre unique d’émission/réception par lequel transitent toutes les télécommunications.
L’enjeu est militaire autant que scientifique : dans le contexte de la guerre froide, les systèmes de communication centralisés ont le défaut d’être trop vulnérables à une possible attaque armée.
- Ainsi, c’est pour le réseau de missiles de défense antiaérienne de l’armée de l’air américaine que l’ingénieur de la RAND Corporation, Paul Baran, conçoit un modèle de fonctionnement de réseau de communication décentralisé.
NPL Network est la première démonstration d’un réseau fonctionnant selon le modèle de Paul Baran. Réalisé par le britannique Donald Davies, il nommera ce modèle « commutation par paquets ». Dans un tel réseau, les informations à envoyer sont d’abord découpées en paquets de taille réduite. Chaque ordinateur sur le trajet sert de relais, recevant et émettant les paquets selon un protocole donné.
Nom du réseau | Zone géographique | Organisation opératrice | Création | Principaux concepteurs |
NPL Network | Angleterre | National Physical Laboratory | 1967 | Donald Davies |
Arpanet | États-Unis | Département de la Défense (armée américaine) | 1969 | Bob Kahn et Vint Cerf |
Cyclades | France | Institut de recherche en informatique et automatique (aujourd’hui INRIA) | 1971 | Louis Pouzin |
Merit Network | Michigan | Universités publiques du Michigan | 1972 | |
Telenet | États-Unis | BBN Technologies (entreprise privée) | 1974 |
Des paquets qui circulent
Des paquets qui circulent
Au fur et à mesure que ces réseaux se développent indépendamment, la question commence à se poser de leur interconnexion : ne pourrions-nous pas relier ces différents réseaux entre eux en un réseau de réseaux ?
La difficulté que cela pose est que ces différents réseaux, bien que s’inspirant fortement les uns des autres, n’ont pas les mêmes règles de fonctionnement : ils n’utilisent pas le même protocole de communication.
Protocole de communication :
En informatique, on parle de protocole de communication pour la spécification de règles de communication entre deux appareils informatiques, permettant l’échange d’une information entre ces deux appareils.
Lorsqu’un appareil informatique envoie une donnée $X$ sur un réseau de communication, il encapsule la donnée selon un protocole $P$ : il transforme $X$ en une donnée $P(X)$ qui sera envoyé sur le réseau.
À la réception, $P(X)$ sera décapsulée par le destinataire : il lui appliquera la transformation inverse pour récupérer la donnée $X$.
On peut utiliser l’image du courrier postal pour comprendre ce processus. Lorsque nous envoyons une lettre par courrier, nous la mettons dans une enveloppe (encapsulation) avant de la confier au service postal. Sur l’enveloppe sont indiquées, selon un protocole précis, les informations permettant de remettre l’enveloppe au destinataire, celui-ci n’aura qu’à l’ouvrir (décapsulation) pour en extraire la lettre.
Dans les protocoles par commutation de paquets, les paquets sont constitués :
- d’un en-tête (header) contenant les informations nécessaires pour gérer le parcours de l’information,
- du fragment d’information que nous voulons transmettre.
L’empilement des protocoles correspond donc à l’ajout de plusieurs en-têtes les uns avant les autres.
- Une donnée encapsulée $P(X)$ peut être à nouveau encapsulée selon un autre protocole $Q$ : le résultat est $Q\big(P(X)\big)$. Pour obtenir la donnée d’origine, il faudra décapsuler $Q\big(P(X)\big)$ suivant, dans l’ordre, les protocoles $Q$ et $P$.
Pile de protocoles :
On appelle une pile de protocoles l’ensemble des protocoles successifs utilisés pour transmettre une même donnée.
Un protocole pour les unifier tous
Un protocole pour les unifier tous
Ce sont les américains Bob Khan et Vint Cerf, travaillant au développement d’Arpanet, le plus grand réseau de l’époque, qui vont s’inspirer des travaux de l’équipe française de Cyclades pour proposer, en 1982, un protocole permettant l’interconnexion de réseaux (internetworking) : le protocole TCP/IP.
- Il s’agit en réalité de deux protocoles, empilés l’un sur l’autre : le Transmission Control Protocol (protocole transport) et l’Internet Protocol (protocole réseau).
On définit aujourd’hui Internet comme le réseau de communication utilisant le protocole IP (la plupart du temps, utilisé en conjonction avec TCP).
Le 1er janvier 1983, TCP/IP devient le seul protocole officiellement approuvé sur le réseau Arpanet.
- Cette date peut être considérée comme celle de la naissance d’Internet.
Petit à petit, de plus en plus de réseaux américains s’interconnectent. L’usage de TCP/IP se répand en Europe et en Asie vers la fin des années 1980, quand les premiers fournisseurs d’accès à Internet (FAI) apparaissent et proposent au grand public d’accéder au réseau. Arpanet, en tant qu’entité, cesse d’exister en 1990.
Une communication sur Internet peut être représentée par ce que l’on appelle le modèle TCP/IP : la donnée, souvent déjà encapsulée par le logiciel qu’utilise l’ordinateur émetteur (on parle des protocoles de couches hautes), reçoit un en-tête TCP puis IP. Le datagramme (ou paquet de données) obtenu est envoyé sur le réseau, quel qu’il soit, sur lequel s’appuie la communication. Ce réseau encapsule de nouveau le datagramme avant de le transformer sous forme de signal physique. Ceci sera répété plusieurs fois, de proche en proche, jusqu’à ce que le paquet atteigne sa destination finale où il sera complètement décapsulé.
Un succès mondial
Un succès mondial
Internet est aujourd’hui composé de millions de réseaux de natures très différentes, tant au niveau de leur statut juridique (certains appartiennent à des États, d’autres à des entreprises, à des universités, à des associations, à des particuliers…) que de la technologie utilisée et du support physique de cette technologie.
Un réseau de plus en plus performant
Un réseau de plus en plus performant
La qualité d’une connexion entre deux appareils se mesure avec trois grandeurs :
- le débit descendant mesure la quantité d’informations que l’on peut recevoir en une seconde ;
- le débit ascendant mesure la quantité d’informations que l’on peut envoyer en une seconde ;
- le temps de latence est le temps entre l’envoi d’un message et sa réception.
Les débits descendant et ascendant se mesurent souvent en bits par seconde ($\text{bps}$) – on parle parfois de bande passante pour le débit maximal d’une ligne, bien que ce soit un abus de langage. Le temps de latence se mesure en secondes. Avoir un faible temps de latence est important pour les usages d’Internet en temps réel (conversation vocale, vidéo, jeux vidéo en ligne…).
Les performances des technologies servant de support à Internet ont augmenté très rapidement depuis les années 1960. Pour donner un ordre de grandeur, voici une évolution des performances des modems en fonction du temps.
1972 | 1977 | 1986 | 1998 | 2014 |
Coupleurs acoustiques | Coupleurs acoustiques | Modem ISDN | ADSL | Gfast |
$300\ \text{bps}$ | $1\,200\ \text{bps}$ | $144\ \text{kbps}$ | $10\ \text{Mbps}$ | $1\ \text{Gbps}$ |
Avec l’amélioration des performances et la massification de l’usage d’Internet, de plus en plus de modes de communication sont absorbés, entièrement ou en partie, par Internet : le télégramme, le télex…
L’accès à la télévision passe de plus en plus par Internet ; le courrier postal s’est grandement réduit (bien que le volume du colis postal soit en constante augmentation avec la généralisation de l’achat par correspondance sur Internet).
Avec la VoIP (Voice over IP), c’est le téléphone qui risque d’être absorbé par Internet.
On estime qu’en 2021, le trafic total sur Internet atteindra 3 300 milliards de milliards d’octets ($3,3\times10^21$ octets).
Un octet correspond à $8\ \text{bits}$.
Un réseau multisupport
Un réseau multisupport
Les protocoles TCP/IP sont indépendants du support matériel et de nombreuses technologies peuvent être utilisées pour communiquer des informations selon ces protocoles. Les premiers réseaux utilisaient des lignes téléphoniques et donc transformaient les paquets en signal électrique.
Aujourd’hui, les technologies sans fil ou laser utilisent des ondes électromagnétiques ou des signaux lasers.
- C’est cette indépendance vis-à-vis des supports physiques qui donne à Internet sa flexibilité et son caractère universel.
Quelques technologies courantes sont données dans le tableau suivant.
Technologie | Support physique | Propriétés |
ADSL | Filaire (réseau téléphonique) |
Le principal moyen d’accès haut-débit à Internet en France. Fort débit descendant mais faible débit ascendant. |
Réseau commuté | Filaire (réseau téléphonique) |
Utilisé en France jusque dans les années 2000. Bas débit et peu pratique, car on ne pouvait pas utiliser en même temps Internet et le téléphone. |
FTTx | Laser (fibre optique) |
Débit bien plus important que l’ADSL, mais demande de nouvelles infrastructures. La France investit massivement pour installer la fibre, petit à petit, sur tout le territoire. |
Ethernet | Filaire (câble Ethernet) |
Utilisé pour connecter différents appareils d’un réseau local. |
Wi-fi | Ondes (courte portée) |
Réseau sans-fil de faible portée, utilisée au sein des foyers, entreprises, ou dans les lieux publics disposant d’un point d’accès. |
EDGE, 3G, 4G, 4G+, 5G | Ondes (réseau de téléphonie mobile) |
Majoritairement utilisés pour connecter les smartphones, avec un débit de plus en plus important. |
Bluetooth | Ondes (très courte portée) |
Utilisé pour connecter entre eux des appareils électroniques très proches. |
Internet par satellite | Ondes (satellites) |
Permet d’accéder à Internet dans les endroits isolés (zones rurales, en montagne, en mer…). Demande une installation complexe (parabole et antenne) et présente un très fort temps de latence. |
De nombreux foyers accèdent à Internet via un boîtier (box) qui leur est fourni par leur fournisseur d’accès Internet. Ce boîtier est, le plus souvent, connecté à Internet via l’ADSL ou la fibre. Les ordinateurs du foyer sont ensuite connectés au boîtier via des câbles Ethernet ou par wi-fi.
Gouvernance et neutralité
Gouvernance et neutralité
Les protocoles utilisés dans le fonctionnement d’Internet (TCP/IP, mais aussi bien d’autres) et l’ensemble des standards permettant aux différents appareils du réseau de communiquer sont déterminés par un groupe informel de chercheurs bénévoles, l’Internet Engineering Task Force (IETF). Leur pouvoir sur le fonctionnement du réseau n’est pas direct : ce n’est que parce que leurs recommandations sont appliquées par les ingénieurs et informaticiens dans le monde entier qu’elles ont un impact.
Originellement, l’IETF était financée par le gouvernement américain. En 1992, Bob Kahn et Vint Cerf créent l’Internet Society (ISOC), une association non gouvernementale dont le but est de promouvoir le développement indépendant d’Internet. Depuis 1993, l’IETF est indépendant du gouvernement américain et est financée par l’ISOC.
L’un des combats de l’ISOC est la défense de la neutralité du Net. Il s’agit d’un principe technique selon lequel les différents acteurs des réseaux qui composent Internet doivent s’interdire toute discrimination dans la circulation des différents paquets qu’ils relaient sur le réseau.
Ce principe garantit qu’une connexion Internet fonctionne avec le même débit et le même temps de latence quel que soit l’usage que l’utilisateur fait de cette connexion. C’est ce qui garantit qu’Internet ait le même réseau partout sur la planète.
- Mettre fin à ce principe fait craindre la naissance d’un Internet à deux vitesses, où, par exemple, les fournisseurs d’accès à Internet pourraient accélérer le débit vers leurs partenaires et ralentir le débit des usagers qui ne leur plaisent pas.
Ce principe fondateur est très important dans la philosophie originelle d’Internet, mais il est constamment remis en cause par différents lobbies industriels qui voient un intérêt économique à la fin de cette neutralité. De nombreuses luttes politiques et juridiques ont lieu dans les différents pays du monde autour de cette question.
Aux États-Unis, la Federal Communications Commission protégeait la neutralité du Net depuis 2004. Ce n’est plus le cas depuis la nomination à sa tête, par Donald Trump, d’un ancien cadre de Verizon, le principal FAI américain et ennemi déclaré de la neutralité du Net.
- Depuis juin 2018, la FCC a mis fin à la neutralité du Net aux États-Unis.
Cela a permis aux FAI comme Verizon ou AT&T de ralentir le débit des plateformes de vidéos en streaming comme YouTube ou Netflix, proposant à leurs abonnés de payer un surcoût pour y avoir accès.
En France, la neutralité du Net est inscrite dans la loi depuis 2016.
Conclusion :
Maintenant, nous savons ce qu’est Internet : un réseau fondé sur les protocoles IP et TCP permettant de connecter des appareils électroniques dans le monde entier en s’appuyant sur réseaux physiques différents.
Les prochains cours nous permettront d’étudier plus précisément les protocoles IP, puis TCP.