Étapes d’une transformation chimique : modèle microscopique
Introduction :
Généralement, l’équation-bilan d’une réaction chimique ne caractérise que l’état initial et l’état final du système, mais n’apporte pas d’informations sur le déroulement de cette réaction à l’échelle moléculaire. Or, la compréhension du déroulement microscopique d’une transformation chimique est essentielle en synthèse organique.
Dans ce cours, nous étudierons l’aspect microscopique de la transformation chimique. Pour cela, nous rappellerons plusieurs notions importantes : l’électronégativité, la polarisation d’une liaison ainsi que la notion de sites donneurs et accepteurs d’électrons ou de doublets d’électrons. Nous définirons alors une nouvelle notion, le mécanisme réactionnel et nous montrerons comment un catalyseur modifie ce mécanisme afin d’accélérer la réaction. Enfin, nous donnerons une interprétation microscopique des facteurs cinétiques.
Rappel sur la polarisation des liaisons covalentes
Rappel sur la polarisation des liaisons covalentes
Électronégativité
Électronégativité
Électronégativité :
L’électronégativité d’un atome est une grandeur relative sans dimension qui traduit la capacité d’un atome à attirer vers lui le doublet d’électrons de la liaison covalente à laquelle il participe.
Elle est généralement notée $\chi$ (khi).
Abordée en classe de première, l’échelle de Pauling est l’échelle d’électronégativité la plus utilisée. Elle recense les valeurs électronégatives de chaque élément chimique.
Cette grandeur augmente le long d’une ligne du tableau périodique, de gauche à droite et diminue le long d’une colonne du tableau périodique, du haut vers le bas.
Par exemple, le fluor est l’élément le plus électronégatif.
Échelle de Pauling
En comparant l’électronégativité de deux atomes liés, il est possible de déterminer si la liaison covalente est polarisée.
Polarisation d’une liaison
Polarisation d’une liaison
Considérons une molécule diatomique $AB$.
Si l’atome $B$ est plus électronégatif que l’atome $A\ (\chi(B)>\chi(A))$, il attire plus fortement le doublet d’électrons. On attribue alors à l’atome $B$ une charge partielle négative $\delta ^-$ et à l’atome $A$ une charge partielle positive $\delta ^+$.
La liaison covalente est qualifiée de liaison covalente polarisée et notée : $\text{A}^{\delta ^+}-\text{B}^{\delta ^-}$.
- Plus la différence d’électronégativité entre les deux atomes est grande, plus la liaison est polarisée.
Considérons la molécule de bromure d’hydrogène $\text{HBr}$.
L’atome de brome $(\chi (\text{Br}) = 2,96)$ étant plus électronégatif que l’atome d’hydrogène $(\chi (\text{H}) = 2,2)$, le doublet d’électrons est plus fortement attiré par l’atome de brome.
On attribue alors à l’atome de brome une charge partielle négative $\delta ^-$ et à l’atome d’hydrogène une charge partielle positive $\delta ^+$.
- La liaison covalente est polarisée. Elle est notée : $\text{H}^{\delta ^+}-\text{Br}^{\delta ^-}$.
En chimie organique, la liaison $\text{C}- \text{H}$ est en général peu réactive.
En effet, la différence d’électronégativité entre l’atome d’hydrogène et l’atome de carbone (respectivement $2,20$ et $2,55$) est de l’ordre de $0,35$. Cela implique une très faible polarisation de la liaison.
- On considèrera donc la liaison $\text{C}- \text{H}$ comme non polarisée.
Site donneur ou accepteur de doublets d’électrons
Site donneur ou accepteur de doublets d’électrons
La formation d’une liaison covalente pouvant être modélisée à l’échelle moléculaire par un mouvement d’électrons entre un site donneur et un site accepteur, il est important de savoir reconnaître les sites donneurs et les sites accepteurs de doublet d’électrons.
Site donneur :
Un site donneur de doublet d’électrons est un site riche en électrons.
- Un atome présentant une charge partielle négative : le bromure d’hydrogène $\text{H}-\text{Br}$ avec l’atome d’hydrogène et de brome (respectivement $2,2$ et $2,96$) ont des électronégativités éloignées, faisant apparaître des charges partielles.
- Un atome porteur d’une charge entière négative (anion) : l’anion hydroxyde $\text{HO}^-$.
- Un atome portant un ou plusieurs doublets non liants : la molécule d’eau avec l’atome d’oxygène $\text{O}$.
- Une liaison multiple (double, triple) : l’éthylène comporte une liaison double $\text{H}_2 \text{C} = \text{CH}_2$.
Site accepteur :
Un site accepteur de doublet d’électrons est un site pauvre en électrons.
Un atome présentant une charge partielle positive : le bromure d’hydrogène $\text{H}-\text{Br}$.
Un atome porteur d’une charge entière positive (cation) : l’ion ammonium $\text{NH}_4^+$.
De l’acte élémentaire au mécanisme réactionnel
De l’acte élémentaire au mécanisme réactionnel
Acte élémentaire
Acte élémentaire
Acte élémentaire :
Un acte élémentaire est une réaction qui s’effectue, au niveau microscopique, en une seule étape.
Cependant, beaucoup de réactions chimiques s’effectuent, au niveau microscopique, en plusieurs étapes ou actes élémentaires.
Mécanisme réactionnel et formalisme de la flèche courbe
Mécanisme réactionnel et formalisme de la flèche courbe
Mécanisme réactionnel :
Le mécanisme réactionnel est la succession de tous les actes élémentaires qui rendent compte du déroulement de la réaction.
Au cours de chaque étape du mécanisme réactionnel, les mouvements de doublets d’électrons, qui traduisent la formation ou la rupture de liaisons, sont schématisés par des flèches courbes.
Lors de la formation d’une liaison covalente, la flèche courbe part toujours d’un site donneur de doublet d’électrons pour aller vers un site accepteur de doublet d’électrons.
Lors de la rupture d’une liaison covalente, la flèche courbe part de la liaison qui se rompt pour aller en général vers l’atome le plus électronégatif de celle-ci.
Considérons la réaction d’équation-bilan :
$$\text{CH}_3-\text{CH}_2-\text{OH} + \text{HBr} = \text{CH}_3-\text{CH}_2-\text{Br} + \text{H}_2\text{O}$$
L’équation-bilan donne une description macroscopique de la transformation chimique.
À l’échelle microscopique, cette réaction se déroule en deux étapes ou actes élémentaires. Le mécanisme réactionnel est le suivant :
Exemple de mécanisme réactionnel comportant deux étapes
- Lors de l’étape 1, l’atome d’oxygène de la molécule $\text{CH}_3-\text{CH}_2-\text{OH}$ est un site donneur de doublet d’électrons et l’atome d’hydrogène de la molécule $\text{HBr}$ est un site accepteur de doublet d’électrons.
La flèche courbe bleue part du site donneur de doublet d’électrons (l’atome d’oxygène de la molécule $\text{CH}_3-\text{CH}_2-\text{OH}$) pour aller vers le site accepteur de doublet d’électrons (l’atome d’hydrogène de la molécule $\text{HBr}$). Elle permet d’expliquer la formation de la nouvelle liaison $\text{O}-\text{H}$.
Lors de cette étape, nous avons aussi une rupture de la liaison $\text{H}-\text{Br}$. La flèche courbe rouge représente le mouvement du doublet d’électrons correspondant, elle part de la liaison qui se rompt pour aller vers l’atome le plus électronégatif de celle-ci $\text{Br}$. Il se forme alors l’ion bromure $\text{Br}^-$. - Lors de l’étape 2, l’ion bromure $\text{Br}^-$ est un site donneur de doublet d’électrons et l’atome de carbone (groupe $-\text{CH}_2-$) est un site accepteur de doublet d’électrons.
La flèche courbe bleue part du site donneur de doublet d’électrons (l’ion bromure) pour aller vers le site accepteur de doublet d’électrons (l’atome de carbone). Elle permet d’expliquer la formation de la liaison $\text{C}-\text{Br}$.
Lors de cette étape, nous avons aussi une rupture de la liaison $\text{C}-\text{O}$. La flèche courbe rouge représente le mouvement du doublet d’électrons correspondant, elle part de la liaison qui se rompt pour aller vers l’atome d’oxygène. - L’équation-bilan de la réaction étudiée peut être donnée en superposant tous les actes élémentaires.
Intermédiaire réactionnel
Intermédiaire réactionnel
Intermédiaire réactionnel :
Un intermédiaire réactionnel est une espèce chimique présente dans le milieu réactionnel pendant le déroulement de la réaction, mais qui ne figure pas dans l’équation-bilan de la réaction. Il n’est ni un réactif, ni un produit.
L’intermédiaire réactionnel est formé au cours d’un acte élémentaire, puis consommé au cours d’un autre acte élémentaire.
Considérons la réaction d’équation-bilan :
$$2\text{ICl}_{(\text{g})} + \text{H}_{2,(\text{g})} = \text{I}_{2,(\text{g})} + 2\text{HCl}_{(\text{g})}$$
À l’échelle microscopique, cette réaction se déroule en deux étapes ou actes élémentaires :
- Étape 1 : $$\text{ICl} + \text{H}_2 \to \text{HI} + \text{HCl}$$
- Étape 2 : $$\text{ICl} + \text{HI} \to \text{I}_2 + \text{HCl}$$
Nous pouvons constater que l’iodure d’hydrogène $\text{HI}$ n’apparaît pas dans l’équation-bilan de la réaction étudiée, il n’existe que pendant le déroulement de la réaction. Il est formé au cours d’un acte élémentaire (étape 1), puis consommé au cours d’un autre acte élémentaire (étape 2).
Nous pouvons dire que l’espèce chimique $\text{HI}$ est un intermédiaire réactionnel.
Identification et effet du catalyseur
Identification et effet du catalyseur
Catalyseur :
Un catalyseur est une espèce chimique qui accélère une réaction chimique, mais qui n’apparaît pas dans l’équation-bilan de la réaction. Il ne modifie pas le sens d’évolution d’un système et ne modifie pas la composition finale du système.
Identification du catalyseur dans un mécanisme réactionnel
Identification du catalyseur dans un mécanisme réactionnel
Le catalyseur n’apparaît pas dans l’équation-bilan de la réaction, mais il apparaît dans le mécanisme réactionnel. Il est consommé, puis régénéré au cours du mécanisme réactionnel.
- Le catalyseur réagit généralement en début de mécanisme avec au moins un des réactifs, puis il est régénéré en fin de mécanisme.
Considérons la réaction d’hydratation du propène dont l’équation-bilan est :
En milieu acide, cette réaction se déroule, à l’échelle microscopique, en trois étapes ou actes élémentaires :
Nous pouvons constater que l’ion $\text{H}^+$ n’apparaît pas dans l’équation-bilan de la réaction étudiée, mais qu’il est présent dans le mécanisme réactionnel. Il est consommé au début de la réaction (étape 1), puis il est régénéré en fin de réaction (étape 3).
- L’ion $\text{H}^+$ est un catalyseur.
La présence d’un catalyseur est souvent indiquée en écrivant sa formule au-dessus de la flèche de l’équation-bilan d’une réaction.
Modification du mécanisme par ajout d’un catalyseur
Modification du mécanisme par ajout d’un catalyseur
Le catalyseur modifie le mécanisme réactionnel de manière à abaisser l’énergie d’activation $(E_{\text{a}})$ globale de la réaction. Le passage des réactifs aux produits est alors plus facile et l’état final est plus rapidement atteint. La réaction est donc accélérée.
L’énergie d’activation représente la barrière d’énergie que les réactifs doivent franchir pour conduire aux produits.
- Le catalyseur accélère aussi la réaction inverse.
Considérons la réaction d’équation-bilan : $\text{RCl} + \text{OH}^- = \text{ROH} + \text{Cl}^-$
En l’absence de catalyseur, cette réaction en une étape est lente.
En présence du catalyseur (ions iodures $\text{I}^-$), la réaction s’effectue en deux étapes :
- Étape 1 : $$\text{RCl} + \text{I}^- \to \text{RI} + \text{Cl}^-$$
- Étape 2 : $$\text{RI} + \text{OH}^- \to \text{ROH} + \text{I}^-$$
Chacune de ces deux étapes a une énergie d’activation inférieure à celle de la réaction non catalysée. Par conséquent, en présence d’ions iodures $\text{I}^-$, la réaction s’effectue beaucoup plus rapidement.
La présence du catalyseur peut modifier le mécanisme réactionnel en augmentant le nombre d’actes élémentaires. Chaque acte élémentaire ayant une énergie d’activation inférieure à celle de la réaction non catalysée, l’état final est plus rapidement atteint.
La réaction est donc accélérée en présence de catalyseur.
Interprétation microscopique de l’influence des facteurs cinétiques
Interprétation microscopique de l’influence des facteurs cinétiques
Il existe de nombreux facteurs cinétiques, mais les deux principaux à connaître sont la température et la concentration des réactifs.
Un facteur cinétique est un paramètre qui influe sur la vitesse d’une réaction chimique.
Mouvement brownien et agitation thermique
Mouvement brownien et agitation thermique
Le mouvement brownien est le mouvement désordonné et incessant de petites particules (particules browniennes) en suspension dans un liquide ou un gaz.
Ce sont les chocs entre la particule « brownienne » et les molécules du milieu (liquide ou gaz) dans lequel elle se trouve qui sont à l’origine du mouvement brownien. Cela signifie que les entités chimiques (atomes, molécules ou ions) présentes dans un liquide ou un gaz sont animées d’un mouvement désordonné. La vitesse d’agitation de ces entités dépend de la température du milieu.
- On parle d’agitation thermique.
Chocs efficaces
Chocs efficaces
Pour qu’une transformation chimique se produise, il faut que les réactifs subissent des chocs efficaces.
Dans le cas d’un acte élémentaire bimoléculaire, pour qu’un choc soit efficace, il faut que les réactifs aient suffisamment d’énergie pour franchir la barrière d’énergie conduisant aux produits, et il faut qu’ils soient correctement orientés l’un par rapport à l’autre pour que la réaction puisse avoir lieu.
Interprétation microscopique de l’influence des facteurs cinétiques
Interprétation microscopique de l’influence des facteurs cinétiques
La vitesse d’une transformation chimique dépend de la fréquence des chocs efficaces. Plus la fréquence des chocs efficaces augmente, plus la transformation chimique est rapide.
La fréquence des chocs efficaces dépend de la température et de la concentration des réactifs.
Plus la température est élevée, plus la vitesse d’agitation des molécules de réactifs est importante et plus la fréquence des chocs efficaces augmente. Par conséquent, plus la température du milieu réactionnel est élevée, plus la transformation chimique est rapide.
Plus la concentration des réactifs est élevée, plus la probabilité de rencontre des molécules de réactifs est grande et plus la fréquence des chocs efficaces augmente. Par conséquent, plus la concentration des réactifs est élevée, plus la transformation chimique est rapide.
Conclusion :
En chimie organique, la connaissance du mécanisme réactionnel, c’est-à-dire de la succession de tous les actes élémentaires qui rendent compte du déroulement microscopique d’une réaction, est essentielle pour mieux comprendre la notion de réactivité chimique.
Le mécanisme d’une réaction peut être modifié par l’ajout d’un catalyseur. Celui-ci abaisse l’énergie d’activation globale de la réaction, ce qui facilite le passage des réactifs aux produits. La réaction chimique est donc accélérée en présence de catalyseur.
La vitesse d’une réaction chimique dépend aussi de facteurs cinétiques (température, concentration des réactifs) dont l’influence peut être interprétée à l’échelle microscopique.