Dosage par titrage
Introduction :
La plupart des produits que nous utilisons et consommons portent mention de leur composition chimique sur leur étiquette. Des contrôles de qualité permettent d’établir et de certifier ces informations.
La teneur en certains composés de l’eau de rivière et de l’eau potable est aussi contrôlée, notamment les polluants ou contaminants.
Enfin, les analyses biologiques permettent de vérifier la bonne santé d’un individu, ou d’établir un diagnostic, en mesurant les quantités de certains composés circulant dans son sang.
Toutes ces mesures consistent en des dosages. C’est-à-dire que l’on mesure la concentration de l’espèce étudiée dans la solution dans laquelle elle se trouve.
Plusieurs méthodes existent, dont les dosages par étalonnage et les dosages par titrage direct. Cette dernière méthode est la mise en œuvre contrôlée d’une réaction chimique.
Ainsi ce cours présente-t-il le dosage par titrage direct, en prenant l’exemple de réactions d’oxydoréduction. L’expérience de dosage est décrite, ainsi que les critères que doit vérifier la réaction mise en jeu. Une méthode de suivi est aussi détaillée, ainsi que la méthode de détermination d’une concentration inconnue à partir du résultat d’un dosage.
Présentation de l’expérience de titrage
Présentation de l’expérience de titrage
Principe de l’expérience
Principe de l’expérience
Les ions fer $\text{II}$ sont abondants dans la croûte terrestre et naturellement présents dans les eaux souterraines. Ils ne sont pas toxiques, mais leur présence dans l’eau du robinet n’est pas souhaitable car elle favorise le développement de ferrobactéries qui détériorent les canalisations. Ils neutralisent aussi les désinfectants utilisés pour traiter les réseaux de distribution.
- En France, la teneur en fer $\text{II}$ doit être inférieure à $200\ \mu \text{g}\cdot \text{L}^{-1}$.
Pour déterminer la concentration de fer $\text{II}$ dans l’eau du robinet, on peut procéder à un titrage fondé sur la réaction suivante :
$$\text{MnO}_4^- + 5 \text{Fe}^{2+} + 8 \text{H}^+ \to \text{Mn}^{2+} + 5 \text{Fe}^{3+} + 4 \text{H}_2\text{O}$$
Il s’agit de l’oxydation du fer $\text{II}$ $\text{Fe}^{2+}$ par le permanganate $\text{MnO}_4^-$, qui est une réaction totale. Les espèces concernées sont incolores, sauf le permanganate qui est de couleur violette.
Considérons deux cas de figure.
- Si le fer est en excès on aura le tableau d’avancement suivant :
Avancement | $\text{MnO}_4^-$ | $5 \text{Fe}^{2+}$ | $8 \text{H}^{+}$ | $\to\text{Mn}^{2+}$ | $5 \text{Fe}^{3+}$ | $4 \text{H}_2\text{O}$ |
$0$ | $n_1$ | $n_2$ | Excès | $0$ | $0$ | Solvant |
$x_\text{f}$ | $n_1-x_\text{f}=0$ | $n_2-5\times x_\text{f}$ | Excès | $x_\text{f}$ | $5\times x_\text{f}$ | Solvant |
- Dans l’état final, le milieu réactionnel est incolore.
- Si au contraire le permanganate est en excès, on a le tableau d’avancement suivant :
Avancement | $\text{MnO}_4^-$ | $5 \text{Fe}^{2+}$ | $8 \text{H}^{+}$ | $\to\text{Mn}^{2+}$ | $5 \text{Fe}^{3+}$ | $4 \text{H}_2\text{O}$ |
$0$ | $n_1$ | $n_2$ | Excès | $0$ | $0$ | Solvant |
$x_\text{f}$ | $n_1-x_\text{f}$ | $n_2-5\times x_\text{f}=0$ | Excès | $x_\text{f}$ | $5\times x_\text{f}$ | Solvant |
- Et le milieu réactionnel est de couleur violette dans l’état final.
Au cours du dosage par titrage, le permanganate est ajouté progressivement :
- tant qu’il est le réactif limitant, le milieu est incolore ;
- quand on en a ajouté assez pour qu’il soit en excès, le milieu est de couleur violette.
Au moment du changement de couleur, la quantité de permanganate ajoutée correspond à un mélange stœchiométrique.
- Ce moment est appelé l’équivalence.
Connaissant le volume de permanganate apporté et sa concentration, on peut donc déterminer la quantité de fer $\text{II}$ présente, donc sa concentration dans la solution dosée.
Contraintes de réaction
Contraintes de réaction
Pour mettre en œuvre la procédure décrite ci-dessus, plusieurs conditions doivent être vérifiées.
- La détermination de la concentration de fer $\text{II}$ est fondée sur l’avancement final à l’équivalence. Il faut donc d’abord que les réactifs ne soient pas consommés par une autre réaction. La réaction de dosage doit être unique étant donné les espèces en présence.
- Ensuite, la méthode de calcul proposée dans le cours précédent (« Modélisation de l’évolution d’une réaction chimique ») est utilisable si la réaction est totale. Autrement, l’avancement dépend des quantités de produits et de réactifs en solution à chaque instant. Non seulement le calcul est-il plus complexe, mais l’équivalence peut ne jamais être atteinte.
- Enfin, la réaction doit être rapide. En effet, à chaque apport de permanganate, il faut être sûr que tout ce qui a été apporté précédemment a été consommé. Autrement le calcul est faussé.
Réaction rapide :
Une réaction est dite rapide si elle paraît instantanée pour l’œil humain. C’est-à-dire que sa durée est inférieure à celle de la persistance rétinienne, soit $0,1$ seconde.
La réaction mise en jeu lors d’un dosage par titrage doit être unique, totale et rapide.
Il faut de plus que la concentration de permanganate soit adaptée à l’expérience.
- Si la solution est trop concentrée, l’équivalence peut être dépassée dès le premier apport de permanganate.
- Il est alors impossible de déterminer la concentration de fer $\text{II}$.
- Au contraire, si la concentration de permanganate est trop faible, il faut en ajouter un grand volume pour atteindre l’équivalence.
- Cela n’empêche pas la mesure, mais ce n’est pas très pratique.
Dans le contexte d’un TP réalisé en classe, les deux solutions sont fournies avec des concentrations adaptées.
Dans un cas où l’ordre de grandeur de la concentration de fer $\text{II}$ est inconnu, s’il est possible de prélever plusieurs échantillons, il est plus efficace de réaliser plusieurs dosages successifs. Le premier est à réaliser avec la solution de permanganate la plus concentrée, puis d’utiliser des solutions de plus en plus diluées.
Mise en œuvre expérimentale
Mise en œuvre expérimentale
Voici le montage utilisé pour un dosage par titrage direct :
Schéma du montage de dosage par titrage direct
Solutions titrée et titrante :
- La solution titrée est celle dont on cherche à déterminer la concentration. Elle est placée dans le bécher.
- La solution titrante, de concentration connue, est ajoutée progressivement au mélange. Elle est placée dans la burette graduée.
Suivi et interprétation
Suivi et interprétation
Le suivi du dosage permet de repérer le point d’équivalence.
- Ceci permet de calculer la concentration de la solution titrée.
Équivalence et détermination de la concentration
Équivalence et détermination de la concentration
Équivalence :
L’équivalence est l’état du milieu réactionnel ne contenant plus aucun réactif. Ces réactifs ont été apportés en proportions stœchiométriques et entièrement consommés.
Pour repérer l’équivalence, il faut en particulier déterminer le volume à l’équivalence.
Volume à l’équivalence :
Le volume à l’équivalence est le volume de solution titrante versé permettant d’atteindre l’équivalence.
Méthode
La mesure du volume à l’équivalence permet de déterminer la concentration de la solution titrée.
Par exemple, soit la réaction de dosage suivante, où $\text{ox}_2$ est l’espèce titrée :
$$a\,\text{red}_1 + b\,\text{ox}_2 \to c\,\text{ox}_1 + d\,\text{red}_2$$
Les quantités de réactifs présentes à l’équivalence sont celles d’un mélange stœchiométrique et vérifient :
$$\dfrac{n_\text{eq} (\text{red}_1)}{a} = \dfrac{n_0 (\text{ox}_2)}{b}$$
Si $\text{red}_1$ est l’espèce titrante, on a :
$$\begin{aligned} n_\text{eq} (\text{red}_1) &= C_1 V_\text{eq} \\ n_0 (\text{ox}_2) &= C_2 V_0 \end{aligned}$$
Où la concentration $C_1$ de la solution titrante, le volume initial $V_0$ de solution titrée et le volume à l’équivalence sont connus.
- La concentration $C_2$ recherchée s’écrit alors :
$$C_2 = C_1\times \dfrac{b}{a}\times\dfrac{V_\text{eq}}{V_0}$$
Le repérage de l’équivalence est souvent visuel et la solution titrante est versée avec une burette graduée. De la verrerie jaugée a servi à diluer les solutions et à prélever le volume $V_{0}$.
- La source principale d’incertitude ici est donc la mesure de $V_\text{eq}$.
Par exemple, si on a les données suivantes :
- volume initial $V_0 = 20\ \text{mL}$ ;
- volume à l’équivalence $V_\text{eq} = 12\ \text{mL}$ ;
- coefficients stœchiométriques : $a = 1$, et $b = 2$ ;
- concentration de la solution titrante $C_1 = 0,02\ \text{mol}\cdot \text{L}^{-1}$.
- La concentration de la solution titrée vaut alors :
$$\begin{aligned} C_2 &= 0,02\times \dfrac{2}{1}\times\dfrac{12}{20} \\ &= 0,024\ \text{mol}\cdot \text{L}^{-1} \end{aligned}$$
Si l’incertitude sur le volume à l’équivalence vaut : $\Delta V_\text{eq} = 1\ \text{mL}$, c’est-à-dire si ce volume est compris entre $11$ et $13\ \text{mL}$, on a alors :
$$\begin{aligned} \Delta C_2 &= 0,02\times\dfrac{2}{1}\times\dfrac{1}{20} \\ &= 0,002\ \text{mol}\cdot \text{L}^{-1} \end{aligned}$$
- On peut alors dire que la concentration recherchée est comprise entre $0,022$ et $0,026\ \text{mol}\cdot \text{L}^{-1}$.
Méthodes de suivi
Méthodes de suivi
Après chaque ajout de solution titrante, on souhaite savoir si l’équivalence est dépassée, pas encore atteinte, ou juste atteinte. Plusieurs méthodes de suivi sont possibles.
- Un suivi pHmétrique consiste à mesurer le pH de la solution à chaque ajout de solution titrante.
- Cette méthode est adaptée si la réaction du dosage met en jeu des ions $\text{H}^+$ ou $\text{HO}^-$.
- Un suivi conductimétrique consiste à mesurer la conductivité totale de la solution à chaque ajout de solution titrante. La conductivité de la solution est d’autant plus élevée que celle-ci conduit bien le courant électrique.
- La conductivité dépend des concentrations et des natures des porteurs de charges (espèces ioniques) présents en solution.
- Un suivi potentiométrique consiste à mesurer la tension électrique entre le milieu réactionnel et une électrode de référence.
- Cette méthode est adaptée si la réaction de dosage est une oxydoréduction.
- Un suivi colorimétrique, que nous allons détailler dans le paragraphe suivant.
Suivi colorimétrique :
Un suivi colorimétrique consiste à observer les changements de couleur du milieu réactionnel après chaque ajout de solution titrante.
L’application des autres méthodes fera l’objet de cours ultérieurs.
Mise en œuvre d’un suivi colorimétrique
Mise en œuvre d’un suivi colorimétrique
L’application d’un suivi colorimétrique dépend des espèces mises en jeu.
Si un des réactifs au moins est coloré, le milieu réactionnel prend la couleur du réactif en excès. On dit que le dosage est auto-indicateur.
- Si seule l’espèce titrée est colorée, le milieu est de cette couleur jusqu’à l’équivalence, et incolore ensuite.
- Si seule l’espèce titrante est colorée, le milieu est incolore jusqu’à l’équivalence, puis de la couleur de l’espèce titrante.
- Si les deux réactifs sont colorés, la couleur du milieu change à l’équivalence. Si un des produits formés est coloré, il faut tenir compte de la superposition des teintes.
Par exemple, le dosage des ions fer $\text{II}$ par le permanganate présenté plus haut est auto-indicateur.
Si toutes les espèces en présence sont incolores, un indicateur coloré est nécessaire : soit un indicateur de présence d’un des réactifs, soit un indicateur de $\text{pH}$.
L’indicateur coloré est choisi de sorte qu’il change de couleur à l’équivalence. Il peut colorer la solution en présence d’un seul des deux réactifs. Si la réaction de dosage met en jeu des ions $\text{H}^+$ ou $\text{HO}^-$, un indicateur de $\text{pH}$ bien choisi peut aussi convenir.
Par exemple, le Lugol est un antiseptique à base de diiode.
- Pour vérifier la bonne composition en celle-ci, on peut réaliser un dosage par les ions thiosulfate, qui s’appuie sur la réaction suivante :
$$\text{I}_2 + 2 \text{S}_2 \text{O}_3^{2-} \to 2 \text{I}^- + \text{S}_4 \text{O}_6^{2-}$$
Le diiode colore la solution en jaune-orange. Les autres espèces sont incolores, la solution devient donc incolore à l’équivalence.
Si la solution de diiode est peu concentrée, la décoloration est peu visible. On utilise donc de l’empois d’amidon comme indicateur de la présence de diiode.
- Ceux-ci forment un complexe bleu nuit, dont la disparition à l’équivalence est très visible.
L’utilisation d’indicateurs redox fera l’objet de cours ultérieurs. Un tel indicateur est oxydé ou réduit en même temps que le réactif, et est à choisir en fonction de son potentiel redox.
Un grand avantage du suivi colorimétrique est qu’il permet de repérer l’équivalence visuellement, sans appareil ou mesure supplémentaire. Cela est utile lors de contrôles de qualité « rapides », par exemple le dosage de glucose à l’aide de bandelettes de papier sur lesquels sont déposés des réactifs colorés.
Pour que la détermination de la concentration soit précise, le changement de couleur à l’équivalence doit être rapide.
Si l’expérimentateur estime que le changement de teinte n’est pas instantané, il faut tenir compte de la plage de volume versé sur laquelle il se déroule dans l’incertitude sur $V_\text{eq}$.
Si les espèces en présence sont incolores sauf un des produits formés, un suivi colorimétrique n’est pas possible, car la teinte du produit apparaît dès le début du dosage.
Une méthode courante consiste alors à apporter le réactif titrant en excès, et à doser le produit coloré par étalonnage spectrophotométrique.
- En effet, la concentration de produit coloré, donc l’absorbance de la solution, est alors proportionnelle à la concentration de réactif titré.
Cette méthode est utilisée, par exemple, pour doser les phosphates dans l’eau de rivière : un complexe de phosphate et de molybdène devient bleu nuit après réduction. Le molybdène sert de marqueur du phosphate dans ce dosage. Les ions phosphate interviennent notamment dans l’eutrophisation des cours d’eau, c’est-à-dire la baisse de leur teneur en oxygène.
Conclusion :
Un dosage par titrage direct s’appuie sur une réaction chimique unique, totale et rapide entre le réactif titré et un réactif titrant.
Ce dernier est apporté progressivement : d’abord limitant, il se trouve finalement en excès.
L’équivalence est le moment du dosage où les deux réactifs ont été apportés en conditions stœchiométriques et totalement consommés.
À partir de l’équation bilan de la réaction, on peut alors calculer la concentration de réactif titré dans la solution initiale.
Un suivi colorimétrique permet de repérer visuellement l’équivalence. Un tel suivi est possible si un des réactifs au moins est coloré ou si la présence d’un des réactifs peut être marquée par un indicateur coloré.