Définir et mesurer le chômage
Introduction :
Le chômage est aujourd’hui une problématique centrale pour la majorité des économies contemporaines : qu’ils soient adeptes du libéralisme ou attachés au modèle keynésien, la quasi-totalité des pays fait face à une situation de déséquilibre entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi.
Néanmoins, cette situation cache des réalités bien différentes : en effet, si certains pays (États-Unis et Grande-Bretagne) connaissent un taux de chômage inférieur à $4\,\%$, d’autres l’ont vu exploser pour atteindre les $15\,\%$, comme l’Espagne ($14,2\,\%$) ou la Grèce ($15\,\%$).
Comment peut-on expliquer de tels écarts au sein des pays de l’OCDE ? Existe-t-il une ou plusieurs définitions du chômage et comment le mesure-t-on ?
Pour répondre à ces questions, nous allons voir dans un premier temps comment se définit le chômage et quels sont les indicateurs permettant de le mesurer, avant d’examiner quelles en sont les causes.
Les principales caractéristiques du chômage
Les principales caractéristiques du chômage
La notion de chômage
La notion de chômage
Rappelons tout d’abord que la population totale est composée à la fois d’une population active et d’une population inactive.
- La population active englobe l’ensemble des personnes occupant un emploi ainsi que les chômeur·se·s.
- La population inactive désigne l’ensemble des individus ne pouvant ou ne souhaitant pas travailler, soit pour des raisons d’âge (personnes retraitées ou âgées de moins de 16 ans), soit par choix personnel.
Les chômeur·se·s font partie de la population active.
La difficulté à appréhender la notion de chômage s’explique par les différentes réalités qu’elle recouvre ainsi que par la variété des situations qu’elle décrit.
En effet, outre les individus disponibles, privés d’un emploi et en recherchant un qui sont considérés comme chômeur·se·s, sont considérées comme étant sans emploi les personnes au chômage ou les inactif·ve·s.
Chômage :
Le chômage se caractérise comme une situation dans laquelle un individu se trouve sans emploi, disponible pour travailler et à la recherche effective d’un emploi.
Le chômage résulte d’un déséquilibre entre l’offre de travail (émanant de personnes souhaitant travailler) et les demandes de travail (émanant des employeur·se·s). Il est ainsi dépendant du taux d’emploi.
Taux d’emploi :
Selon l’INSEE, le taux d’emploi se définit comme la proportion de personnes, parmi celles en âge de travailler, disposant d’un emploi.
Il est calculé en rapportant le nombre d’individus ayant un emploi au nombre total d’individus en âge de travailler.
Le chômage ne se définit pas uniquement comme l’inactivité forcée d’une personne privée involontairement d’emploi :
- il est considéré comme un facteur de tensions sociales, de pauvreté et de paupérisation de la population ;
- il peut aussi constituer un frein à la croissance en limitant la capacité des individus à consommer.
Comment mesure-t-on le chômage ?
Comment mesure-t-on le chômage ?
Mesurer le taux de chômage revient en fait à mesurer le nombre de chômeur·se·s.
Tout comme pour le chômage, les critères retenus varient considérablement, rendant cette mesure variable en fonction des indicateurs mobilisés.
Le taux de chômage est le nombre de chômeur·se·s divisé par le total de la population active multiplié par $100$.
$\text{Taux de chômage}=\dfrac{\text{nombre de chômeurs}}{\text{population active}}\times100$
En France, il existe deux principaux indicateurs :
- La population sans emploi à la recherche effective d’un emploi
Il s’agit de l’indicateur utilisé par le BIT (Bureau international du travail)
- Est considéré comme étant au chômage un individu sans emploi, disponible immédiatement et recherchant activement un emploi.
Beaucoup de personnes en recherche d’emploi ne sont pas inscrites à France Travail (anciennement Pôle emploi), particulièrement celles qui n’ont droit à aucune indemnité (soit parce qu’elles n’ont jamais travaillé, soit parce qu’elles ont épuisé leurs droits).
- La population inscrite à France Travail
Il s’agit de l’indicateur de France Travail, pour qui le chômage doit répondre à trois critères.
- Est considéré comme étant au chômage un individu sans emploi, disponible pour travailler, et inscrit à France Travail.
Les buts poursuivis respectivement par le BIT et par France Travail étant différents, le mode d’évaluation du chômage présente des différences sensibles : alors que le BIT s’emploie à décrire une réalité économique (notamment au travers des Enquêtes emploi en continu (EEC), France Travail cherche avant tout à recenser les personnes pouvant bénéficier des allocations chômage.
Enquête emploi en continu :
Enquête menée dans différents pays du monde et permettant de produire des données sur le marché du travail (et notamment sur le taux de chômage) dans un but d’analyse. Cette enquête, rendue obligatoire chaque année dans les pays membres de l’Union européenne, est faite en continu en France.
Toutefois, ces deux systèmes de mesure sont sujets à condition.
Tout d’abord parce que des interrogations persistent quant à la conformité et la pertinence de chacune de ces mesures ; et ensuite parce que, dans un contexte de crise économique, le chômage est devenu l’indicateur de conjoncture le plus important.
- Ces systèmes sont tous deux l’objet de critiques.
Critiques des systèmes de mesure
Critiques des systèmes de mesure
- Critique du système de mesure du BIT
Si les mesures annuelles sont jugées pertinentes, il n’en va pas de même pour les estimations trimestrielles jugées peu fiables. De même, le critère de disponibilité (défini à deux semaines) ne prend pas en compte les délais souvent plus longs observés dans le processus d’embauche. Enfin, reconnaître uniquement comme « chômeur·se » une personne n’ayant pas travaillé (même pas une heure) lors de la semaine écoulée exclut de fait un grand nombre d’individus et ne reflète que partiellement la réalité du marché.
Critère de disponibilité :
Le critère de disponibilité est un paramètre estimant le laps de temps nécessaire à une personne souhaitant travailler, ou cherchant un emploi, pour se rendre disponible. En France, ce laps de temps a été défini à 15 jours.
- Critique du système de mesure de France Travail
Il lui est reproché de se focaliser presque exclusivement sur les chômeur·se·s cherchant activement un emploi et n’ayant pas travaillé le mois précédent (dits de catégorie A), ce qui ne met pas en perspective la diversité des situations. De fait, ce biais ne permet pas d’appréhender les parcours des demandeur·se·s d’emploi, ni de fournir un élément d’évaluation de l’efficacité de certaines mesures.
Ainsi, les mesures, effectuées tant par le BIT (ou INSEE) que France Travail, présentent des carences de nature à rendre compte de manière incomplète de la situation sur le marché du travail : beaucoup d’autres données disponibles pourraient être mobilisées pour aider à comprendre le phénomène du chômage et mettre en œuvre des politiques de lutte efficaces, comme nous le verrons dans le cours intitulé « Les politiques de lutte contre le chômage ».
Chômage, caractéristique d’une situation de sous-emploi
Chômage, caractéristique d’une situation de sous-emploi
La notion de sous-emploi
La notion de sous-emploi
Par opposition au plein-emploi, qui désigne une situation dans laquelle le chômage se limite au strict chômage frictionnel, le sous-emploi est interprété comme une défaillance du marché du travail.
- Dans ce schéma, seule une partie des travailleur·se·s disponibles occupe un emploi.
Chômage frictionnel :
Le chômage frictionnel ou chômage naturel désigne la période de battement entre le début de la recherche d’emploi et l’entrée dans un nouvel emploi. Il est considéré comme inévitable et incompressible.
On estime que le niveau de plein-emploi est atteint lorsque le taux de chômage se situe entre $3,5\,\%$ et $4\,\%$.
Sous-emploi :
Au sens du BIT, le sous-emploi comprend les personnes actives se trouvant dans l’un des cas de figure suivants :
- elles travaillent à temps partiel, souhaitent travailler davantage et sont disponibles pour le faire, qu'elles recherchent activement un emploi ou non ;
- elles travaillent à temps partiel ou à temps complet, mais ont travaillé moins que d'habitude pendant une semaine de référence en raison de contraintes externes (chômage technique, ou mauvais temps).
Le sous-emploi est interprété comme une défaillance du marché, puisqu’il traduit une inadéquation entre la durée ou la productivité de l’emploi d’une personne et un autre emploi que cette personne serait disposée à occuper et capable de faire.
Ainsi, le sous-emploi et le chômage sont-ils aujourd’hui des notions essentielles, tant la précarité et les difficultés d’intégration qu’ils impliquent sont au cœur de la majorité des politiques économiques.
Pour autant, l’instauration de politiques de l’emploi efficaces n’est possible que lorsque les causes de ce chômage sont clairement établies. Or, nous allons voir que libéraux classiques et keynésiens vont établir des diagnostics bien différents pour expliquer le phénomène du chômage.
L’analyse classique du chômage : un coût du travail trop élevé
L’analyse classique du chômage : un coût du travail trop élevé
Pour les classiques, le chômage est dû à des salaires trop élevés.
Les entreprises vont être réticentes à embaucher au vu du coût des salaires : les travailleur·se·s, moins nombreux, ne pourront pas produire suffisamment, si bien que l’offre de biens et services sera insuffisante. De plus, ces salaires étant jugés trop élevés, la rentabilité apparaîtra insuffisante, ce qui dissuadera les entreprises d’embaucher, créant du chômage.
Par contre, si la demande de travail (qui émane des employeur·se·s, à la recherche de main-d’œuvre) baisse, le besoin en travailleur·se·s sera moins important et les salaires diminueront. Le coût des salaires étant moins élevé, les entreprises vont augmenter leurs demandes : lorsque l’équilibre sera atteint, le chômage disparaîtra (mais avec des salaires bas).
En somme, pour les classiques, le marché doit s’autoréguler, sans que l’État n’intervienne.
Le chômage keynésien et les politiques de relance
Le chômage keynésien et les politiques de relance
Pour les keynésiens, ce n’est pas la baisse de la demande qui entraîne une baisse des prix, mais une baisse de l’offre.
Lorsque les entreprises diminuent leur demande de main-d’œuvre (entraînant une baisse des salaires), elles produisent moins. Aussi, il ne suffirait pas de baisser les prix (notamment en diminuant le coût du travail en offrant des salaires plus bas) comme le préconisent les classiques. Au contraire, selon lui, il faut augmenter les salaires pour faire baisser le chômage, permettant ainsi aux individus de consommer davantage (augmentation de la demande).
Ce faisant, les entreprises devront produire plus pour répondre à cette demande, et donc embaucher davantage pour assurer la production, ce qui contribuera à faire baisser le chômage.
Pour les keynésiens, le marché ne peut s’autoréguler, et la situation ne pourra qu’empirer si rien n’est fait.
Ils estiment donc que l’intervention de l’État est indispensable, notamment par l’augmentation des biens de consommation et de production qui entraînera de fait une augmentation de la demande.
Dès lors que la demande augmentera, il sera nécessaire de produire davantage et donc d’embaucher, ce qui entraînera une baisse du chômage.
Conclusion :
Le chômage apparaît aujourd’hui comme un défi majeur pour les économies contemporaines, puisqu’il conditionne à lui seul les politiques de l’emploi mises en œuvre par les administrations publiques. Néanmoins, il revêt de multiples aspects et les différentes méthodes de calcul utilisées rendent son évaluation difficile.
En marge de ce chômage, il existe des individus en situation de sous-emploi, car non comptés comme demandeur·se·s d’emploi du fait des critères assez stricts retenus par le BIT (ou l’INSEE). Ces personnes en sous-emploi, souvent considérées comme « aux frontières du chômage », sont souvent victimes de précarité et voient leurs capacités d’intégration dans la société fortement réduites.
Le chômage « classique » existe quand les entreprises préfèrent réduire les embauches, car elles trouvent le coût du travail trop élevé, et ce, malgré une demande plutôt soutenue. Tandis que le chômage « keynésien » trouve ses origines dans l’insuffisance des débouchés : la solution proposée est ainsi de relancer la demande et de soutenir l'activité.